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3.7.15

Le 19ème siècle (4) : 1871-1914, Marche à la guerre.

Si vous étudiez l'histoire à l'université, en France, et si vos profs sont pas trop nuls, y'a normalement plein de petits trucs propres à la discipline ou à son étude qu'on vous apprend dès le début, dès les premières semaines de la Licence 1. Par exemple, tout événement historique majeur, quel qu'il soit, est le produit de deux types de causes. Des causes lointaines et des causes proches. Ou pour le dire autrement, des causes structurelles et des causes conjoncturelles. Ou pour le dire encore autrement, des causes liées au milieu ambiant et d'autres liées aux événements qui précèdent immédiatement l'événement.

On peut dire pour simplifier, à propos d'un événement donné, que « les conditions étaient réunies » dans le système général quel qu'il soit où il a lieu, et que quelqu'un ou quelque chose a agi sur le moment pour utiliser ces conditions. Et comme rien n'est jamais plus clair qu'un exemple, je vais vous en donner deux. Ouais je suis comme ça moi.

La Révolution Française, 1789-1799, a donc deux types de causes. Les causes structurelles étaient la frustration de la bourgeoisie d'Ancien Régime, qui aspirait à la reconnaissance sociale de la noblesse mais s'en voyait interdite par la société, la tension toujours plus grande entre les ordres privilégiés (noblesse, clergé) et le tiers-état mais aussi entre la monarchie et le peuple. Clairement, les gens en avaient marre de trimer pour le roi et les philosophes des Lumières, avec leurs idées de monarchie tempérée à l'Anglaise (l'Angleterre refuse la monarchie absolue un siècle et demi avant la Révolution) avaient pas contribué à calmer les esprits.

Les causes conjoncturelles de la Révolution comprennent notamment la crise agricole causée par une sécheresse inhabituelle à l'été 1788, ainsi que la réunion des États Généraux (une assemblée de représentants des trois ordres venus de tous le pays et qui n'avait pas eu lieu depuis un siècle et demi) par le roi pour remédier à la crise : évidemment, si on donne une occasion pareille au peuple de changer les choses, il va pas se priver.

François Dubois, Le massacre de la Saint-Barthélémy, 1572-84, Musée cantonal des Beaux-Arts, Lausanne.
François Dubois est un protestant qui a échappé au massacre à Paris et la situation de ce tableau est logique : un grand nombre de protestants français, dont évidemment Jean Calvin, se sont réfugiés en Suisse pour fuir les persécutions des catholiques.

Le massacre de la Saint-Barthélémy, 24 août 1572, avait lui aussi deux types de causes. Les causes systémiques : la présence de deux religions conflictuelles en France, portées l'une et l'autre par de grandes familles de la noblesse (les Condé, les Guise, les Montmorency...), autour de la figure royale fragilisée par des règnes courts et donc les luttes de pouvoir que ça amène. On est encore à l'époque où les Grands peuvent contrôler la monarchie et le roi en accaparant les postes-clés du Conseil, bien avant que le roi lui-même ne décide à qui distribuer les faveurs et les honneurs.

Les causes événementielles : la réunion de la majeure partie des chefs protestants à Paris pour le mariage, une semaine plus tôt, de leur chef Henri de Navarre, futur roi de France sous le nom d'Henri IV, et de Marguerite de Valois, princesse de France, catholique, mais aussi la tentative d'assassinat de l'amiral de Coligny, un protestant, l'avant-veille, et les failles de communication qui s'en suivirent. On crut à une attaque manquée des protestants sur le roi, à une attaque des Grands catholiques sur les protestants, tout le monde panique et finalement les protestants se font massacrer dans la rue.


L'introduction était faite, l'article d'aujourd'hui a justement pour base ce même mécanisme historique. Comme prévu, il est le quatrième et dernier de la série sur le XIXème siècle de 1815 à 1914. Pour ceux qui n'étaient pas là jusqu'à maintenant et pour ceux qui auraient oublié le début, autrement dit pour tout le monde, je vous mets le lien vers les trois premières parties :

Évidemment, vous n'ignorez probablement pas que la cause immédiate de la Première Guerre Mondiale, déclenchée en 1914 et servant généralement à fermer le XIXème siècle à la place de l'année 1900, est l'assassinat à Sarajevo en Serbie du prince-héritier d'Autriche-Hongrie, l'archiduc François-Ferdinand, par un anarchiste serbe, Gavrilo Princip. Mais en quoi la ligne de succession austro-hongroise ou même la Serbie concernaient les autres grandes puissances qu'étaient la France, le Royaume-Uni, la Russie, l'Italie et les empires allemand et ottoman ? C'est justement ce qu'on va voir avec les causes anciennes, structurelles, de la Grande Guerre

Voilà, telle était la situation à la fin de l'épisode 3.

Donc à la fin de l'épisode précédent la situation était la suivante : la majeure partie de l'Europe a entendu parler de l'auto-détermination, le droit des peuples à disposer deux-mêmes, grâce à l'exportation efficace de la compagnie Révolution Française et de son héritière, la société Ier Empire, dont le PDG, Napoléon Bonaparte, menait une politique publicitaire aussi agressive qu'efficace. Le souci c'est que les grandes nations d'Europe s'essuient le derrière avec l'auto-détermination et que les peuples n'ont pas voix au chapitre. Rapport au caractère privé des cabinets d'aisance, tout ça.

Au passage, l'Italie et l'Allemagne s'étaient construites dans le sang et les larmes, enfin surtout le sang, cette dernière récupérant même l'Alsace-Moselle de sa voisine la France, ce que le chancelier Otto von Bismarck ne voulait surtout pas voir arriver pour éviter que ces tarés qui coupent la tête des rois et se révoltent en permanence (1789-1799, 1830, 1831, 1834, 1848, 1871) ne livrent une nouvelle guerre pour les reprendre. Du coup en négociant les conditions de paix à Versailles le 26 février 1871, il impose une dette de guerre ahurissante et une occupation partielle du pays pour assommer les Français. C'est sans compter sur Adolphe Thiers, plus ou moins chef du pays depuis qu'on s'est rendu compte que Napoléon III était nul à chier en politique et en stratégie, qui grâce à la synergie patriotique et à un emprunt spécial parvient à payer la dette en DEUX ANS.

Otto voulait dix ans de paix pour rendre les nouvelles provinces invulnérables, au bout de deux années il est déjà en train de baliser à l'idée que la guerre reprenne !

  1. La politique allemande d'isolement de la France.
Bon pour le coup il a eu de la chance, les Français ne bougent pas avant 1875, année où est instaurée une réforme de l'armée. Quatre ans, c'est aussi le temps nécessaire pour consolider la toute jeune IIIème république, et Otto qui a vraiment peur que la France ne prenne sa revanche poursuit la politique sécuritaire qui a été la sienne durant toute sa carrière au service de la Prusse. D'une part, il s'efforce de convaincre les milieux allemands que son pays ne peut pas espérer s'étendre indéfiniment dans l'indifférence générale, faut pas déconner. C'qui est con c'est qu'un demi-siècle plus tard, un autre dirigeant allemand aura complètement oublié cette leçon, hein Adolf ? ^^

L'autre pan de la Realpolitik bismarckienne est d'isoler la France autant que possible, notamment en donnant une bonne image de l'Allemagne, un jeune pays dont la spécialité est de botter le cul des vieilles puissances. C'est pas gagné mais ça commence en 1873 par l'Entente des Trois Empereurs avec la Russie et l'Autriche-Hongrie, reposant sur des conventions militaires renouvelées régulièrement dès 1882 et par la promesse de protection mutuelle en cas de guerre. En 1875, Bismarck crée lui-même une crise en mode « on va rouler sur les Français pour les empêcher de prendre l'initiative », et là t'as Alexandre II de Russie qui débarque façon « woh woh woh, on va s'calmer, l'entraide c'est pour la défense, je t'aiderai pas à devenir une menace pour moi mec ! », donc on passe à ça d'une nouvelle guerre... ah ouais, c'est du texte. Bon, imagine que mon index et mon pouce sont très très proches.

Le truc c'est qu'Otto, qui comprend depuis bien longtemps comment fonctionnent le pouvoir et ceux qui le détiennent, sait qu'il faut des dérivatifs à la France pour oublier qu'elle vient de perdre une région et demie, raison pour laquelle il s'oppose pas à la politique coloniale d'un Jules Ferry aussi raciste qu'intransigeant à l'égard du « monde sauvage ».

L'Entente des Trois-Empereurs : de gauche à droite, les empereurs François-Joseph d'Autriche-Hongrie, Guillaume Ier d'Allemagne et Alexandre II de Russie.

En outre, il faut savoir qu'à l'époque, l'un des endroits où les tensions nationalistes sont les plus grandes, ce sont les Balkans. La Hongrie aussi, mais l'Autriche est une puissance avec laquelle il faut compter alors que l'Empire Ottoman est déjà sur le déclin. Or, les Balkans représentent un enjeu commercial très important pour le Royaume-Uni (qui aimerait y installer des ports d'escale le long de ses routes commerciales démesurées), la Russie (qui adorerait avoir accès à la Méditerranée pour sa flotte), l'Autriche (qui aimerait bien accroître son accès à la mer depuis que les Italiens lui ont pris la Vénétie-Lombardie) et pour l'Empire Ottoman lui-même, qui aimerait bien conserver sa partie européenne pour commercer et faire chier la Russie (qui ne cesse d'essayer de traverser les détroits du Bosphore et des Dardanelles vers la Méditerranée depuis le début du siècle).

En 1875 a lieu une révolte de la Serbie contre Istanbul, suivie en mai 76 par la Bulgarie, puis en juillet les Serbes s'unissent avec le Monténégro contre l'occupant. Après sa défaite en 1877, la Serbie écrasée voit intervenir la Russie, qui attaque l'Empire Ottoman et provoque une défaite sanctionnée par la paix de San-Stefano le 3 mars 1878 : une partie de l'Empire passe aux Russes, la Roumanie devient indépendante, la Grande Bulgarie et créée et la Serbie comme le Monténégro sont agrandis.

En rose, la Grande Bulgarie créée puis réduite entre le traité de San Stefano et le Congrès de Berlin. La Roumanie, la Serbie et le Montenegro (au sud de la Bosnie) deviennent indépendants, la Bosnie étant occupée par l'Autriche.

Ce qu'il faut retenir c'est que l'Angleterre décide de se mobiliser contre une incursion russe qui, si elle portait ses fruits, n'arrangerait personne. Lors du Congrès de Berlin qui se tient en juillet 1878, les territoires serbe et monténégrin sont réduits, l'Autriche obtient l'administration provisoire de la Bosnie et la Bulgarie est réintégrée dans l'Empire Ottoman avec une certaine autonomie. Il est important de noter que ni l'Autriche-Hongrie ni l'Allemagne n'ont levé le petit doigt pour aider la Russie.

Leur méfiance commune envers le colosse oriental se confirme d'ailleurs l'année suivante par un traité secret qui engage les deux pays à une assistance mutuelle en cas de guerre contre la Russie. Les Allemands et les Autrichiens profitent également du fait que l'Italie, qui souhaitait se lancer dans la colonisation par l'acquisition de la Tunisie en 1880, laquelle lui échappe par le Traité du Bardo qui voit l'instauration d'un protectorat français, rejoint leur nouvelle alliance deux ans plus tard, en 1882, pour soulager sa rancœur contre ces connards de Français.

  1. La formation des réseaux d'alliance.
Alors que l'opposition est croissante entre le jeune empereur d'Allemagne Guillaume II, au pouvoir depuis 1888, et son Premier Ministre Bismarck, notamment en termes de société (le premier est un gros connard conservateur et militariste alors que le second a concédé la création des syndicats et des droits ouvriers pour éviter d'énerver la masse prolétaire) et de politique étrangère (Bismarck a passé sa vie à jouer la sécurité et le renforcement de l'Allemagne elle-même alors que Guillaume veut instaurer un empire ultra-marin, marchant ainsi sur les plates-bandes anglaises (et les Anglaiss kiffent leurs jardins, on marche pas sur leurs plates-bandes)), Bismarck finit tout simplement par se casser et prendre sa retraite en 1890 en gueulant qu'il est « trop vieux pour ces conneries ». Il mourra d'ailleurs 8 ans plus tard.

La militarisation du pouvoir allemand inquiète donc les Russes, qui sont pas cons au point de ne pas remarquer que si les Teutons doivent s'étendre, ce sera plutôt vers l'est et vers chez eux, et décident de se rapprocher de la France. Pas littéralement hein, y'a l'Allemagne entre les deux.

Guillaume II (1859-1941), empereur allemand de 1888 à 1918. Le Prussien militariste typique, héritier assumé de son gros bourrin de grand-père (Guillaume Ier), qui voue un véritable culte à l'armée qu'il place au cœur de la culture politique et impériale. A côté Otto von Bismarck a l'air d'un type très raisonnable.

Par contre un emprunt russe à la Bourse de Paris est fait en 1888 et en 1891 est décidé un engagement mutuel à se concerter sur la politique internationale liée à la guerre. Une alliance militaire quoi. La cible déclarée est même évidente : en 1892, France et Russie signent un accord selon lequel les deux pays décideront de la mobilisation générale si un des trois pays de la Triplice – Allemagne, Autriche-Hongrie et Italie – proclame la mobilisation générale.

Ces accords rapprochent durablement les deux pays, mais rendent également inévitable une éventuelle guerre : la mobilisation générale, au cas où vous savez pas, c'est le rappel de tous les soldats inscrits et des réservistes. On stoppe toute activité économique pour envoyer la population masculine dans les casernes en sollicitant tous les transports du pays : c'est un acte de guerre et généralement une fois qu'on a fait ça, on peut plus faire machine arrière, les armées constituées peuvent pas être renvoyées à la maison comme ça, paf.

Théophile Delcassé (1852-1923), parlementaire français, sous-secrétaire d'état aux Colonies en 1893, ministre des Colonies en 1894, ministre des Affaires Étrangères de 1898 à 1905 et démis selon les exigences allemandes pour la conférence d'Algésiras. Autant dire que c'est un excellent patriote qui connaît très bien son boulot et a toujours fait de son mieux pour les intérêts français. V'la comment on le remercie quoi.

Dans la suite directe des accords franco-russes, le ministre des Affaires Étrangères Delcassé (1898-1905) initie un rapprochement franco-anglais dans un contexte très tendu : la rivalité coloniale n'encourage pas le dialogue, mais les deux puissances ont bien remarqué que l'industrialisation allemande, récente et hyper-dopée par une démographie écrasante, a permis la constitution d'une Weltpolitik et d'une flotte plus que conséquentes. En plus, la grosse Victoria a fini par passer l'arme à gauche, c'est pas trop tôt, du coup son fils Edward VII a hérité du trône, et lui il est plutôt fan des Français. Certes, les accords se limitent pour l'instant à l'économie et au commerce, mais d'un autre côté, un accord secret est passé avec l'Italie en 1902, qui prévoit que cette dernière restera neutre dans une éventuelle guerre franco-allemande. Ouais, la Botte joue double-jeu, c'est chaud.
En tout cas, à l'horizon 1904, la France a brisé l'isolement allemand : elle bénéficie de l'alliance russe, de la neutralité italienne et de la bienveillance anglaise. C'est un début.

  1. Les rapports de force et l'achèvement des blocs (1905-1914)
Dans le cadre de leur modernisation agricole respective qui fait notamment appel à des phosphates, l'Allemagne et la France sont en rivalité commerciale ancienne au Maroc (qui produit ces petites choses). Guillaume II débarque donc à Tanger sur le conseil de Bülow, son ministre des Affaires Étrangères, et y déclare que le sultan est un souverain indépendant sur lequel la France n'a aucun droit. Français et Anglais voient leurs états-majors discuter entre eux en 1905, preuve que c'est plus vraiment le temps de déconner.

Débouté par la politique du Président du Conseil français, Delcassé démissionne de son poste aux Affaires Étrangères françaises, d'après une exigence de l'Allemagne qui a bien compris le danger de ce type. En janvier 1906 s'ouvre la Conférence d'Algésiras, avec présence de Theodore Roosevelt, président américain de 1901 à 1909, comme modérateur : c'est la fin de l'isolationnisme de Washington.


Lors de cette conférence où la France reçoit l'appui de son copain le Royaume-Uni, Tanger est décrétée zone internationale et le Maroc libre de commercer avec toutes les nations. Si l'Allemagne a un droit de regard sur le pays, la France et l'Espagne ont un droit de police sur les ports marocains.

De leur côté, en 1907, le Royaume-Uni et la Russie signent un accord qui règle leurs différends en Asie. Non parce qu'on arrête pas de parler de l'Europe, mais ce qu'on dit pas, c'est que lors de la colonisation, la Russie s'est étendue, depuis un territoire qui allait de la Moscovie à la Crimée, jusqu'au Kamtchatka et l'Asie centrale, où elle a rencontré la rivalité des Anglais venus d'Inde et d'Afghanistan. Donc en gros, au milieu des steppes asiatiques, ça fait à peu près 50 ans que les deux pays se font la gueule en essayant de conquérir un morceau par-ci ou par là, et ils ont enfin soldé leurs comptes.

Après la conquête russe du Turkestan (1867) correspondant aux territoires situés entre la mer Caspienne et la Chine, et avec l'affaiblissement de la Chine (qui sera découpée en zones d'influence commerciale par les Européens) et de la Perse, les Anglais craignent une incursion vers leur Joyau de la Couronne, l'Inde, et tentent plusieurs fois d'établir un état-tampon en Afghanistan (en orange) où ils livrent également plusieurs guerres.
A noter (même si ça a rien à voir) que l'indépendance du Tibet décrétée par les Anglais en 1905 est à l'époque essentiellement un moyen d'enfoncer une épine dans le pied de la vieille monarchie Qing. D'ailleurs la carte est incorrecte parce qu'à l'époque la Russie contrôle totalement l'Ukraine et la Crimée.

Cela dit, les problèmes des années 70 dans les Balkans ne sont pas réglés, bien au contraire, et la ferveur renouvelée des peuples locaux pour la liberté nationale ne fait que cristalliser les tensions. En 1903, le roi Pierre Ier de Serbie, pro-russe, incite les Serbes de Bosnie à s'élever contre l'occupation autrichienne toujours en vigueur. Vienne répond par une annexion totale de la Bosnie le 5 octobre 1908, ce qui détourne l'attention d'une Bulgarie qui se gêne pas pour se déclarer indépendante.
Une conférence est alors proposée par la Russie, à laquelle l'Autriche accepte de participer si personne ne remet en cause sa récente annexion, mais devant le refus de soutien français, Russes et Serbes doivent s'incliner.

Dans le cadre de sa politique coloniale, la France qui contrôle déjà l'Algérie depuis 1848, possède un protectorat sur la Tunisie depuis 1880 et a un pied dans le Maroc essaie d'intégrer pacifiquement le pays. Alors que l'Allemagne proteste contre cette ingérence, des européens sont menacés par des tribus locales à Fès en mai 1911, ce qui pousse Paris à envoyer des forces à l'intérieur des terres, en complète violation des accords de 1905. Pas con, les Allemands expédient une canonnière (c'est un gros bateau dont l'importance de l'artillerie embarquée lui donne son nom, toujours dans la subtilité les Germains) en se disant que si la France recule, eux ils pourront avancer.

Joseph Caillaux, alors président du conseil – l'équivalent sous la IIIème république d'un Premier Ministre – est un pacifiste convaincu, qui refuse de livrer une guerre contre l'Allemagne pour le Maroc. La France cède alors une partie de l'Afrique Équatoriale Française en échange d'un protectorat au Maroc instauré en 1912.

La canonnière Panther, envoyée par Berlin au Maroc en 1911. C'est pas encore du navire de guerre mais on a déjà dépassé le stade de la négociation.


De leur côté, les pays des Balkans en prennent de plus en plus dans la tête : l'Empire Ottoman déclinant, la pression qu'il exerce sur les territoires occupés s'accroît logiquement. Le besoin d'empêcher les rebelles d'espérer atteindre la liberté, tout ça. Seulement voilà, les tentatives de révoltes de colonies turques européennes n'aboutissent pas et même deux guerres successives livrées en 1912 et 1913, sanctionnées par le Traité de Bucarest, ne parviennent pas à satisfaire les ambitions de chacun. Concrètement, chaque pays, depuis la Serbie jusqu'à la Croatie en passant par la Bosnie et la Bulgarie, souhaite contrôler quelques terres chez les voisins.

Pire encore, l'ingérence de l'Autriche-Hongrie ne cessant de s'affirmer dans l'espace ottoman et les Balkans, tous ces pays ont également une très bonne raison de détester Vienne, ce qui se confirmera un an plus tard par l'assassinat du prince-héritier autrichien à Sarajevo et provoque une guerre qui concrétise tous les désirs territoriaux.

L'empire ottoman en 1913, après la perte de l'ensemble des territoires qui constitueront "la poudrière des Balkans". La perte totale d'une influence majeure rend cette région foncièrement instable, ce que n'apaise pas l'ambition autrichienne de s'étendre vers le sud.


Et voilà, maintenant vous avez une idée générale de comment la Première Guerre Mondiale a été déclarée ! Certes, la France voulait récupérer l'Alsace-Moselle et l'Allemagne de Guillaume II souhaitait affirmer son pouvoir européen et mondial par une grande victoire, mais le long contentieux des Balkans et de l'empire ottoman, allié à l'Autriche-Hongrie et l'Allemagne par la force des choses et surtout pour contrecarrer les ambitions méditerranéennes de la Russie, la montée en puissance de partis bellicistes dans chaque pays, seulement désamorcés par les socialismes nationaux (eux-mêmes neutralisés par l'assassinat de Jean Jaurès en juillet 1914) et enfin le jeu des alliances au sein duquel chaque pays était engagé à déclarer la mobilisation générale, un acte de guerre irréversible, sitôt qu'un autre faisait le même mouvement, toutes ces conditions constituent donc les causes systémiques, les causes structurelles qui ont provoqué la Grande Guerre, laquelle était, quoi qu'on en dise, plus ou moins prévue de longue date.

J'espère que cette longue série d'article sur le XIXème siècle de 1815 à 1914 vous a plu et vous a appris des choses ! C'est une période qu'on a tendance à mal connaître et à schématiser très rapidement par l'industrialisation et la colonisation, en faisant fi des rapports européens loin d'être figés, et j'ai fait de mon mieux pour en transmettre un compte-rendu fidèle d'après cours universitaires d'histoire ;)
Maintenant que j'ai enfin terminé cette série, je vais reprendre l'histoire romaine, alors à priori la prochaine fois on parlera de Rome, de Mithridate, de Pompée et de la piraterie à l'époque antique ! Salut à tous et n'oubliez pas : l'Histoire est essentielle. Sans elle, on est des robots !

2 commentaires:

  1. Bon, je reposte mon commentaire vu que l'autre s'est supprimé tout seul --'
    Je disais donc:
    Superbe article! Ça faisait longtemps que je n'avais pas mis le nez dans de l'histoire! J'ai pu me rafraîchir la mémoire sur certains points et en découvrir d'autres :)
    L'Angleterre pendant la révolution industrielle est vachement passionnante si tu es à cours d'inspiration pour ce type d'article ;)

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    1. Et bien malheureusement le côté industrialo-social de l'Angleterre victorienne n'est pas mon préféré, notamment parce que c'est pratiquement tout ce qu'on étudie dans le secondaire en histoire, et c'est aussi un de mes partis pris plus ou moins assumés que d'éclairer les gens, en histoire, sur des aspects ou des périodes moins connus, du coup désolé, je ne crois pas en parler ici ^^

      Par contre, je ne manque pas du tout d'inspiration ou en l'occurrence de cours de fac, mais les prochains articles de la catégorie sont presque tous consacrés à l'histoire romaine, avant de revenir sur une petite série médiévale que j'avais déjà écrite sur mon précédent blog et probablement sur un ou deux articles (dont un lié au cinéma) dont j'ai eu l'idée ces derniers mois ;)

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