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4.6.17

La bonne fantasy, la mauvaise fantasy, et la propagande.


Le monde de Narnia : le Lion, la Sorcière Blanche et l'Armoire Magique.

Film américain d'Andrew Adamson (2005) avec William Moseley, Anna Popplewell, Skandar Keynes, Georgie Henley, Tilda Swinton, James McAvoy, Patrick Kake, Jim Broadbent et la voix de Liam Neeson.
Genre : fantasy.
Vu en VOST.

Londres, 1940. Peter, Susan, Edmund et Lucy Pevensie sont quatre enfants dont le père a été envoyé affronter l'Allemagne Nazie. Leur mère décide de bénéficier d'un programme envoyant les enfants de la capitale anglaise à la campagne pour les protéger des bombardements ennemis.

La fratrie est donc envoyée dans la riche demeure du professeur Diggory Kirke, un vieil excentrique distant. Les frères et sœurs sont donc d'autant plus moroses qu'ils ne s'entendent guère. Un jour, Lucy, la plus jeune, prétend avoir découvert une forêt hivernale dans la grande armoire d'une chambre d'amis vide.


Alors, autant le dire, je vais spoiler Narnia, le film, le livre, et la saga littéraire. Mon objet n'est pas ici de présenter un film dont beaucoup voire tout le monde le connaît déjà que de proposer une vision plus large enrichie par ma connaissance de son contexte et de la fantasy.

Commençons par un fait évident et logique : l'auteur de l'histoire originale, Clive Staples Lewis, est un universitaire anglais du milieu du XXème siècle qui appartient à un cercle d'auteurs érudits dont le plus célèbre (et célébré) est un certain John Ronald Reuel Tolkien. Boum. Alors tout de suite, ça met les choses en perspective : les deux font de la fantasy, mais pas pour le même public et clairement pas dans le même objectif, je crois pouvoir l'affirmer même si je ne connais pas la vie et les positionnements personnels et sociétaux de C.S. Lewis.

Alors en fait, CS Lewis, avec ses petites lunettes rondes, il me rappelle Heinrich Himmler, proche d'Hitler, chef de la SS, principal penseur de la Shoah, et donc probablement un gros sexiste conservateur de première. Du coup direct l'auteur anglais m'est pas sympathique.
Ah oui, que quelqu'un m'apporte mon Point Godwin, merci.

Mais bon, revenons au film. Nous sommes en 2005, le Seigneur des Anneaux de Peter Jackson est terminé mais a relancé la fantasy sur grand écran, tombée en désuétude depuis le Willow de Ron Howard à la fin des années 80 (mis à part quelques projets de second rang comme Cœur de Dragon ou le Donjons et Dragons de sinistre mémoire avec Jeremy Irons. Si vous voulez rigoler un coup, allez voir ce qu'en dit le Nostalgia Critic), Harry Potter a commencé à instiller l'idée que la fantasy en série pour les jeunes a aussi du potentiel, et Walden Media - une société fondée par un magnat du pétrole qui cherche le bon filon (me remerciez pas c'était gratuit ♥) - fouille la fantasy à la recherche d'une autre licence en série pour jeunes pour l'adapter.
Franchement, heureusement qu'ils ont trouvé Narnia, j'aurais pas supporté de voir La Belgariade désintégrée sur grand écran.

Le problème c'est que - A la croisée des mondes l'a démontré quelques années plus tard avec une adaptation plutôt correcte quoiqu'amputée de ses plus grands enjeux, raison pour laquelle elle a été bashée à tort par les putains de hooligans qui servent de fans à l'œuvre surestimée de Philip Pullman, pour ma part je me suis fait chier en lisant ces livres et j'ai parfaitement conscience de m'être fait plein d'ennemis d'un coup mais un tel niveau de mauvaise foi c'est comparables aux détracteurs de la prélogie Star Wars - la fantasy est en partie destinée à traiter les enjeux sociétaux (comme la SF, sauf qu'au lieu de le faire dans le futur, on le fait dans un Moyen-Âge fantasmé) et que ça peut être très bon (comme A song of Ice and Fire, le titre original de la saga littéraire que vous appelez tantôt Le trône de fer, tantôt Game of Thrones) ou très mauvais.
Comme Narnia.

L'autre problème des films Narnia c'est leur incapacité symptomatique à se renouveler : Aslan partout, déjà, c'est incontournable, mais en plus les scénaristes sont infoutus de se détacher de la Sorcière Blanche, qui dans les livres disparaît dès la fin du 2 (un nain noir, une harpie et un loup-garou, des créatures "maléfiques" donc, envisagent de la rappeler pour tuer les Telmarins chez Caspian, mais ce n'est même pas tenté, contrairement au film où la tentation est offerte à Peter et Edmund -_-').
J'ai jamais terminé ce déchet d'Odyssée du Passeur d'Aurore. Il semble qu'une adaptation du tome 6, Le Fauteuil d'Argent, est en préparation. Je l'attends même pas.

Le Lion, la Sorcière Blanche et l'Armoire magique, c'est basiquement le cas d'école d'une œuvre naze qui, adaptée sur grand écran, accouche d'un truc plutôt correct grâce aux efforts d'interprétation et à la vision du réalisateur - un peu comme Twilight 3 et 4.1 (ceux avec les loups qui bastonnent sec) ou Hunger Games 1.
La structure du récit est même assez originale et sert bien le propos : le schéma narratif classique c'est une situation initiale, une perturbation, une période de troubles pour les personnages, puis une résolution.

Ici dès le début ça pue du cul, et ce pendant une bonne moitié du film. Les enfants sont évacués d'une ville bombardée, paumés dans une maison peu rassurante sous la férule d'une gouvernante tyrannique avec pour seul lien au monde une radio qui relaie les combats de Londres, ils s'engueulent, se retrouvent dans un monde magique hivernal et hostile, leur vie est menacée quatre fois de suite, et seulement après, on commence à respirer.
Le propos servi, en revanche, est en demi-teinte. Les gamins sont confrontés à une prophétie, et même s'ils la rejettent dans un premier temps, ils sont à terme forcés de s'y tenir : au début, ils se foutent de Narnia et veulent juste récupérer Edmund, mais pour lui sauver les miches ils sont obligés de dégommer la Sorcière qui garde le passage vers leur monde.

En fait, les Pevensie ne cessent d'aller vers le sud-est à partir de la Lande du Réverbère, et la Sorcière fait pareil, mais un peu plus au nord. Du coup, en arrivant au camp d'Aslan peu avant qu'Edmund soit libéré de celle-ci, même s'ils voulaient se casser vers l'Armoire, ils la trouveraient sur leur chemin. Avec son armée de monstres meurtriers.

Cependant, je l'ai dit, le problème de Narnia en général et de ce tome en particulier, c'est le fond nauséabond, la morale patriarcale et religieuse qui imprègne tout le récit, et pour en parler, je vais devoir élargir à toute la série.
Dans l'histoire de Narnia, la figure tutélaire - et présente dans chaque livre - d'Aslan représente à la fois Dieu et les prophètes : dans ce volume 2, il consent à se sacrifier pour sauver la vie d'Edmund Pevensie avant de renaître et de défaire ses ennemis - comme Jésus - et il incarne la force et l'espoir par sa seule présence, qui rassure ses alliés et terrifie ses ennemis.
Dans le volume 1 de Narnia, Le neveu du magicien, le jeune Diggory Kirke et son amie Polly réveillent par mégarde Jadis, la Sorcière Blanche, d'un sommeil magique, l'emmènent malgré eux à Londres, puis ils aboutissent dans une terre "non-née" avant qu'un lion ne débarque pour créer la lumière, la terre, la vie et tout le reste, façon Ancien Testament : c'est le début de l'histoire du pays de Narnia.
Dans le tome 7 enfin, qui mêle les intrigues de Narnia et de Calormen, un pays d'inspiration orientale au sud de Narnia (les Arabes, le nomadisme, les tribus, les sabres courbes, le sultan, le désert, tout ça), Aslan annonce à un moment à des Calormènes terrifiés qu'ils n'ont pas à le craindre, puisque lorsqu'ils font le mal et agissent par peur, ils vénèrent Tash, leur propre dieu (qu'on sait monstrueux et maléfique), tandis que leur capacité à faire le bien les place sous l'égide d'Aslan lui-même, en une parenté à peine déguisée entre Dieu et Allah d'une part, Jésus et Mahomet d'autre part - le Coran établissant un lien de continuité entre les monothéismes et les prophètes.

Le cadre du sacrifice d'Aslan par Jadis, la Sorcière Blanche, au milieu de ses séides.
Si t'as l'impression que tu vas assister à un rituel satanique c'est normal.
Mention spéciale à la réplique "ce n'était qu'un gros chat, et il est mort !" Parce que depuis l'aube de l'humanité dans la culture, faire saigner un dieu, ça le rend tout de suite moins divin. Ce qui me rappelle le "certains aimeraient bien prouver qu'il n'est qu'un homme" de Hagrid à propos de Dumbledore dans Harry Potter et la Coupe de Feu en livre.

Mais ça s'arrête pas là, sinon ce serait pas drôle.
Au racisme et à la propagande chrétienne latents s'ajoute un bon vieux sexisme des familles. Susan Pevensie est un personnage que j'apprécie assez dans Le Lion, la Sorcière Blanche et l'Armoire Magique - elle est rationnelle et logique, conteste d'abord la possibilité que Narnia puisse exister dans une armoire, puis se méfie quand un oiseau et un castor interpellent les enfants, ronchonnant quand elle s'aperçoit que Narnia est très grand.
Ce comportement fait d'elle la râleuse du groupe, et déjà ça craint (outre que ses attributs, le Cor et l'Arc, sont quasiment pas utilisés dans le film (manquerait plus qu'elle soit une guerrière !)). Ensuite, elle se confronte régulièrement à Peter, systématiquement avant d'être remise à sa place ou de se ranger à l'avis de son aîné. Et puis surtout (outre que dans le second film, Le Prince Caspian, elle devient "la greluche amoureuse de Caspian (qui dans le livre, a plus ou moins le même âge qu'Edmund)) - dans le tome 7, La dernière bataille, alors que Narnia est envahie par Calormen puis détruite, on retrouve les "héros de Narnia" des sept livres : les Pevensie et Diggory Kirke, tués dans un accident de train dans le monde matériel, sont du nombre, sauf Susan. Contrairement à sa sœur et ses frères, "elle a cessé de croire en Narnia pour s'intéresser aux fêtes, aux rouges à lèvres et aux bas en Nylon."
De fait, elle est présentée en sa propre absence comme un personnage frivole parce qu'elle a découvert la puberté et la sexualité (son grand frère Peter, par contre, ça va), du coup elle ne mérite pas le paradis : oui parce que Narnia est détruite et tout le monde (tous les gentils en tout cas) se rend "dans le vrai Narnia", qui est basiquement un genre d’Éden où tout est plus vrai, plus sensible, plus mieux, où Aslan guide et accueille tout le monde. Tu sais, Aslan-Dieu-Jésus.

Je suis pas tout à fait sûr qu'on puisse faire plus éloquent en termes de métaphore christique. Mais bon, je suis pas expert en irruptions de de la symbolique chrétienne dans le cinéma...

Bref, tout ça pour dire que, tout au long de l'heptalogie (sept livres dont certains comme Le cheval et son écuyer, le troisième, qui se déroule sous le règne des Quatre Rois et Reines, ou encore Le Fauteuil d'Argent, le sixième, sont assez dispensables), C.S. Lewis met en avant des thèses plus que discutables et condamnables, ce que n'ont pas manqué de faire certains auteurs ultérieurs comme Philip Pullman et J.K. Rowling. Et si on peut reprocher l'inconsistance de l'univers de cette dernière, elle peut pas être accusée de brimer les minorités et d'être conservatrice.
J'ai lu sur Wikipédia, entre autres (je précise que tout ce que j'ai dit là, je l'ai appris en lisant et en analysant les livres, pas sur Wikipédia, je suis allé voir juste pour me rappeler l'ordre des tomes), que pour comprendre Narnia il fallait le traiter non par l'ethnie, mais par la foi. Ce qui revient à dire que si les Calormènes sont perpétuellement présentés comme des sales cons barbares, ce n'est pas parce que ce sont des Arabes ou des Turcs. C'est parce qu'ils vénèrent pas le bon dieu. *facepalm*

Le Monde de Narnia est raciste, sexiste, conservateur, et un archétype de la propagande chrétienne façon I, Frankenstein (le film au moins, j'ai pas lu le comic).
Ah bah c'est dommage hein, parce que le film, en dehors de ces aspects et sans considération pour le reste de la série, est très intéressant ! Déjà, le casting est vraiment sympa, y'a pas d'acteurice connu-e à part Jim Broadbent un peu sarcastique en Diggory Kirke, et on y croise un bébé James McAvoy qui n'était pas encore un incontournable ♥ Les enfants-ados jouent bien et même les acteurs secondaires comme l'interprète du centaure Oreius ont la tête de l'emploi.

James McAvoy avec 10 ans de moins. Aaaawwwwwww *o*

Il a deux épées courtes, une épée longue, il se bat trop bien, il a une armure de ouf, et sincèrement il met tous les canassons de Harry Potter en PLS. Comme quoi les effets spéciaux, si tu les utilises bien... 
En plus, Patrick Kake quoi, mattez-moi ces biceps \o/

Pour être honnête, quand j'ai vu le trailer du film, des mois avant sa sortie, j'étais tellement hypé que j'avais mis un compte à rebours actualisé tous les jours à la fin de mon pseudo sur MSN (et là, des douzaines de têtes o_O genre "c'est quoi MSN ?" ^^). A un moment, j'étais tombé sur un hors-série d'un magazine consacré à Narnia, que j'avais acheté, du coup je connaissais les détails de tournage, le bestiaire et tout.
Andrew Adamson, qui avait eu un boulot assez gérable sur les deux premiers Shrek - des images de synthèse et des animateurs - s'est soudainement retrouvé, en plein essor de la Nouvelle-Zélande et en plein come-back des effets spéciaux plastiques, à gérer 4 enfants, des centaines de personnes, des artisans, des chevaux et des costumes monstrueux.

Oui alors que ce soit clair : c'est pas numérique hein. C'est un vrai costume avec un vrai mec appelé Shane Rangi à l'intérieur. Trente kilos de muscle, de poil et d'armure et une grosse tête cornue à enfiler tous les jours de tournage. A la fin il devait sentir comme son personnage. YEAH.

Le résultat ? Une image qui n'a pas vieilli d'un poil, avec des minotaures bluffants - l'interprète maori d'Otmin, le général de Jadis, devait porter un costume de 30 kilos dont presque le tiers juste pour la tête - des minoboars (la même chose mais avec une tête de sanglier), des nains rouges et noirs, de nombreux animaux parlants (bon, ceux-là sont numériques ^^) et d'innombrables et magnifiques références aux mythologies : faunes, satyres, centaures, dryades, griffons et autres harpies. Des géants et des cyclopes.

Non mais clairement, visuellement, ce film est une merveille. En plus, après les Shrek, Andrew Adamson a pensé à partir de chez Dreamworks avec son compositeur perso sous le bras : j'te le donne en mille, les musiques de Narnia sont signées Harry Gregson-Williams. Il figurait en bonne place dans le quintet de mes compositeurs préférés et il a pas volé sa place.


Ça c'est la magnifique musique qui clôt la bataille de Beruna et fait la transition sur le couronnement des Quatre Rois et Reines, en mode "mais c'est maintenant que la vraie aventure commence !"
D'ailleurs, c'était déjà l'idée du joli Peter Pan de 2003, que la vie est une super aventure en soi.

Qu'il s'agisse du drame d'une famille déchirée, lors de l'évacuation de Londres, ou de la grosse bataille à la fin, la bande-son est d'une force et d'une justesse assez balèze. Le thème principal, déjà présent dans le trailer, accompagne très joliment la transition entre la carte de Narnia et la plaine de Beruna où l'affrontement a lieu. Il faut admettre qu'Harry Gregson-Williams, un compositeur plus connu pour les thrillers urbains et les ambiances, qui jusque là n'avait approché la fantasy que pour Shrek et essentiellement pour son thème principal (le reste étant surtout constitué de chansons préexistantes, mais comme je l'ai déjà dit plusieurs fois, pour bien parler de la BO des Shrek, surtout le 2, il me faudrait un article dédié), a appris très vite à pallier ce manque. Difficile de trouver ne serait-ce qu'un instant de ce Narnia dans lequel on est pas complètement immergé dans l'aventure, le voyage et la féérie.


Ça commence à 1 minute 21, et c'est juste putain de trop beau O_O


Ah oui au fait, avant qu'on se quitte, une petite anecdote : dans ce film, on voit à un moment le Père Noël qui dit, avant de quitter les Pevensie (et après leur avoir filé des cadeaux, "tools, not toys", des outils, pas des objets -> une épée et un bouclier, un arc et une corne, une dague et une potion de soin) que l'hiver est bientôt fini et qu'il a beaucoup de travail avant qu'il ne se termine. L'interprète du Père Noël s'appelle James Cosmo.
Là comme ça, ça te dit sûrement rien.
....je trouve hilarant que l'acteur dont le personnage salue avec joie la fin de l'hiver est le même qui passe son temps à dire "Winter is coming" et "on va en chier tout l'hiver avec la neige et les Marcheurs Blancs" parce qu'il est Commandant de la Garde de Nuit.
Voilà, c'est le genre d'ironie de carrière ciné que j'adore \o/


En bref : ce film est absolument magnifique, principalement parce qu'il est le témoin d'une époque. Au tout début des années 2000, dans le sillage du Seigneur des Anneaux de Peter Jackson et alors que le cinéma renouait avec le réalisme des tournages et des techniques, il permet, tout aussi efficacement que Harry Potter filmé à Westminster et en Écosse, de mettre en scène une histoire immense et riche de détails, à la fois dans son matériau narratif et visuel. Les effets spéciaux physiques, des costumes aux accessoires en passant par les décors de Nouvelle-Zélande, ne font que renforcer le propos sous-jacent d'une aventure et d'un voyage.
Bien sûr, il faut faire abstraction des thèmes parfois répugnants, mais le Narnia d'Andrew Adamson n'est pas celui de C.S. Lewis : il est porté par des interprètes passionnés et orchestré par un compositeur de grand talent. Clairement une œuvre qu'il faut avoir vue et estimée à sa juste valeur.

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