J'étais garde du corps d'Hitler.
Auteur : Rochus Misch - propos recueillis par Nicolas Bourcier.
Origine : Allemagne/France.
Nombre de livres : 1.
Date de publication : 2006.
Genre : biographie historique.
Allemagne, 2004. Rochus Misch est l'un des derniers survivants du Begleitkommando Adolf Hitler, l'unité de gardes du corps du Führer de l'Allemagne Nazie. Avec une notoriété tardive à l'occasion de La Chute, film des derniers jours d'Hitler par Oliver Hirschbiegel, Rochus Misch rencontre un journaliste français du journal Le Monde, et accepte pour lui de revenir sur sa jeunesse.
Sur celui qu'il était du début des années 1930 à 1945, l'un des hommes à tout faire de l'entourage direct d'Hitler.
(le titre de cet article n'est pas du tout une référence à un article précédent de la même série sur la 2GM, je vois pas bien ce que tu essaies d'insinuer, Internet)
Donc je suis tombé complètement par hasard sur ce livre, au marché de Wazemmes (dans le coin qui fait brocante) et j'ai immédiatement pensé à mon ami Adrien (qui l'a déjà lu, donc inutile de lui prêter). Et curieusement, ce que j'ai trouvé extrêmement intéressant et original dans ce récit de la vie de Rochus Misch, c'est absolument tout ce qu'on n'y attend pas : son ignorance.
J'veux dire, dès qu'on a un récit de première main (ou presque) sur l'entourage personnel d'Adolf Hitler ou sur les nazis les plus importants du IIIème Reich, on s'attend toujours à des révélations, des détails précis, des éléments qui nous encouragent dans notre conviction que ces gens-là étaient d'impitoyables monstres. J'y connais rien à la psychologie mais je pense qu'on a besoin de se confronter à ça pour être confortés dans notre humanité.
Ça a été le cas avec La Chute, avec la secrétaire d'Hitler, avec, probablement, les mémoires du maréchal Paulus (dont je reparlerai dans le troisième et dernier article de cette courte série sur la 2GM), après sa captivité en Union Soviétique bref, dès qu'on entre dans le cercle privé des pires criminels de l'Allemagne Nazie, on s'attend à se poser cette sempiternelle question, "comment ces gens ont-ils pu travailler consciemment pour des monstres ?", ou au moins à avoir une réponse à la question "est-ce qu'ils étaient conscients, dès le début, que leurs patrons étaient des monstres ?"
Eh bien, rien de ça dans ce livre.
J'apprends en illustrant cet article qu'il y a eu plusieurs biographies, probablement similaires, de Rochus Misch ces dernières années. Et aussi qu'il est mort à 96 ans en 2013. Sans jamais avoir regretté d'avoir travaillé pour Hitler.
Bien que la préface de Nicolas Bourcier dit que la lecture de ce récit nous montre - encore - comment l'instauration d'un régime politique aussi criminel a pu être possible, on est très vite déçu face à l'attente de lire les propos d'un énième complice subalterne. Effectivement, si tous les Allemands et les Allemandes qui travaillaient dans l'administration étaient du même acabit que Rochus Misch, le nazisme d'état a dû passer crème.
Dès le début, cet homme apparaît comme ce qu'il a probablement toujours été : insignifiant. Il est âgé de 88 ans au moment de sa narration, son épouse, qui a participé au socialisme ouest-allemand après la guerre, est décédée depuis plusieurs années, sa fille ne lui parle presque plus, et on dirait bien que son rôle dans l'Allemagne Nazie est tout ce qui lui reste.
Sa biographie commence donc avec son enfance en Silésie (actuelles Pologne et Tchéquie) et son adolescence en Saxe, où il étudie le dessin et la peinture. Par la suite, il suit une formation en arts, aménagement intérieur et graphisme publicitaire, sans jamais s'intéresser à la politique ou à Hitler - on est alors entre 1932 et 1936 - bien qu'il ait assisté aux Jeux Olympiques de Berlin en 36. C'est seulement après son service militaire en 1937 qu'il fait le choix de prolonger celui-ci afin de garantir son accès à l'emploi directement au service de l'État et qu'il se retrouve dans une unité militaire spéciale, qui deviendra le commando attaché à la protection du Führer.
Et pendant les 8 années suivantes, à quelques exceptions près lorsque l'unité sera envoyée en Tchécoslovaquie, en Autriche ou en Pologne - et même pas pour y faire feu, mais juste pour des coups de force ou pour regarder la Wehrmacht, l'armée régulière, faire le boulot - la vie de Rochus Misch est rythmée par la présence du Führer, soit à la chancellerie de Berlin, soit dans les différents QG (dans la Tanière du Loup de Prusse-Orientale contre l'URSS, dans le Nid d'Aigle en Bavière), soit dans les derniers mois dans le bunker berlinois.
Y'a même un plan détaillé du bunker de Berlin à la fin, et juste après un plan de la chancellerie. Bon, vu comme ça c'est pas lisible, mais clairement, c'était un terrier en béton dénué de confort. Je dis ça pour les malheureux qui ont dû se planquer là-dedans en 1944/45 à cause d'Hitler.
Basiquement, l'unité de Misch ne se contente pas de protéger Hitler et Eva Braun, elle est partie intégrante du fonctionnement de l'exercice du pouvoir. Elle est affectée au courrier, au standard téléphonique, à la transmission des dépêches, et c'est là qu'on comprend pourquoi ce livre est si intéressant dans ses révélations : il ne s'agit pas de ce que l'auteur sait, mais de ce qu'il ignore.
L'une des règles de base d'Adolf Hitler, par exemple, c'est qu'on parle pas d'affaires d'état à table. Pas de politique, pas de guerre, rien que du privé. Le Führer reçoit régulièrement, lors de ses repas, des hôtes invités ou recommandés par l'entourage proche, et on parle d'art, de culture, de musique... Les soirées se terminent à l'occasion par la projection d'un film, et tout le monde au lit.
Adolf Hitler travaille jusque tard dans la nuit, se lève tard et n'a une première réunion que vers 11h le matin... c'est bourré de petits détails sur la domesticité, sur les petites mains, assistants, secrétaires, officiers d'ordonnance, mais il n'est jamais question d'Hitler comme personnage public.
D'ailleurs, comme je l'ai mentionné à propos du film sur Reinhard Heydrich, il y a dans le régime nazi une obsession du secret qui fait que l'information est cloisonnée et que, par exemple, la Shoah ne soit presque jamais évoquée comme telle. Tant les rapports officiels qu'Hitler, Goebbels (ministre de la propagande) et Himmler (chef de la SS) utilisent des termes abstraits pour évoquer "la question juive", "la solution", "les transferts" et autres données quasiment statistiques.
Bref : sur ce que le public s'attend à voir évoqué dans un tel livre, Rochus Misch ne sait rien. Il ignore tout du génocide des juifs, des handicapés, des homosexuels et des Tziganes, il n'est guère informé sur la guerre et il ne sait pas grand-chose sur les mouvements alliés. Les dépêches qu'il transmet, il les lit à peine et les oublie aussitôt. C'est juste un secrétaire amélioré en uniforme SS.
La nouvelle chancellerie du Reich, construite en 1938, d'après une image wikipédia légendée ici : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Karte-reichskanzlei.jpg
Par contre, il y a effectivement quelques révélations. Sur les rapports personnels entre Hitler, Eva Braun et leur entourage ou même avec les grands pontes du régime et sur les réactions du Führer aux grandes annonces comme l'envol de Hess en Écosse en 1942 ou la décision d'Herman Goering (ministre de l'Air et successeur désigné d'Hitler) de demander la paix aux Alliés sans l'accord d'Hitler en avril 1945.
Manque de pot, Misch a été absent lors de quelques événements comme l'assassinat de Heydrich en 1942 (il avait été envoyé en cure au loin par le médecin personnel d'Hitler), mais on connaît déjà les réactions - Hitler a notamment protesté qu'Heydrich avait été trop désinvolte avec sa propre sécurité. Mais sur les tous derniers instants du régime nazi, c'est plus intéressant, parce que, sans être expert de l'histoire nazie, je crois pas qu'on ait beaucoup de témoignages de première main sur le suicide d'Hitler et Eva Braun ou sur l'état d'esprit de Magda et Joseph Goebbels, qui se sont donné la mort après avoir empoisonné leurs cinq enfants.
Bien sûr, c'est, à la toute fin du mois d'avril 1945, la débandade qu'on peut imaginer, mais Rochus Misch a le mérite de pouvoir narrer les dernières semaines, dans le bunker humide et inconfortable, la survie dans le terrier pendant que les Alliés occupent l'Allemagne, dans un tableau général de l'effondrement du régime qu'on n'avait presque pas jusque là.
Ce qui contrebalance pas mal le reste du récit qu'on peut souvent résumer à "j'étais au service de cet homme, c'était mon chef, il était sympa avec nous et j'ai jamais soupçonné qu'il avait pu initier la plus grande tuerie de masse du siècle."
En bref : très curieux livre que cette biographie. Pour une fois, le récit d'une vie est intéressant par ce que l'auteur ignore et ce qu'il n'a pas vu dans son existence que par ce dont il a été témoin ou acteur. Malgré sa formation et son parcours, le caractère personnel de Rochus Misch semble faire de lui un naïf inconscient, qui a fait son travail avec application sans jamais s'intéresser au reste du monde et aux actes de ses supérieurs. On en apprend beaucoup en lisant l'histoire de sa vie, mais pas comme on s'y attendrait : effectivement, il démontre ne nouvelle fois comment le régime nazi a pu exister.
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