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29.3.17

Ils doivent se faire chier en Scandinavie, pour devenir aussi souvent des meurtriers ^^


Block 46.

Auteur : Johana Gustawsson.
Origine : France.
Nombre de livres : 1.
Date de publication : 23 octobre 2015.
Genre : thriller.


Cette photo et la couverture du roman
viennent  du blog de Bragelonne
à cette adresse.
L'auteur.
Johana Gustawsson, née en 1979, est diplômée de Sciences Politiques. Après une carrière de journaliste pour la presse et la télévision en France, elle a émigré vers l'Angleterre. Elle vit actuellement à Londres d'où elle a publié deux romans, Block 46 en 2015 et Mör en 2017.


Falkenberg, Suède, de nos jours. La police de la petite ville côtière, dirigée par le commissaire Bergström, découvre le corps mutilé d'une jeune femme non loin de sa maison.
A Londres, l'écrivain française Alexis Castells, spécialisée dans les biographies de tueurs en série, se rend à un grand événement de la mode et de la joaillerie, où son amie Linnéa Blix, qui devrait être la star de la soirée, est absente. Très vite, la police suédoise la contacte pour identifier la victime de la plage, qui s'avère être Linnéa elle-même.

L'affaire se complique cependant très vite : Emily Roy, vieille amie d'Alexis et profileuse chez Scotland Yard, enquête sur une série d'assassinats similaires dans la capitaine anglaise...


Alors. Par habitude et parce que j'aime à la fois la digression et expliquer les choses, je vais commencer par remettre les choses en contexte. Un de mes meilleurs amis, mon Bro Adrien, travaille dans une librairie lilloise spécialisée dans les romans noirs et les thrillers judicieusement nommée Humeurs Noires, et possédée par un oiseau de mauvais augure ("Maître Corbac, sur une enseigne perché, tenait en son bec un polar. Maître Chacal, par le titre alléché, décida d'aller le lire au bar"... ok, pardon, c'était un mauvais pastiche. Adrien, Olivier, si vous passez par là... bienvenue sur mon blog ^^).
D'ailleurs si vous êtes lillois-e et curieux-se, la librairie se trouve du côté du marché de Wazemmes, pas très loin de la  rue Gambetta.

Bref, comme vous le savez si vous me connaissez, je lis essentiellement de la SFFF (science-fiction/fantastique/fantasy), mais je suis assez curieux, du coup j'ai été ravis de constater que chez Humeurs Noires, le libraire connaît très bien ce qu'il vend et sait conseiller sans problème ses clients. J'vous avoue que les vendeurs du Furet du Nord et de la Fnac à qui je demande parfois de la fantasy, je les soupçonne fort de pas l'avoir lue.
Et donc Olivier m'a conseillé Block 46 de Johana Gustawsson, que j'avais déjà repéré pour son intrigue qui me rappelle un peu la trilogie Millenium (des morts en Suède, du mystère et un passé répugnant à déterrer) : de fait, j'ai adoré ce livre.

Block 46, c'est l'histoire d'Emily Roy et surtout Alexis Castells (qui comme son nom ne l'indique pas, est une femme), histoire dans laquelle on pourrait bien reconnaître l'expérience de Johana Gustawsson elle-même : une Française à Londres, écrivain de surcroît, et une histoire de déportation dans le camp nazi de Buchenwald. Mais bon, tous les auteurs mettent leur culture et leur savoir dans leurs livres, c'est logique, compréhensible, et je fais pas exception à la règle.
Au-delà de ce duo d'enquêtrices, le roman met en scène quelques personnages qui font avancer l'intrigue, malgré l'épaisse chape de mystère qui domine l'essentiel de son déroulement, dont j'ai beaucoup aimé l'écriture. Bergström évidemment, le commissaire qui a l'air d'un marin éprouvé, Olofsson c'est le flic qui est un peu chiant, Stellan c'est le type sympa qui veut se faire Alexis (c'est à peine éludé, ce que j'ai trouvé assez marrant), et il y a surtout Erich Ebner et le docteur Fleischer, puisque Block 46 se déroule sur deux temporalités. En Suède de nos jours, et dans un camp de concentration entre 1944 et 45.

En fait c'est ça qui fait une bonne histoire, je trouve, la fantasy me l'a bien montré. Même si tu connais pas les noms de personnages et que tu as un peu de mal à les retenir, s'ils sont bien écrits et caractérisés, on s'y attache et on mémorise plus facilement les détails de leur personnalité, de leur parcours ou convictions.
Je précise en outre que, loin du sexisme ordinaire, Emily et Alexis ne sont pas du tout des enjeux narratifs sans consistance. Elles sont jugées sur leur apparence et leur physique, et c'est ce qui fait leur force : on ne soupçonne pas une jolie femme apparemment inoffensive ou une enquêtrice au physique négligeable d'être aussi fortes et aussi douées pour l'investigation.
J'ai adoré tout particulièrement le fait qu'Emily, si froide et distante en société, traitant son métier de profileuse des tueurs avec détachement et rationalité, se montre versatile et chaleureuse pour mieux aborder l'aspect humain de l'enquête, discuter avec les gens et les faire parler - ce dont Alexis est la première à s'étonner. D'ailleurs c'est pareil pour Erich et Fleischer, leur attitude et leurs actes sont souvent changeants ou présentés comme tels qu'on sait pas bien ce qu'on ressent pour eux, c'est assez fascinant x)

Non parce que, c'est un truc que j'adorais déjà dans la dark-fantasy et que j'ai pas beaucoup retrouvé par ailleurs dans mes lectures habituelles, le polar se fout totalement du manichéisme. Y'a pas vraiment de Gentils parce qu'ils sont trop confrontés à la noirceur pour être immaculés et les Méchants sont justement écrits pour mettre en lumière les aspects les plus détestables de l'Humanité, de la psychopathie à la manipulation en passant par le mensonge et le meurtre.
Block 46 traite donc très justement ses enjeux, du deuil (d'Alexis qui semble avoir un passé chargé) à l'intimité - notamment de Linnéa qui est découverte comme vachement plus secrète et changeante qu'elle ne semblait l'être de prime abord, histoire en bonus d'écorner un peu l'image de cette pauvre victime - en passant par l'impact des événements sur notre manière d'être. Par exemple, j'ai trouvé très sympa qu'Emily Roy invite spontanément son amie à participer à l'enquête, dans une sorte de démarche cathartique (pour se remettre du meurtre de son ex-mari et pour venger la mort de Linnéa) [spoiler] tandis que, d'un autre côté, le livre pose une question dure et pertinente : peut-on survivre indemne à la Shoah et l'expérience de celle-ci peut-elle transformer une victime en meurtrier psychopathe ? [fin de spoiler].
Enfin, la question de la déportation, de la vie dans les camps de concentration et du devenir des victimes est traitée - c'est logique vu le passif de l'auteure - avec beaucoup de respect et de pertinence, qualifiant de surhommes non pas les Aryens vantés (à tort en plus, parce que ça existe pas) par les nazis, mais les déportés qui ont subi un traitement aussi ignoble et pour certains en ont réchappé.

Sans grande surprise, le style du roman, vu son genre et ce qu'il raconte, est assez suggestif, sinon carrément démonstratif. Pour commencer, la vie d'Erich Ebner à Buchenwald, son récit de la Shoah, de la vie au camp entre les Blocks 50 et 46, des fours crématoires et de la science du IIIème Reich sont absolument insoutenables, certains éléments du livre sont parfois terrifiants...
Ensuite, des morts à la pelle, des mutilations physiques, des tortures psychologiques et en prime la plongée dans l'enfer de la tête d'un tueur, rien ne nous est épargné ^^
Ah ça je m'y attendais pas et j'ai bien aimé. Direct, bim, le roman commence par un chapitre où on voit ce dernier enterrer une victime. Ça m'a dérouté j'étais genre "attends, qu'est-ce que je viens de lire là ? o_O" et ça continue par la suite, Johana Gustawsson alternant le point de vue d'Alexis et Emily, de nos jours, celui d'Erich Ebner depuis 1944, et celui du tueur en pleine introspection avant ou après un meurtre.

Mör, nouveau roman de Johana Gustawsson, sorti en mars 2017
et sur lequel je vais rien dire pour spoiler personne à propos de Block 46.

N'étant pas lecteur assidu de polars, thrillers et romans noirs - au point d'être incapable de définir ou de démarquer les trois - j'ignore si la narration de ces genres est fondée sur l'ignorance du lecteur, malgré l'importance du suspense. C'est vrai quoi, on peut surprendre le public même après l'avoir abreuvé d'informations, en le menant sur de fausses pistes, alors que là, si on s'identifie très bien aux deux femmes principales, c'est surtout parce que, comme elles, on patauge et on est mené nulle part.
Du coup c'est encore plus plaisant de progresser dans la lecture, de commencer à collecter les pièces du puzzle, de voir les personnages en faire autant alors que leurs investigations aboutissent, et plus encore de découvrir une énorme révélation [spoiler] autour d'Erich Ebner [fin de spoiler] à quelques pages de la fin. Sérieux j'étais genre "putain quoi ? O_O ...oh la vache... sérieux... QUOI ?!?". Haha, je vais pas vous spoiler, mais ce renversement de ouf, c'est tellement génial ! De quoi donner un tout autre sens à tout ce qu'on a lu jusque là ^^

Bon après, y'a bien le repérage dans l'espace, en intérieur comme en extérieur, qui est parfois imprécis, le livre décrit abondamment les lieux traversés par Erich, Emily et Alexis, mais parfois on s'y retrouve pas bien dans les détails. Après, sans connaître Falkenberg ou Londres (c'est dingue le nombre d'auteurs qui écrivent sur cette ville en évoquant plein de quartiers et de rues comme si tout le monde les connaissait ^^), on n'est pas perdu-e.
On sait que la première est une petite ville du nord-ouest de la Suède - et c'est hallucinant de voir le nombre d'auteurs et de livres liés au polar ou au thriller en Scandinavie, alors que la région passe pour être plutôt calme et pacifique, leur imagination est sanglante ^^ - que le cadre est couvert de neige - l'intrigue se déroulant en janvier - alors on se fiche un peu de savoir dans quel sens tourne telle route ou quelle est la disposition des maisons. C'est davantage le cadre général qui importe et le texte reste compréhensible sans être dans la tête du narrateur ou de l'auteur-e.


En bref : pour quelqu'un qui n'est pas spécialement fan de polars et même qui en lit très peu, j'ai été absolument conquis par celui-là. C'est un premier roman, donc il est difficile de déceler un style propre à Johana Gustawsson qui risque de dominer son œuvre - cela dit, elle vient de publier la suite de Block 46 et je vais sûrement l'acheter - mais ce qu'elle raconte ici, entre enquête lente et méthodique d'une part, et psychologies étoffées d'autre part, est vraiment intéressant. On se prend à aimer avoir peur ou être choqué par ce qu'on lit, tant c'est bien écrit. La personnalité des personnages et les dialogues sont également appréciables. Bref : remarquable découverte, n'hésitez pas à la faire à votre tour :)

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