Barre-menu

21.9.12

Jules César

Jules César, Caius Julius Caesar de son vrai nom, est né le 12 ou le 13 d'un mois qui ne portait pas encore son nom, juillet, en 100 avant notre ère. Pourquoi le 12 ou le 13, parce qu'on est pas sûrs, peut-être que Madame Julius a mis du temps à accoucher, ou que Monsieur Julius a traîné dans une taverne avant d'aller annoncer la naissance à l'état civil, bref, Caius est né au milieu de l'été.
D'ailleurs, Caius prétend aussi que la gens Julia (sa famille quoi) tire son nom de son ancêtre Iule, qui serait fils d’Énée, lequel aurait fondé Rome après avoir fui la guerre de Troie. Pour info, si on en croit la mythologie gréco-romaine, Énée est le fils d'un mortel, Anchise (ça se prononce Ankiz), et d'une déesse, Vénus ou Aphrodite. Ce qui ferait de Caius, de la gens Julia, dit César, le descendant d'une déesse. Le type, c'est pas la modestie qui l'étouffe.

Niveau contexte, il faut savoir qu'au Ier siècle avant notre ère, Rome est prise dans une Guerre Sociale entre les Optimates (ça vient d'optimus, le meilleur, et ça se prononce "optimatès"), des politiciens adeptes des vieilles familles nobles, et les Populares ("popoularès"), qui misent sur le petit peuple. Genre les élitistes et les populistes, mais sans aucune connotation négative dans ces deux mots, comme actuellement aux USA.
L'un des héros des populares s'appelle Caius Marius, et on en reparlera dans un article ultérieur ainsi que de son rival Scylla, représentant des optimates.
Le truc à retenir c'est que dans le pugilat quotidien de ces deux factions politiques, les arguments volent plus ou moins haut, les couteaux aussi, et c'est Marius qui a perdu. Pas de bol, à cause de la société romaine faite de patrons et de clients, des protecteurs et des protégés, les Julii étaient plutôt du côté de Marius. Ensuite ils sont plutôt du côté des ruinés et des proscrits. Caius décide alors de s'engager dans l'armée, le plus grand créateur d'emplois de l'histoire de l'humanité, et y fait ses premières armes avant de commencer son cursus honorum, comme tout jeune noble qui se respecte.


J'te la fais courte : les jeunes nobles commencent en bas, finissent en haut, ne deviennent pas forcément consuls mais peuvent être sénateurs dès la première magistrature, sont obligés de faire toutes les magistratures dans l'ordre et d'être élus à chacune, ce qui exige de bien faire son boulot. C'est pas un truc d'arriviste comme on a chez nous.
Bon, là je passe rapidement, parce que Caius fait les échelons un par un, et que je vais pas te faire l'inventaire des magistratures romaines, mais en gros, on peut accéder à la première qu'à un certain âge, en théorie on peut pas faire l'impasse sur une seule (du moins pas sous la république), et elles durent toutes une ou plusieurs années. Ça te dit au passage pourquoi les sénateurs sont toujours de vieux grabataires : ils ont tous une longue carrière derrière eux et certains sont même d'anciens consuls (le consulat est la magistrature suprême de Rome). Bref, on arrive en -63, année où Caius est élu Grand Pontife, c'est à dire chef de la religion officielle romaine, qui joue un rôle dans la guerre, le fonctionnement politique, la tenue des assemblées, les élections, enfin à peu près tout. A l'époque on aime bien demander l'avis des dieux sur tout, à Rome, encore plus qu'en Grèce. Ce qui est normal, vu que les Romains ont piqué les dieux de tout le monde, ils doivent leur cirer les caligae pour s'en faire aimer.
L'anecdote importante dans le fait, c'est que comme les Julii sont toujours pauvres (classes et nobles, mais pauvres), c'est son patron, Marcus Licinius Crassus Dives ("le riche"), qui finance l'élection de César.

Un peu plus tard, le plus grand général encore vivant à l'époque et dernier chef de file des optimates, un certain Cnaeus Pompeius Magnus (dont on reparlera aussi dans un article ultérieur), rentre à Rome et comme le veut l'usage, démobilise ses hommes en demandant au sénat des lots de terre pour qu'ils aillent pas directement pointer à l'ANPE (Attroupement des Non-Propriétaires de l'Empire).
Le Sénat rejette la demande de Pompée, parce qu'on manque de terres disponibles en Italie, qu'il est hors de question de filer le peu qu'on a à des soldats, putain on parle de l'Italie, pas de l'Espagne ou de l'Afrique ! César en profite, tout magistrat qu'il est, pour canaliser la colère de Pompée. Il l'emmène dans un coin sombre, comme un dealer, et il lui propose ni plus ni moins de s'allier en secret avec lui et Crassus pour contrôler ces tarlouses du Sénat et diriger Rome à trois, comme ça ils auront les moyens de contenter les troupes. En faisant abstraction du fait que, sur le plan idéologique et social, ils sont pas faits pour être amis.

A ma gauche, Cnaeus Pompeius Magnus, le Grand, et à ma droite, Marcus Licinius Crassus Dives, le riche.

Pompée accepte, parce qu'il est passé du côté obscur, parce qu'il a bien compris que ça fait un demi-siècle que les généraux ont désormais droit à l'ambition politique, et les trois hommes s'allient dans ce qui est le premier triumvirat, mais officieusement, parce que leur alliance est secrète, en jurant de ne jamais tenter de nuire à l'un des deux autres. Tu rends compte, c'est presque les premiers Avengers de l'histoire !... bon, ou la première Ligue des Ombres, plutôt.
En 59, la Ligue des Ombres romaine voit ses efforts porter leurs fruits : César, qui a été élu consul à imperium grâce à la richesse de son premier copain et aux pressions sur les sénateurs de son deuxième, est tellement puissant qu'il dirige la Cité tout seul, et que l'année éponyme ne porte pas les noms des deux consuls, genre "l'année de Truc et Machin", mais s'appelle "l'année de Jules et César". Ce qui est pas dommage parce que le collègue de Caius s'appelait Bibulus. Des fois la vie est bien faite, on n'a jamais parlé de l'année de César et Bibulus.
Histoire d'obtenir la seule chose que Pompée a et qu'il n'a pas, la gloire militaire et les fans qui vont avec, César saisit alors l'occasion qui se présente en Gaule, alors que des alliés de Rome sont attaqués (ces barbares, toujours à se taper dessus entre eux !), pour se faire mandater par le Sénat avec la mission de pacifier le terrain et de conquérir le sud du pays, afin d'établir une route terrestre sûre vers les provinces espagnoles de Rome, acquises face à Carthage au siècle précédent.

Crassus, de son côté, veut faire pareil en tirant la couverture à lui, parce que sinon on risque d'oublier qu'il fait aussi partie de la bande, mais le problème, c'est que Rome a pas des masses d'ennemis à l'époque. Alors du coup, il va attaquer les seuls être au monde qui soient toujours disposés à une bonne bagarre avec les Romains (non, pas les Gaulois) : les Parthes. Lesquels sont les conquérants de la partie la plus orientale de l'empire d'Alexandre le Grand, à la suite des Perses. Autrement dit, c'est pas des ptites frappes les mecs. J'te le donne en mille, Crassus subit un échec critique, se fait verser de l'or en fusion dans le gosier pour se moquer de sa cupidité, et il paraît que sans entraînement le corps humain supporte difficilement ce genre de chose. Outrage suprême, même si Crassus est plus à ça près, les enseignes de légions sacrés sont prises par les Parthes. Nous sommes en 53 avant Jésus-Christ.

Carte de l'empire parthe au milieu du Ier siècle avant notre ère. Les noms en majuscules sont ceux des provinces et ceux en minuscules sont les villes. La cité de Carrhes, où a lieu la bataille contre Crassus, est indiquée à l'ouest, près de la frontière de la province romaine de Syrie (où est indiqué "Asia Minor").

Concernant la Gaule, ce que le Sénat a oublié, c'est que César est maintenant pote avec Pompée, que celui-ci est un bon modèle et que de toute façon Caius est comme Cnaeus un romain à l'ancienne : quand y'a du bordel quelque part il fait table rase pour mieux faire régner la paix. Ou, pour le dire plus clairement, on l'a envoyé protéger les Eduens, des Gaulois alliés de la cité, il est revenu, au fil des années et après deux allers-retours en Germanie et en Bretagne (actuelle Angleterre), avec le pays entier sous le bras. Au moins maintenant ils se battront plus entre eux, ils sont tous Romains.
A Rome, ils ont un peu tiré la gueule, j'dois dire. Heureusement qu'Internet existait pas à l'époque, sinon la conversation aurait pu ressembler à ça :
"Putain mais Caius, t'es vraiment le roi des cons ou quoi ?!? Tu nous fais passer pour les pires putains d'impérialistes de l'univers et tu r'viens la bouche en cœur, tu t'es pris pour Pompée ou bien ? T'as vu l'image que tu nous donnes dans le voisinage, bordel de merde ?!?
- Ho, on s'calme les ptits vieux, vous branlez que dalle au Sénat, moi j'ai conquis la Gaule, bitches !"
Après ça, Caius essaie de faire élire ses protégés aux magistratures pour le couvrir lors de son retour à Rome, ça marche pas. Il peut pas entrer en Italie sans abandonner son pouvoir proconsulaire (on peut être consul qu'une fois tous les dix ans mais le pouvoir d'imperium peut être maintenu plus d'un an en cas de besoin) et ses légions, mais s'il fait ça on va lui tomber dessus tous les dix mètres entre la frontière et la capitale.

Cicéron, l'un des chefs de file du Sénat à l'époque, a dû être assez malin pour se douter qu'il valait mieux pas lancer un débat sur l'universalisme romain et le maintien de la paix avec un mec qui avait la moitié des armées à ses ordres, alors il s'est contenté de convoquer César pour répondre de ses actes. Grave erreur. César venait de perdre sa fille Julia, mariée à Pompée, il n'avait donc plus aucun ami à King's... j'veux dire à Rome, par contre il avait tout le N... les soldats de son côté.
Bref, César est passé en mode Robb Stark.
Et il a fait genre "le Sénat veut me voir à Rome, ok, j'y vais. Mais j'y vais pas seul. Marc-Antoine ! Réunis les légions !"
Nous sommes en 50 avant Jésus-Christ, et on ne parlera d'aucun petit village de Gaule armoricaine.


Le Sénat prend peur aussitôt que César franchit le Rubicon, le fleuve qui marche l'entrée en Italie, et se réfugie dans la toge du seul grand général encore en vie en dehors de César : Pompée.
Je sais pas si t'as vu la série Rome de HBO, Internet, mais elle représente très bien, durant la saison 1, cette partie de la guerre civile. En gros Pompée dit qu'il a pas d'armée sous le coude alors que César a tous les vétérans de Gaule encore bien chauds d'avoir tapé du barbare pendant presque dix ans, donc il descend toute l'Italie avec Caius aux fesses et, quand il arrive au bout, passe en Grèce. César, lui, rejoint Rome et rassure tout le monde, non non, je suis pas un tyran qui s'apprête à tous vous tuer. Il est aussi obligé de renvoyer ses vétérans à la vie civile, de recruter de nouvelles troupes et d'aller cogner sur les potes de Pompée à Massilia (Marseille), une cité grecque jusque là autonome et surtout en Espagne.
Manque de pot, les généraux de César se font botter les fesses par le roi Juba de Numidie (Afrique du Nord), un allié de Pompée mais qui se contente de rester chez lui. Parfait, se dit Caius, comme ça je peux aller en Grèce rattraper le vieux con.

Les deux généraux, plutôt que de risquer une bataille sanglante, s'affaiblissent mutuellement, et c'est finalement César qui parvient, contre toute attente, à écraser Pompée au terme d'un combat unique en Grèce. Celui-ci prend la fuite vers la province d'Asie, où il ne trouve nulle part bon accueil, puis à Alexandrie, dans le royaume d'Egypte, théoriquement client de Rome.
Là, le jeune Ptolémée XIII fait assassiner Pompée par un romain, avant de présenter sa tête à César. Loin de s'en réjouir, celui-ci réplique par une bataille rangée contre Ptolémée parce que putain, un Romain assassiné chez les Barbares c'est la pire insulte de l'univers. Cléopâtre, sœur de Ptolémée, devient alors seule reine d'Egypte et donne même un petit Césarion à Caius. On est en 47.


Sur le chemin du retour à Rome, César s'efforce de ne pas laisser sa campagne inachevée, histoire qu'on dise pas que c'est un gros bordélique, et surtout parce qu'il vient de se rappeler qu'être le taulier du monde connu c'est la quête secondaire. La quête principale c'était d'écraser les optimates une fois pour toutes et d'être le héros du peuple.
Il file dans un premier temps vers le Royaume du Pont, dont le roi Pharnace a un problème personnel avec les Romains (faut vraiment que j'vous parle de Mithridate et Pompée), et que César explose en une seule bataille. "Je suis venu, j'ai vu, j'ai botté des culs", qu'il dit à ce moment-là. Enfin à peu près. Dernière étape avant de pouvoir revenir dans sa villa et mettre les pieds sous la table, la Numidie. Déjà parce que la Gaule, l'Egypte, le Pont, ça fait trois triomphes, et César n'aime plus le chiffre 3. On le comprend.
Les autres raisons, c'est qu'après la destruction de Carthage, les rois numides se sont rendus compte que Rome était un voisin encore moins supportable que le précédent, et sont pratiquement entrés en guerre ouverte contre la cité romaine. A l'époque de César, Juba est même allié à Caton d'Utique et Metellus Scipion des pompéiens qui disposent d'une dizaine de légions. Faut pas laisser ça là, ça fait pas bordélique.

Bref, après avoir vaincu des éléphants à Utique (depuis Carthage, ça fait plus vraiment peur ces bestiaux en fait) et deux fils de Pompée en Espagne (les Romains, les familles nombreuses, tout ça), César rentre à Rome pour se reposer en faisant de la politique. Le problème c'est qu'il s'est fait élire Dictateur à vie (la dictature c'est une mesure de crise type guerre totale) par un Sénat dont il a lui-même rempli les bancs avec ses potes, ce qui lui donne quelque chose de plus ou moins tyrannique. Et à Rome, on est maladivement allergique aux tyrans. C'est pour ça que des gens comme Brutus et Cassius décident alors de l'assassiner en pleine session du Sénat, lors des ides de mars, le 15 mars 44 avant Jésus-Christ.

L'Histoire ne s'arrête pas là parce que Caius avait de la famille et des amis pas trop d'accord avec l'idée qu'on puisse l'assassiner, mais ça, c'est pour une autre fois.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire