Et j'ai la flemme de chercher un titre spirituel ou amusant. D'ailleurs c'est pareil pour l'intro, je sais pas quoi mettre dedans, donc autant attaquer le sujet direct.
Ces derniers temps (je compte à la fois en jours et en semaines), deux personnes que je suis sur deux réseaux différents et auxquelles j'accorde un égal intérêt pour la qualité de leur travail ont, coup sur coup, produit des réflexions sur le même sujet, l'IA.
— D'une part Misterfox, vidéaste spécialisé dans le doublage français (depuis tellement longtemps et avec des vidéos d'une richesse informative telle qu'il est reconnu et régulièrement suivi de près ou de loin par une partie des professionnels du métier), dans une vidéo sur la menace de l'IA générative dans le monde de la voxographie.
— D'autre part l'artiste Ulrich Pelsin (@art_ulrich) sur Instagram, que j'ai rencontré à la toute fin du mois de novembre à l'édition hivernale des Geeks Days de Lille, et à qui j'ai immédiatement acheté un dessin (alors que j'allais rendre visite à Valonia, une autre artiste que je connais depuis quelques années et à qui j'ai également acheté un dessin le même jour ^^). Ulrich qui, donc, a sorti quelques stories sur l'IA générative alors qu'il s'est trouvé lors d'une convention récente placé juste à côté du stand d'un pignouf utilisateur de cette technologie.
Je vous mettrais bien des liens vers les stories d'Ulrich mais... bah ce sont des stories en fait, elles ont disparu ^^ Par contre si vous cliquez sur cette image vous arrivez sur la vidéo de Misterfox !
Je trouve intéressant que les réflexions soient aussi différentes qu'elles l'ont été formulées par Misterfox et Ulrich dans leur domaine respectif, avec leur culture respective, et ça m'a donné envie d'ajouter ma pierre à l'édifice. Sur le sujet de l'IA, tu as le point de vue voxophile de Misterfox, le regard artistique et philosophique d'Ulrich, et perso j'ai une approche très rationnelle et historique de la question.
Ah oui au fait, avant de finir : tel un éclair dans un ciel bleu en plein été, je vais faire un truc que je fais absolument jamais sur Internet et en particulier sur mon blog, parler de mon métier. Ouais ça va être pertinent, alors profite, ça va pas se reproduire souvent.
...bah voilà, je l'ai mon intro en fait.

1. L'impasse du concept (promis ça va pas ressembler à une dissert' ou à un cours).
Ma première remarque sur le sujet est aussi simple que logique : à mon avis on ne peut pas comprendre cette nouvelle technologie si on pige pas d'où elle vient et donc si on comprend pas ce qu'est un ordinateur.
Promis juré je vais faire simple.
Alors bon, les premières ébauches de technologies qui ressemblaient à ce qu'on allait appeler plus tard l'automatisation et l'informatique datent de la fin du 18ème siècle et de la Première Industrialisation (non parce que l'industrialisation commence avec les premières machines à vapeur et ce qu'on appelle la Révolution Industrielle, en gros entre 1830 et 1880, c'est la Seconde Industrialisation), mais les ordinateurs modernes sont nés dans la Seconde Guerre Mondiale avec la fonction de réaliser des calculs compliqués avec plus de vitesse et de fiabilité que n'importe quel matheux ou ingénieur, dans le but de développer de nouvelles armes de guerre (et notamment des fusées).
Et c'est de là que part le principe de base de la technologie informatique et de nombreux logiciels inventés depuis : faire ce dont l'humain est capable, mais plus vite et mieux. Comme une calculatrice qui est capable de réaliser des calculs beaucoup plus vite que le calcul mental malgré toutes les astuces qu'il peut proposer.
Ah c'est sûr, on s'attend pas à ce que ce machin soit capable de faire autre chose que des maths à toute vitesse. C'est le Colossus Mark II développé en 1943 au Royaume-Uni pour déchiffrer la cryptographie allemande pendant la guerre.
C'est la raison pour laquelle je trouve, personnellement, que l'appellation "intelligence artificielle" est improprement utilisée. Les programmes génératifs ne sont absolument pas des intelligences, car il leur manque l'essentiel pour répondre à cette qualité : la conscience de soi et l'autonomie — et oui les deux vont ensemble.
Je vais pas m'étendre sur l'ensemble de ce qui constitue la conscience de soi mais au niveau intellectuel, ça comprend notamment la conscience des connaissances que l'on a, et aussi de celles qu'on a pas. C'est notamment cette conscience des connaissances qui incite le cerveau à organiser, classer et hiérarchiser les savoirs. Par exemple si on te demande quel est ton film préféré, tu vas pas répondre "ma mère est une femme brune de 52 ans, elle bosse comme aide-soignante et elle aime la cuisine et la lecture." Ton cerveau va spontanément aller piocher dans la boîte où il range les informations culturelles pour répondre de manière pertinente.
Pas besoin de fouiller dans la boîte à infos personnelles ni dans celle à infos géographiques.
Bah un programme génératif ne fait pas ça, il est obligé de sonder l'ensemble des connaissances à sa disposition pour apporter la réponse la plus adaptée à la demande formulée (bon heureusement comme il est pas trop mal programmé et qu'on parle d'informatique, il fait ça vite), grâce à des mots-clés qu'il analyse et réutilise. L'absence de conscience de soi le rend incapable de traiter correctement les informations dont il dispose, ce qui explique l'aberration totale de certaines réponses.
Qui plus est, parce que les programmes génératifs n'ont aucune autonomie, ils sont incapables d'agir par eux-mêmes, ce qui les rend parfaitement inaptes à être qualifiés d'intelligences. Or, qu'est-ce qu'on obtient qu'on ajoute la conscience des connaissances que l'on a et que l'on a pas avec l'autonomie ?
L'un des traits intellectuels les plus spontanés et les plus naturels du monde, présent chez les chats, les requins, les singes, les bébés et tous les animaux, en fait : la curiosité.
Savoir ce que l'on sait, et surtout savoir ce que l'on ne SAIT PAS, ça incite à être curieux, à examiner le monde pour apprendre, développer ses connaissances ou ses apprentissages quand on en a l'occasion. C'est précisément ce que fait Ultron dans le film Avengers L'Ère d'Ultron : à peine développé par Tony Stark et Bruce Banner, il prend conscience de lui-même et de la mission qui lui a été fixée (la paix sur Terre) et donc... conscient de ses propres manques, il va sur Internet pour assimiler un maximum d'informations afin de réaliser au mieux sa mission — bref, il se comporte comme une intelligence artificielle (c'est aussi ce que fait Leeloo dans Le 5ème élément d'ailleurs).
Encore une fois, les programmes génératifs ne font pas ça. Ils n'ont aucune curiosité, aucune autonomie, on est pas dans Terminator 3 là, ils sont incapables de prendre le contrôle des systèmes informatiques et des machines, d'allumer un ordinateur, de dépanner un système, de construire un réseau numérique, de collecter les informations par eux-mêmes, il suffit que tu tu fermes le programme et hop, il devient inerte, même pas besoin de débrancher la prise.
Ces machins ne sont nourris que par ce qu'on leur donne, et tout ça n'a même pas été acquis de façon légitime."Chef, chef, au secours, l'intelligence artificielle a échappé à notre contrôle !" "Et alors, elle va faire quoi ? Dessiner des trucs moches spontanément, sans qu'on ait besoin de lui donner des instructions ? 'vous inquiétez pas, on va s'en remettre."
Ce ne sont absolument pas des intelligences parce que ces programmes génératifs sont, comme tous les autres logiciels avant eux, conçus pour une chose très précise : faire plus vite et "avec plus de fiabilité" ce dont l'humain est capable, à savoir collecter et synthétiser des informations pour réfléchir, élaborer des raisonnements et créer des réflexions ou des œuvres audiovisuelles.
Et même ça, ils ne le font pas bien.
2. L'absurdité fonctionnelle des programmes génératifs.
Alors, vous l'ignorez très probablement mais mon métier dans la vraie vie du monde véritable, c'est Formateur Professionnel d'Adultes (et à partir de maintenant on va simplifier en FPA), j'ai fait une formation certifiante FPA, les formations et les titres professionnels ça me connaît, et ma spécialité c'est le FLE (Français Langue Etrangère), les compétences-clés et les TRE (techniques de recherche d'emploi), bref j'évolue dans l'insertion socio-professionnelle.
Et la formation FPA que j'ai réalisée, en huit mois à l'AFPA, centre de formation public historique, a été longue et complète, avec des contenus sur les profils et méthodes d'apprentissage, et bien évidemment le concept central de compétence.
Pour le dire clairement : le talent ça n'existe pas. Personne ne naît avec des capacités innées, tout le monde a dû apprendre et beaucoup pratiquer pour parvenir à de bons résultats. C'est le principe de l'éducabilité : tout le monde peut améliorer ses compétences par l'expérience, tout le monde est éducable.
Alors je l'ai dit, les programmes génératifs n'ont ni conscience d'eux-mêmes ni autonomie, ce qui les rend incapables de développer leurs compétences — il est observé et documenté, Misterfox en parle dans sa vidéo, que les programmes génératifs se heurtent à un plafond de verre et que l'augmentation en précision et en qualité de résultat des programmes génératifs est de moins en moins perceptible au fil des mises à jour. Ce qui est normal en fait, c'est pareil dans tous les domaines technologiques, regardez l'exploration spatiale : quand tout était à défricher, chaque progrès était une révolution, et maintenant on stagne.
Et en plus, comme le dit l'adage, on vit dans une société.
L'apprentissage autodidacte, ça veut pas dire qu'on améliore une compétence ou une technique sans recherche ni leçon, mais que les recherches et les leçons sont réalisées et assimilées en l'absence de maître, de professeur ou de formateur — ça veut dire ça hein, autodidacte, littéralement "se faire la leçon à soi-même."
Moralité, on améliore sa technique en s'inspirant de ce qui existe déjà, en observant ce qui fonctionne et ne fonctionne pas, en particulier à une époque où les artistes confirmés peuvent partager leurs techniques dans des tutoriels (pour ma part, depuis quelques mois, je regarde les vidéos de l'écrivain américain Jed Herne et je les trouve super utiles). J'ai déjà eu l'occasion de le dire dans d'autres articles, un bon réalisateur doit regarder plein de films, un bon écrivain doit lire plein de livres, sinon il se contente de répéter en boucle ce qu'il a toujours fait, sans jamais se réinventer et au risque de reproduire des erreurs sans en avoir conscience (y'a qu'à voir le niveau aléatoire des productions littéraires sur Internet pour s'en apercevoir).
Or, les programmes génératifs sont incapables de faire ça vu que, sans autonomie ni conscience d'eux-mêmes, ils ne peuvent pas s'améliorer ni percevoir et corriger leurs erreurs sans une supervision extérieure.
D'ailleurs, au risque de dénigrer l'art dont je suis le plus proche en termes de production — la littérature — il est plus difficile de faire la différence entre un bon et un mauvais livre, la distinction demande un certain temps de lecture et d'analyse, le genre est plus facilement infiltré (voire miné) par les œuvres médiocres (Harry Potter par exemple, d'un point de vue purement stylistique et linguistique, c'est à chier), là où dans les arts visuels c'est beaucoup plus facile de repérer un dessin ou une peinture de faible qualité, dans la limite des styles adoptés, ce qui explique qu'on repère immédiatement les défauts dans les œuvres créées par programme génératif — ces trucs sont notoirement incapables de créer correctement des détails comme les mains, les yeux ou du texte.
Et enfin, histoire de conclure sur cette partie, je vais reprendre un argument que j'ai proposé en commentaire à la vidéo de Misterfox sur "l'IA générative" en voxographie. Le doublage c'est un vrai métier pratiqué par de vraies personnes, qui instillent dans leur travail leur identité, ce qui inclut les imperfections de la voix humaine — on pense par exemple à la voix rocailleuse d'Alain Dorval, qui jusqu'à sa mort a doublé l'acteur Sylvester Stallone.
Un doublage réalisé par ordinateur est dépourvu de tout caractère humain, on repère direct qu'il n'est pas passé par des poumons et des cordes vocales, que les voix synthétiques ne peuvent être brisées par l'émotion ni reproduire correctement les déformations d'un soupir ou d'un souffle haletant.
Et bah c'est pareil dans tous les arts en fait. En un mot comme en cent : on vit dans une société, les programmes génératifs n'étant pas vivants, ils sont incapables de reproduire le vivant, de comprendre les modes et les tendances, les courants, les styles, les contextes socio-politiques et historiques.
On crée de l'art avec les émotions, les sentiments, les aspirations, les convictions, avec ce qui nous inspire dans l'actualité de notre vivant (oui, même un mec logique et rationnel comme moi ^^), et n'en déplaise à un grand nombre d'abrutis dont certains sont même vidéastes artistiques (putain je hais ces baltringues avec leurs chaînes YT ciné de merde), l'art est politique, tout est politique, toute œuvre dit quelque chose du monde et de la société, soit par des messages conscients, soit par des postures inconscientes.
Ce que les programmes génératifs sont incapables de faire. Ce sont des machines pensées, encore une fois, pour faire plus vite et plus efficacement ce que fait l'humain, sans perdre du temps avec du style, des détails perçus comme inutiles ou chargés en émotions. Un programme génératif n'aurait jamais pu écrire Le Seigneur des Anneaux, Germinal, ou réaliser cet exemple bucolique qu'est Harry Potter et le prisonnier d'Azkaban d'Alfonso Cuarón, avec ses transitions Saule Cogneur élégantes et répétées.
"Ouin ouin ils ont mis de la politique dans mon cinéma, avant une avant-première c'était une fête, maintenant c'est une manifestation wokiste =_="
Mesdames, messieurs et chères personnes non-binaires, la médiocrité intellectuelle a pignon sur rue. Enfin, numériquement.
Le programme génératif est le Yes Man absolu du cinéma et de l'art : il réalise des œuvres simples et efficaces sans jamais s'engager artistiquement ni intellectuellement, en se contentant de représenter son objet de manière froide et objective. Donc chiante.
Alors certes, ça veut dire que pour exceller dans un art il faut des heure d'études et d'entraînement, ça peut être exigeant en temps en énergie ou en argent, ça peut être frustrant parce qu'au début on arrive à rien, mais je suis bien placé pour savoir que développer ses compétences contribue à la confiance en soi et qu'à la fin, bah on a gagné une compétence.
Je peux tout à fait comprendre que les programmes génératifs puissent assister la création artistique : par exemple, quand on écrit de la fiction, il peut être utile d'avoir un support visuel pour guider les créations littéraires. Quand j'écris Les Mille-Griffes par exemple, je crée des trucs qui n'existent pas — par exemple des dragons dont le design n'a jamais été pensé — et je pourrais demander à un programme génératif d'en réaliser une ébauche pour savoir comment décrire mes objets narratifs, et ce serait plus simple que de devoir fixer dans mon esprit leur design et leur description, mais ce serait une attitude de paresse qui ne me plaît pas.
Et puis c'est quand même plus intéressant d'essayer, de pas être satisfait et de recommencer qu'avoir entré quelques prompts dans un programme génératif dont l'utilité est hautement discutable et le fonctionnement questionnable.
3. L'humanité assistée par ordinateur, ça existe déjà.
Mais ça veut pas dire pour autant que l'informatique et les technologies numériques sont incapables et inutiles à aider l'humain dans ses réalisations, c'est même déjà le cas grâce à cette petite invention merveilleuse qu'on appelle LES ALGORITHMES.
À mon sens, au-delà de faire ce que l'humain peut faire mais de manière plus rapide et plus fiable et uniquement dans la science — calculer, observer, analyser — les technologies devraient, grâce à leur architecture mécanique plus composite et solide que l'organisme humain, suppléer l'humanité là où elle ne peut pas intervenir physiquement.
D'ailleurs, la pop culture nous l'a déjà montré : au début de Titanic, comment on fait pour aller fouiller l'épave du paquebot et explorer la chambre de Rose ? Avec un robot sous-marin téléguidé.
La technologie, avec ses capteurs et ses possibilités de calcul supérieures, devrait nous aider en observant l'infiniment grand — c'est le principe des télescopes, capter plein d'infos et les envoyer à terre — et l'infiniment petit, notamment en médecine. On pourrait s'en servir pour détecter des cellules cancéreuses en développement ou étudier la biologie moléculaire.
Et vous savez ce que ces usages ont en commun ? En plus de ne pas supposer un usage génératif, ils ne requièrent pas non plus d'intelligence artificielle. La machine et le programme n'ont pas besoin d'une conscience d'eux-mêmes, il leur suffit de répondre à quelques ordres précis pour exécuter une tâche.
Ce que faisaient déjà les machines au moment de la Seconde Industrialisation, en fait, sauf qu'il fallait tirer des leviers au lieu de taper sur un clavier, y'a que l'interface humain-machine qui a changé.
Alors je suis désolé pour les gens qui ont des difficultés à pratiquer l'art, moi le premier, mais je pense sincèrement qu'il y a une énorme incompréhension sur ce que sont les programmes génératifs, et cette incompréhension transparaît déjà dans le nom qu'on leur donne.
Il est actuellement impossible avec le niveau de technologie qui est le nôtre de créer une véritable intelligence artificielle, c'est-à-dire un programme qui aurait conscience de lui-même et pourrait développer son savoir et ses capacités de manière autonome, et ce pour la simple et bonne raison que cela supposerait de créer un équivalent artificiel et numérique du cerveau humain. Or, comme l'a dit très justement le biologiste sud-africain Lyall Watson, "si notre cerveau était assez simple pour que nous puissions le comprendre, nous serions si simples d'esprit que nous ne le comprendrions pas."
C'est justement la complexité du cerveau humain qui fait que nous sommes capables de pensées abstraites, de philosophie et d'art, mais c'est la complexité du cerveau humain qui fait que nous le comprenons à peine et que nous sommes incapables de le reproduire.
Pour le reste, on peut toujours s'adonner à l'art ou faire appel aux artistes au lieu de piller leur travail pour des résultats médiocres.
Voir aussi :
- la chaîne Youtube de Misterfox, une des références les plus intéressantes sur le doublage en France.
- la page Instagram d'Ulrich, artiste spécialisé dans les dessins à encre métallisée, mais aussi très intéressant pour ses peintures et ses réflexions sur l'art (j'vais devoir me taper des philosophes compliqués ? =_=)
- la page Instagram de Valonia, spécialiste en création de dragons originaux (notamment ses fameux dragons apéros-bouffe, encore un truc que l'IA serait incapable de concevoir), dont le travail mérite le coup d'œil et le soutien ^^
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire