Sherlock féminin-féministe et fantastique

Aspic : les détectives de l'étrange

Auteurs : Thierry Gloris au scénario et Jacques Lamontagne au dessin et à la couleur.

Origine : France.

Nombre de livres : 3 pour l'instant.

Date de publication : 2010, 2011 et 2013.

Genre : aventure, fantastique.

Paris, à la fin du XIXème siècle. L'éminent enquêteur du surnaturel Auguste Dupin est sollicité après la disparition de la principale voyante extralucide de l'élite mondaine, Kathy Wuthering. Pendant qu'il se heurte à la complexité de l'affaire, son assistante Flora Vernet reçoit un autre client potentiel, Hugo Beyle, à qui l'on a dérobé sa précieuse montre à gousset en argent.

Flora décide de s'approprier seule l'affaire d'Hugo afin de faire ses preuves face à la misogynie de la société et de Dupin, ignorant quelles découvertes ses menées vont susciter.

Je suis tombé complètement par hasard sur cette BD dans la bibliothèque la plus cool de l'univers (celle de Wazemmes, à deux pas de chez moi ^^ (bon ok, elle est pas si bien que ça, mais presque)), et j'avoue que ça m'a intrigué parce que je venais de commencer deux séries sans pouvoir ou vouloir les finir (Tibill le Lilling, qui sous les dehors d'un univers original est classique comme pas possible et Troll, qui est hautement génial et mérite le coup d'œil) et que du coup je cherchais quelque chose à me mettre sous la dent. D'ailleurs j'ai enfin pris la résolution de lire les Blacksad, ils sont tous à Wazemmes, j'en ai lu deux, bientôt la suite.

Breffons, Aspic (lui c'est l'As de Cœur et elle l'As de Pique) est donc l'histoire de Flora Vernet et Hugo Beyle – et dans une moindre mesure Auguste Dupin – qui enquêtent sur des phénomènes étranges ou inexplicables dans un Paris fantasmé où le parti pris surnaturel est totalement assumé : la bourgeoisie consulte des voyants ou des devins de manière très régulière, ces derniers ayant pignon sur rue. Dans cette série qui, au moins pour les 4 premiers volets (même si le second est encore à publier, du coup je connais pas la fin de l'histoire et je suis tristesse), est construite sur des diptyques, le troisième met en scène un amérindien dont le frère, fantôme depuis des décennies, habite dans son bâton-totem et a soudainement disparu x)

Il est quand même bizarre, Auguste Dupin ^^

Mais cet aspect fantastique, bien qu'il enrichisse clairement l'univers, s'intègre cependant dans une vision du XIXème qui n'est pas si éloignée que ça de la nôtre : s'y retrouve aussi le questionnement féministe confronté au patriarcat – Flora est la 5ème d'une famille uniquement composée de filles, au grand dam de son père qui voulait un héritier, est diplômée de Polytechnique dans une promotion exclusivement masculine, a choisi de devenir détective privée malgré la désapprobation de sa famille, a perdu le soutien financier de celle-ci quand elle s'est lancée en solo et doit souvent se réclamer d'Auguste Dupin pour avoir ses entrées dans les bibliothèques ou les facultés.

Également au tableau, l'enquête contre la criminalité, c'est même évidemment le cœur de l'intrigue, qui met en scène un syndicat du crime parisien parfaitement organisé – avec un responsable des tavernes et maisons de jeu, une maquerelle pour la prostitution, un gérant du trafic d'opium...

Là où ça devient très drôle, c'est qu'Aspic joue avec les éléments de cet univers, qu'il confronte les uns aux autres de la belle manière. Au début du tome 1, on découvre assez vite que Flora rédige régulièrement un carnet-journal d'enquête, probablement pour avoir en main les éléments les plus pertinents de ses recherches. Puis on apprend finalement que ces notes sont destinées à son cousin anglais [spoiler Sherlock Holmes en personne ^^ fin de spoiler] qu'elle met en garde contre la fuite d'un criminel parisien [spoiler en direction de Londres et dont le vrai nom est en fait James Moriarty fin de spoiler], ce qui ne manque pas de saveur ^^

Parallèlement, le personnage d'Hugo explique son histoire [spoiler qui commence lors de la Révolution de Juillet 1830, ce qui permet une jolie reprise de La liberté guidant le peuple de Delacroix fin de spoiler] et ce qui a mené à l'acquisition de sa montre à gousset et à son vol, mais également à son caractère léger et insouciant qui dissimule des blessures profondes [spoiler et pour cause, il s'agit de Gavroche, ancien révolutionnaire élevé dans la misère mais qui a toujours pris les événements avec philosophie fin de spoiler].

Ah ouais, pardon, spoiler, tout ça ^^

Après, le personnage d'Auguste, quoique souvent en retrait, est quand même utile à l'intrigue, à défaut d'être intéressant – c'est un enquêteur minutieux et un intellectuel, mais il est également orgueilleux et paternaliste, ce qui se traduit par une condescendance sexiste assez marquée face à Flora – de même que les intervenants plus ponctuels.

Visuellement, une œuvre pareille gagne donc à être aussi jolie que bien écrite, un peu comme si Aspic était la version XIXème de la série De Capes et de Crocs, avec des plans d'ensemble assez fréquents, un souci du détail permanent et des personnages hauts en couleurs. Les croquis et ébauches présentés à la fin de certains volumes (en particulier le 3) sont très intéressants, soulignant le fait que le premier modèle d'Auguste Dupin était Jean-Pierre Marielle ou celui d'Hugo Romain Duris :)

Hey, salut Lille Flandres !! :)

Les planches, sans être extravagantes dans leur découpage, sont pleine, équilibrées et colorées, avec pas mal de lumières, de beaux décors intérieurs et extérieurs et même dans le tome 3 un passage à Lille avec une belle mise en valeur de la gare Lille Flandres, dont la place est sillonnée par les tramways :)

De manière générale, le dessinateur et coloriste Jacques Lamontagne joue d'ailleurs extrêmement bien sur les tons, les ambiances, en donnant une teinte particulière à telle ou telle séquence de la narration, ce que j'ai trouvé très pertinent :)

En bref : petite série récente et méconnue (ça me change, tiens), Aspic : les détectives de l'étrange mérite vraiment le coup d'œil. Joliment dessinée et colorée, elle s'attache à des personnages vraiment intéressants, drôles et bien écrits, Flora comme Hugo. C'est un peu la version BD et féministe de Sherlock Holmes, y'a ps de steampunk mais le côté fantastique est hautement appréciable.

 Extrait du tome 3.