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21.9.25

Du feu, du sang, des adaptations et des baltringues.

Sinon, y'a des adaptations
qui n'auraient jamais dû exister.
Salut !
Alors, aujourd'hui, un sujet qui me trotte dans la tête depuis des années et qui a eu l'occasion de ressortir dans la sphère publique à plusieurs reprises. Je suis sûr que ça va te parler, t'es quelqu'un qui aime la culture, je suis sûr que t'es du genre à laisser ton esprit vagabonder sur la pop culture et la manière dont les gens la reçoivent, la vivent et en parlent autour d'eux. Pas la peine de mentir, j'le sais, on est entre ptits futés ici ^^

Bref : les adaptations au cinéma et à la télé. Ça existe depuis à peu près toujours, de nombreux films et séries cultes sont adaptées d'œuvres originales sans qu'on le sache, mais pendant longtemps ça n'avait pas d'objet dans les discussions et les débats publics, on le découvrait juste au générique de fin et hop, fin de l'histoire.
Et puis, tout un faisceau de nouvelles données est apparu dans la communication publique et collective autour du cinéma et des séries télé : les réseaux sociaux se sont développés, et les adaptations littéraires se sont multipliées. Et c'est de ça que je vais parler.

La source du problème.
Alors, les adaptations c'est trop bien, comme je viens de le dire ça a toujours fait le cinéma, en partie (y'a aussi toujours eu, heureusement, des films réalisés sur des scripts originaux), d'ailleurs j'ai même écrit un article sur une adaptation et son œuvre originale, un truc avec des chevaux. Mais dès le début des années 2000 avec le meilleur film du monde, Le Seigneur des Anneaux, on a vu se développer dans le grand public, avec la démocratisation des "univers geeks", un certain type de profil dans le public qui m'exaspère au plus haut point : les inévitables baltringues qui, le doigt levé tels un Schtroumpf à lunettes, ne peuvent s'empêcher d'ânonner à chaque nouvelle adaptation d'une œuvre littéraire que "nan mais en fait le livre est mieux, et puis c'est pas comme ça qu'il faut adapter."

Je vous jure, c'est VRAIMENT
à chier, et Kimiko n'a même
pas de nom, elle est juste
"the Female."

Bon alors déjà, prétendre que l'œuvre originale est forcément meilleure que l'adaptation, c'est assez audacieux — si vous avez vu une certaine vidéo du Tropeur¹, je confirme, le comic The Boys est à chier, et même L'homme qui murmurait à l'oreille des chevaux déjà cité est bien meilleur comme drame familial de Robert Redford que comme drame amoureux de Nicholas Evans (qui n'a d'ailleurs pas participé à l'écriture du film).
Et puis, de manière générale, s'agissant des adaptations de SFFF jeunesse ou de comics, il n'est pas rare de trouver des récits perfectibles que de bons scénaristes exploitent pour que de super films en ressortent. Vous avez déjà lu un comic book des Éternels ? Eh ben, le faites pas, ça vous manquera pas. La fondation des Avengers ? C'est mieux dans le film de 2012 (et pardon mais c'est même mieux avec les six de 2012, je trouve intéressant que le MCU ait fait de Hank Pym et Janet Van Dyne à la fois des vétérans plus âgés que les Avengers et des outsiders).

Bref, NON, l'original n'est pas toujours mieux que l'adaptation. Regardez 50 nuances de Grey, le livre est un immondice, le film est presque regardable (j'le sais, je l'ai regardé).

Transposer ou adapter ?
L'autre problème qui apparaît souvent face à une adaptation, c'est que les mêmes baltringues obligent systématiquement à réexpliquer ce qu'est une adaptation. Toujours des discours éclatés à base de "c'est pas une bonne adaptation parce que ce perso devrait être comme ça." "Et puis la ville normalement elle ressemble pas à ça !", et c'est encore plus vrai maintenant qu'on adapte en films ou séries autre chose que des livres et des comics, parce qu'après avoir passé des heures dans un jeu vidéo, ces pignoufs veulent retrouver les mêmes décors, les mêmes lieux, mais sans le côté interactif du jeu vidéo. SI VOUS VOULEZ LA MÊME CHOSE REJOUEZ AU JEU VIDÉO, TAS D'NAZES !

Ça paraît con à dire, mais si une adaptation n'apporte rien à l'original et, dans le cas d'un jeu vidéo, se contente d'en retirer l'interactivité, c'est une adaptation à chier. Cette série par exemple, c'est une bonne adaptation. J'ai pas aimé parce que la Nouvelle République de Californie dans les jeux vidéo j'm'en bats les gonades, je préfère Fallout 4 et le Commonwealth du Massachussetts, mais la série est bien.

Alors, désolé de rappeler une évidence mais : une adaptation N'EST PAS une transposition. Tu ne peux pas prendre une histoire, changer son format, ajouter des images — ou en retirer, mais putain je vois toujours pas l'intérêt de la novellisation des films — et paf adaptation réussie.
Tu veux des exemples ? Bah écoute, je t'aime bien, et j'en ai en stock, alors voilà.

Quand le jeu Cyberpunk 2077 est sorti, au-delà du désastre technique, éditorial et humain, j'ai vu très peu de critiques sur le jeu qui portaient sur autre chose que ses aspects techniques, des critiques sur l'univers et le récit. Hugo Terra de la chaîne GameNextDoor a publié une super vidéo² que je ne manque jamais de citer, qui expose à quel point Cyberpunk 2077 n'est PAS cyberpunk, et ne survole que très superficiellement les thématiques de ce genre de la SF né dans les textes d'écrivains aussi brillants que Philip K. Dick et William Gibson (j'ai lu Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?, rebaptisé dans les nouvelles éditions Blade Runner, et je prévois de lire bientôt Le neuromancien). Plein de gens ont argumenté sous la vidéo de GND que Cyberpunk 2077 était adapté d'un JDR papier appelé Cyberpunk 2020 et sorti pour sa première version en 1988.
Sauf que voilà : ON S'EN BRANLE. Cyberpunk 2077 est sorti dans les années 2020, il doit donc actualiser son propos pour que ça colle aux thématiques sociétales et cyberpunk de sa décennie. On est plus dans les année 80, le néo-libéralisme et le numérique ont beaucoup plus à dire sur la société de nos jours qu'en 1988.

D'ailleurs j'en profite pour préciser que perso, sans avoir lu tout ce qui a fondé le genre, je connais quand même pas mal le cyberpunk, de Philip K. Dick à Psycho-Pass, de Dex à Dark Angel en passant par RoboCop, les deux versions, Total Recall, le plus récent, ou encore les jeux vidéo Deus Ex, pour ne citer que ces références. J'ai une expérience du genre suffisante pour en parler.

Cet article de Hitek a super mal vieilli XD c'est une bonne présentation du genre du cyberpunk, mais il se conclut par "on doute pas un instant que Cyberpunk 2077 saura apporter sa pierre à l'édifice de ce mouvement passionnant que nous admirons tant."
ALORS XD Le cyberpunk d'après Cyberpunk 2077 ? Comme le dit Hugo Terra : "bétons, tétons, néons."

Le Marvel Cinematic Universe représente ce problème à travers toute son existence et on y a droit à chaque film. À CHAQUE. PUTAIN. DE FILM. Toujours les mêmes comptes sur les réseaux, les mêmes médias en ligne, qui ressortent le fameux "qui est ce nouveau personnage qui va faire son apparition ?" et ON S'EN TAPE, c'est une histoire originale, ça fait des années que je le dis, le MCU a repris les personnages de Marvel ET C'EST TOUT.
Le film Shang-Chi et la légende des dix anneaux s'attarde, entre autres, sur la complexité de la vie des Sino-Américains, perçus comme Chinois aux USA et comme Américains en Chine, les films Iron Man et Captain America réactualisent les récits originaux avec les thématiques sociétales actuelles, collusion entre les pouvoirs politiques et militaires, espionnage et contre-espionnage, ingérences internationales très discutables des USA...
Les films du MCU qui proposent des réflexions politiques et sociétales le font sur NOTRE époque, pas sur les années 60 et 70 où sont apparus les personnages à l'origine. Le personnage original de Shang-Chi est un mercenaire, les récits n'en ont sûrement rien à péter des émigrés chinois aux États-Unis !

Et puis qu'est-ce qu'il est bien ce film, je l'aime trop. Les personnages féminins sont magnifiques, ma préférence va à la mère et la sœur de Shang-Chi, le casting est dingue, la musique, la photographie, les costumes, tout est si parfait 😍

Cyberpunk et le MCU sont des exemples assez parlants, pas la peine d'en voir douze, t'as saisi l'idée : ce discours selon lequel un personnage dans une adaptation devrait ressembler au personnage équivalent dans l'œuvre originale, c'est de la connerie. Une adaptation ne devrait JAMAIS coller à 100% au récit original dont elle est tirée si elle peut apporter un regard différent, de nouvelles idées, l'utilisation intelligente d'un nouveau support — c'est une des raisons qui fait que les adaptations live de films ou séries d'animation sont aussi inutiles que nazes : on ne change pas fondamentalement de support, il n'y a rien à ajouter.

Du feu et du sang.
Forts de ces réflexions sur l'original qui n'est pas forcément meilleur que l'adaptation et sur l'adaptation qui n'a pas forcément obligation de coller à l'original, on peut maintenant se pencher sur un cas d'école, un exemple parfait illustrant ces deux principes.

House of the Dragon est une série de HBO qui fait suite à la série Game of Thrones et se déroule dans le même univers que celle-ci, presque 200 ans plus tôt. Elle est centrée sur les intrigues familiales et politiques qui divisent la lignée régnante du royaume de Westeros, la Maison Targaryen, dont l'emblème est un dragon tricéphale et dont la devise est "Feu et Sang."
Comme Game of Thrones qui est adaptée de la saga romanesque du Trône de Fer, la série House of the Dragon est partiellement adapté du travail de G. R. R. Martin, et plus particulièrement du roman en deux volumes Feu et Sang.

.....sauf que Feu et Sang n'a absolument rien à voir avec House of the Dragon, en fait. C'est ça le plus intéressant à la fois dans ce roman, dans son adaptation, et dans le processus qui mène de l'un à l'autre.
Feu et Sang se présente non pas comme un roman qui raconte une histoire, mais comme un texte diégétique directement tiré de bibliothèques de Westeros et rédigé par un Archimestre de la Citadelle de Villevieille : une généalogie de la lignée Targaryen, d'Aegon le Conquérant, premier roi de (presque) tout Westeros, jusqu'à Aegon III Targaryen.
Le livre couvre donc presque un siècle et demi (et même davantage puisqu'il aborde les origines valyriennes de la Maison Targaryen et son choix de s'exiler sur la petite île westerosi de Peyredragon avant le Fléau de Valyria qui a détruit le plus grand et glorieux empire de son monde), en n'abordant que de manière concise la vie des personnages, sans s'intéresser à l'ensemble de l'Histoire de Westeros, et s'il passe davantage de temps sur la Danse des Dragons que sur les règnes des Targaryen qui l'ont précédée (Aegon III constituant la dernière partie du livre), même sur cette partie, Feu et Sang n'es pas une source très fiable.

En effet, par souci de réalisme, George Martin fait dire à son chroniqueur fictif :
- que Feu et Sang est un travail de compilation de chroniques rédigées par différents mestres,
- que cette compilation est réalisée longtemps après les événements racontés,
- que sur la Danse des Dragons, trois sources divergentes constituent le corpus de travail.
Le résultat qui est accessible aux lecteurices du vrai monde comme vous et moi, c'est donc la narration sujette à caution d'une guerre fratricide matérialisant une succession dynastique problématique, par trois personnages qui ont vécu pendant la Danse des Dragons mais n'ont assisté chacun qu'à une partie des événements.
Qu'est-ce qui est vrai, qu'est-ce qui a été confirmé par des témoignages ultérieurs ? Quelles sont les motivations des protagonistes, les implications pour le reste de Westeros et du monde, comment se sont enchaînées les péripéties de cette guerre ?

Je vous jure, en cherchant une image à mettre ici, je suis tombé sur plein de résultats à base de "tout ce qu'il faut savoir sur Hugh le Marteau et Ulf le Blanc", ces baltringues ne cherchent même pas à analyser la série, ils sont persuadés qu'elle va proposer ce que racontent déjà les livres.
Lesquels... ne racontent pas, vu qu'on a un récit fragmentaire d'une période troublée.

On sait pas vraiment et c'est ça qui est intéressant : n'en déplaise aux baltringues qui n'ont pas pu s'empêcher de pondre des articles sur "qui sont Hugh Marteau et Ulf le Blanc, les deux personnages introduits dans la saison 2 ?", bah l'auteur lui-même ne le sait peut-être pas, l'Histoire ne le sait pas, les événements de la Danse des Dragons sont d'une violence inouïe — y compris des épisodes de la guerre qui impliquent ces deux hommes — et certains passages sont encore plus incertains que la moyenne, alors est-ce que les personnages seront fidèles à Feu et Sang ?
C'est-à-dire qu'il n'y a pas grand-chose sur eux dans Feu et Sang xD Pour les scénaristes de la série c'est un buffet à volonté, ce genre de récit : une intrigue principale, et la liberté de construire plein d'embranchements autour avec les personnages peu connus qui gravitent autour, de leur développer une personnalité, un background, des espoirs et des peurs ♥
Bref, de faire de la sociologie avec des histoires. J'adore.

Tout ça pour dire qu'il faut faire preuve de prudence avec les adaptations, en particulier quand on sait déjà que ce sont des adaptations.
Les œuvres originales inadaptées au nouveau format, pour lesquelles il faut des transformations en profondeur, ça existe (c'est toi que j'regarde, Le Seigneur des Anneaux), et un récit qui change de format ou de support n'a pas nécessairement besoin de coller au récit original pour aboutir sur une œuvre magistrale — en témoigne Fullmetal Alchemist, l'animé de 2003, qui s'éloigne du manga mais ne perd pas en qualité pour autant.

Il faut VRAIMENT apprendre à apprécier une œuvre pour ce qu'elle est, pour ce qu'elle propose, et pas forcément pour l'œuvre dont elle est adaptée. La fidélité absolue à l'original, c'est une entrave à la créativité, et le meilleur moyen d'apprécier une adaptation c'est de la regarder ou d'y jouer, pas d'y plaquer des attentes absurdes et liées à un format médiatique différent. On écrit pas un film comme une série, on ne filme pas une série ou un film comme un jeu vidéo, on doit transformer un roman pour le porter à l'écran, sans même parler des comic books qui souvent étaient pleinement immergés dans le contexte sociétal de leur époque.

Pourquoi exiger des adaptations qu'elles collent à l'original, alors que des œuvres différentes, ça fait deux fois plus de narration et de culture en plus ? Plus il y a de culture et de diversité, mieux c'est !
Et si vous voulez absolument le récit et l'expérience de l'œuvre originale, ben elle existe encore. Retournez voir ou découvrez l'œuvre originale. Laissez les adaptations faire leur propre truc.

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