Auteur : Pierre Pevel.
Origine : France.
Nombre de livres : 3.
Date de publication : 2001, 2002 et 2004, compilés dans une édition intégrale en 2011.
Genre : histoire, aventure, fantasy.
Pierre Pevel aux Imaginales en 2013. |
Né en 1968, Pierre Pevel, d'abord journaliste et scénariste pour jeux de rôle, a commencé par écrire sous le pseudonyme de Pierre Jacq. Il est connu sous son vrai nom dès 2001 avec le début de ce qui sera la trilogie de Wielstadt. Pierre Pevel a par la suite confirmé son talent pour l'uchronie historique avec le cycle d'Ambremer puis la trilogie des Lames du Cardinal.
Il a également entrepris depuis 2006 de réaliser des traductions neuves et plus fidèles de la série James Bond de Ian Fleming. Pierre Pevel vit actuellement à Nancy, en Lorraine.
Wielstadt, grande et prospère cité du Saint-Empire Romain Germanique, 1620. Le chevalier Kantz, kabbaliste et chasseur de démons, est de retour en ville après une mission secrète. Il pratique un exorcisme délicat sur la demande d'un ami avant de rentrer chez lui épuisé.
Mais son attention sera vite requise à nouveau par les autorités de la ville : une série d'assassinats sans lien apparent est perpétrée et son ami le Lieutenant Criminel du Prévôt est dépassé par ces crimes insoutenables.
La trilogie de Wielstadt – pour vous dire, je me rappelle même plus comment j'ai découvert Pierre Pevel à l'origine – est un de mes ouvrages préférés, et pourtant j'ai énormément lu dans ma vie. Son auteur est tout simplement mon écrivain favori et un de mes modèles. Son style personnel, très reconnaissable, baigne dans un amour de la littérature française, principalement celle d'Alexandre Dumas, mais aussi de l'histoire, ce qui lui fait écrire surtout des uchronies de cape et d'épée.
Disons-le clairement, la fantasy est mon genre préféré. Alors un auteur qui mélange histoire et fantasy, je suis forcément bon public.
On a donc affaire ici, dans ce volume qui en compile trois, au récit complet des combats de Kantz, dont on ne sait pas grand-chose pendant un bon moment, face aux périls qui menacent Wielstadt.
Comme il se doit dans le cadre d'une uchronie, Pevel commence par situer le cadre : nous sommes en 1620, puis 1623 et 1624, au début d'une guerre de Trente-Ans qui durera jusqu'en 1648, et dans le Saint-Empire.
Plus précisément, Wielstadt se situe sur la « Mer du Rhin », une baie fictive qui remonterait tout le nord-ouest de l'Allemagne en transformant le fleuve en prolongement de la Mer du Nord. C'est la Rhénanie, une région relativement riche, parce que commerçante, et protégée, parce que loin des principautés impériales converties au protestantisme luthérien qui est à l'origine de la guerre. Il est intéressant de noter qu'on se trouve donc, à cet endroit, pas très loin des Provinces-Unies (actuels Pays-Bas) et de la Lorraine, ce qui est utile dans le récit [spoiler] puisqu'on apprend vite que l'armée du protestant Christian de Brunswick a traversé l'ouest de l'empire pour fuir les catholiques allemands vers les Provinces-Unies, et beaucoup plus tard que Kantz est un ancien Jésuite qui a fait ses armes en Lorraine [fin de spoiler].
Pierre Pevel décrit Wielstadt comme se situant à peu près au niveau de Düsseldorf. Faut donc imaginer qu'au nord de celle-ci se trouve un large coin, une baie plus ou moins triangulaire qui prolonge la mer du Nord et à la pointe de laquelle se trouve Wielstadt.
Parce que la trilogie traite de sujets très pointus et méconnus du public, Pierre Pevel se doit de les expliquer autant que possible, soulignant par là l'énorme travail de recherche qu'il a réalisé. Le narrateur (je rappelle que le narrateur n'est l'auteur que dans le cas d'une autobiographie) évoque donc tour à tour les prophéties liées à la fin du monde dans la mythologie chrétienne, les anges déchus, les démons, l'ésotérisme, la kabbale, mais aussi des enjeux plus matérialistes comme la Rose-Croix et la Sainte-Vehme, deux sociétés secrètes de l'époque moderne.
De fait, la trilogie de Wielstadt est en cela très comparable à un livre que j'ai lu récemment, Arachnae, encore de la fantasy française, mais cette fois placée dans un cadre fictif inspiré des principautés italiennes à l'époque moderne.
Le personnage principal de Kantz passe beaucoup de temps à enquêter, à interroger et à plonger dans les bas-fonds de Wielstadt, n'utilisant ses talents de spadassin qu'occasionnellement et même pas toujours contre des adversaires notables. Bandits de grand chemin et déserteurs de la guerre de religion sont aussi présents, de même que des intrigues secondaires, mais qui rendent l'univers riche et vivant, liées à la guerre de Trente-Ans ou à ses amis.
Parmi ceux-ci, un officier de petite noblesse allemande, Rainer von Regenhalt, un faune aubergiste, Zacharios, un nain, Wilhelm, un imprimeur et libraire, Günter Vecht, ainsi que la commanderie des Chevaliers du Temple de Wielstadt, dans une version fictive où les Templiers sont réapparus comme bras armé du christianisme après leur disparition au début du XIVème siècle. Des protagonistes qu'il est à la fois logique et intéressant de trouver dans une grande cité allemande du XVIIème siècle, dans un monde où la Grèce abrite depuis toujours faunes et centaures, et où l'Écosse est le pays des nains roux et hardis.
Bon, je vais pas trop m'attarder sur l'intrigue, mais je tiens quand même à préciser que Pierre Pevel écrit ici un récit extrêmement riche et passionnant malgré la complexité de ses sujets. Le passé de ses personnages, leurs convictions politiques, religieuses, sociales, leur éthique morale et personnel, tout est passé au filtre des épreuves qu'ils traversent, et Wielstadt elle-même subit le contrecoup de la guerre qui pourtant ne la touche pas.
Certaines révélations du tome 3, en particulier, sont brillamment amenées, teintant le récit de drames personnels et n'étant jamais vraiment lumineux, fusionnant avec talent la grande Histoire et le parcours personnel des héros fictifs. Oubliez les happy ends dans une Europe qui s'apprête à vivre l'un des pires conflits de son histoire jusque là.
Bon pour le coup il va m'être difficile de ne pas être dithyrambique en évoquant le style et la forme du récit, mais il faut avouer que c'est très, très bien écrit. Autant, comme je l'ai dit, Arachnae m'a rappelé Wielstadt par bien des aspects, autant la profondeur des enjeux est sans commune mesure tant il est difficile d'arriver à la cheville d'un Pierre Pevel.
Les descriptions sont, comme il se doit, très développées et détaillées, permettant au lecteur de se faire une idée immédiate et assez complète du cadre de l'action, des rues, des places et des maisons traversées par Kantz. Les portraits sont plus sommaires et plus éclatés, entretenant le suspense jusqu'à la révélation intégrale de certains personnages – notamment les antagonistes – mais de manière générale on parvient vite à déterminer à quoi ils ressemblent, à identifier sans difficulté les principaux et même à s'attacher à certains.
D'un autre côté, plusieurs ennemis sont parfaitement détestables, comme Rainecker, la némésis de Kantz, ce qui permet au narrateur de les décrire plusieurs fois afin qu'on sache, à chacune de leurs apparitions, à qui on a affaire.
L'un des reproches que je pourrais faire par rapport à ce livre est que, dans sa volonté de vulgariser des sujets complexes – la mythologie chrétienne, les évangiles apocryphes (non intégrés dans le canon biblique) ou même les écrits et thèses ésotériques comme ceux de la Rose-Croix – Pierre Pevel fait des répétitions. Souvent, c'est un livre à l'autre, et c'est pas de sa faute dans un volume qui en compile trois, le problème ne se posait pas quand les différents tomes étaient publiés séparément, mais parfois, c'est directement au sein du même livre, et ça a tendance à sous-estimer la capacité de mémorisation et de compréhension du lecteur.
Pareillement, certains portraits de personnages sont trop appuyés, dans leurs convictions, leur histoire, rappelant des éléments qu'on connaît déjà bien. Mais bon, ça reste des petits défauts dans un ensemble qui est globalement génial.
En bref : monument incontournable de la fantasy française, Pierre Pevel livre ici un de ses meilleurs récits, avec un talent qu'il ne fera que confirmer dans ses œuvres ultérieures. Malgré la complexité des enjeux et des thèmes, le roman de cape et d'épée retrouve ses lettres de noblesse à travers cette histoire d'enquête, de religion et d'ésotérisme. C'est passionnant, si prenant qu'on a du mal à décrocher, mais on n'a tout de même pas de regret devant un dénouement à la fois inattendu et logique. Comme quoi ça peut parfois finir bien quand ça finit mal.
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