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17.1.17

Dark fantasy et principautés italiennes.


Arachnae.

Auteur : Charlotte Bousquet.
Origine : France.
Nombre de livres : 3.
Date de publication : 2009, 2010 et 2011.
Genre : dark-fantasy, aventure.

Charlotte Bousquet
aux Imaginales en 2012.

L'auteur.
Née en 1973, Charlotte Bousquet est une auteure très prolifique, qui écrit depuis 1999. Philosophe de formation, elle a soutenu une thèse sur les mondes imaginaires. Elle est également co-créatrice d'une maison d'édition destinée à soutenir des associations humanitaires et écologistes. Elle a publié de nombreux livres qui ont été récompensés par divers prix : du fantastique avec Lettres aux ténèbres, du polar historique avec Noire Lagune et Princesses des os, de la littérature jeunesse, ainsi que de la fantasy.



La principauté d'Arachnae a toujours été dirigée par des femmes. Il est donc anormal et même pour beaucoup, déplaisant, qu'elle domine la plupart de ses voisines sous l'autorité du prince Alessio, nommé héritier par sa sœur mourante des années plus tôt.

Les principaux adversaires du noble patricien sont cependant les Moires, les trois incarnations de la Triple-Déesse de la Lune, maîtresses de la destinée et habituelles conseillères des principautés, pourtant écartées du pouvoir d'Arachnae. Une série de meurtres survient alors dans la cité, qu'est chargé d'élucider le capitaine Tigran Gracchi, aidé d'une jeune apprentie-assassin, Theodora.


Comme je l'ai dit début janvier dans mon article sur la trilogie de Wielstadt de Pierre Pevel, ce dernier qui est mon ouvrage préféré de fantasy me revenait sans cesse en tête lors de ma lecture d'Arachnae fin décembre, à l'occasion d'un challenge de lecture. Les deux œuvres sont parfaitement indépendantes et différentes, et il subsiste pourtant d'immenses similitudes qui m'ont fait apprécier la seconde presque immédiatement.

Là où Pierre Pevel explore une cité du Saint-Empire Romain Germanique au début du XVIIème siècle, Charlotte Bousquet emmène le lecteur dans les principautés italiennes, un ou deux siècles plus tôt, ou en tout cas dans une nation fictive, dont on sait peu de chose, mais qui en est vachement inspirée.
Du coup, pas étonnant que la ville d'Arachnae soit plusieurs fois décrite comme une puissante cité qui a soumis plusieurs de ses rivales, lesquelles lui doivent l'impôt – ce qui est logiquement utilisé dans l'intrigue – ni, d'un autre côté, qu'elle soit présentée pratiquement comme un être vivant organique, énorme et monstrueux, où la façade lumineuse et prospère ne peut exister sans les aspects les plus sombres, les quartiers les plus misérables, dangereux et infréquentables : Wielstadt avait bénéficié du même traitement.

Le livre a bénéficié d'une réédition en 2013,
toujours chez le même éditeur et dans la collection Hélios.

Bon, après, il n'est pas facile d'arriver à la cheville du grand Pierre Pevel, roi de l'érudition et de la recherche. Alors ici, il n'est pas question de mythologie chrétienne et de prophétie apocalyptique, certes, mais le propos très intéressant mêle quand même avec justesse les Moires – des divinités grecques antiques, vous savez, la Tisseuse du fil de la vie, la fileuse et celle qui le coupe, peut-être un peu moins connues que leurs équivalents romaines les Parques – et les pouvoirs « italiens », à la fois princier et civil. Theodora, personnage principal, est ainsi sortie d'un orphelinat dans le prologue afin d'être envoyée dans une académie où elle est formée comme bretteuse et maîtresse d'armes.
Ouais, on est comme ça nous, les auteurs de fantasy française, on aime bien rendre nos héros crédibles et réalistes. On va pas te sortir un prince oublié qui découvre sa noblesse en même temps qu'une prophétie qui fait de lui un sauveur du monde avec en bonus des super-capacités de combattant aguerri, nan, on va d'abord les faire passer par une académie et des enseignements stricts.

Bref, Theodora, peut-être quelque chose comme 17 ou 18 ans (honnêtement j'ai lu le livre y'a vingt jours, j'ai embrayé direct sur autre chose et j'ai la flemme de le parcourir en tous sens pour retrouver les détails), est décrite comme simple, discrète, mais jolie et caractérielle. Forte et peut-être un peu capricieuse. Liée à des personnages plus importants qu'on pourrait le croire.
Le livre commence en effet comme une pièce de théâtre (encore l'hommage à l'Italie d'époque moderne) avec l'annonce des personnages par factions. La distribution compte donc une jeune comédienne (aaahhh, la comedia italienne ^^) capable d'intrigue et d'espionnage, un maître-espion, un capitaine de la garde avec des soldats, le prince, ses trois enfants, sa femme, les Moires et d'autres.

Clairement, l'intrigue apparaît de prime abord comme un peu complexe et très empreinte de mystère, à la fois pour suivre le point de vue de Theodora et du prince Alessio, qui nagent encore dans le brouillard au début, et pour entretenir le suspense, avec une certaine réussite. Et puis, comme chez Pevel, les rouages se mettent à tourner, l'étendue de la toile qui se referme apparaît et waw ! J'adore la fantasy française XD
En plus, une autre originalité par rapport à Wielstadt, qui m'a paru déroutante mais que j'ai apprécié, est le fait que les rebondissements de l'intrigue entretiennent l'incertitude jusqu'à la toute fin. Chez Pevel, dès le début de chacun des trois livres, le lecteur sait qui est le méchant même si Kantz l'ignore, et on passe tout son temps à voir les deux se rapprocher, alors que là même quand l'enquête a l'air d'être finie, y'a encore du mystère et du combat en perspective.

Cytheriae et Matricia, les deux autres volumes de la trilogie, ne sont apparemment pas liés en termes d'intrigue, seulement dans leur univers, à Arachnae.

De fait, comme on est dans un roman à la fois de cape et d'épée et de fantasy, il est légitime de trouver des combats – pas trop, mais quand même assez importants et bien mis en scène pour satisfaire les attentes - et du surnaturel.
En l'occurrence, un des personnages les plus intéressants est la plus jeune fille du prince Alessio, Artemisia, la seule de ses trois enfants qui soit dotée du don de voyance. Un truc finalement pas si rare, dans l'univers d'Arachnae, puisque c'est aussi le cas des Moires, forcément, et de Theodora, qui ne cultive pas ce talent et le subit donc de manière erratique et parfois gênante.

Loin de la magie grandiloquente de l'heroic-fantasy, on lorgne plutôt ici du côté de la dark fantasy à bien des égards. Puisque les complots politiques comme les enlèvements et les meurtres explorent les vices et les faces les plus sombres de la personnalité humaine, les descriptions de rituels sanglants, du Labyrinthe, le réseau de bas-fonds d'Arachnae sont chargés de noirceur. On trouve là nombre de trafiquants de vie humaine, des maisons closes et des prostituées, et la mise en scène des affrontements qui s'y déroulent est souvent assez crue dans le tableau qui en est fait. Sans parler des sentiments exprimés par les criminels et les victimes qui se savent condamnées.

Du coup, de manière générale, il est heureux que quelques personnages offrent une échappatoire dans cet univers d'où le manichéisme est parfaitement absent. Alessandrina, la fille aînée du prince Alessio, Ornella, la jolie courtisane-actrice qui permet d'intégrer du théâtre au sein même de la narration, et même parfois le prince lui-même, dans des dialogues avec son fils qui brillent par la lucidité froide et cruelle dont ils font preuve. Clairement, le livre est écrit avec beaucoup de maîtrise et de talent. J'adore.
Je précise aussi rapidement, avant de finir, que si le livre appartient à une trilogie, en réalité les deux suivants se déroulent dans une autre cité du même univers et leur narration n'est en rien liée à celle d'Arachnae – et qui trouve sa conclusion. Pour ma part, je ne vais pas les lire, parce qu'à mon sens ce dernier se suffit à lui-même.


En bref : un excellent ouvrage que je recommande évidemment à tous les amateurs de fantasy, même sombre et tourmentée, ainsi qu'à ceux des romans de cape et d'épée, mais en fait à tout le monde. C'est bien écrit, les dialogues comme les descriptions témoignent d'un soin particulier dans la conception des personnages, dans la cohérence de l'intrigue, et avec ça des rebondissements très inattendus. Vraiment, un récit superbe, sombre, violent, noir, mais très estimable.

1 commentaire:

  1. Tu m'as donné très envie de le lire, ce que tu décris, c'est ce que j'aime lire dans la fantasy. Pourquoi y a t'il autant de bons récits à lire?
    Genre Haut-Royaume, de Pierre Pevel, justement. J'avais vraiment aimé le premier tome, mais je n'ai jamais lu la suite que j'attendais pourtant impatiemment, avec tout ce que j'ai déjà à lire à côté. Je ne sais pas si tu as lu ce cycle, mais j'aimerais bien avoir ton avis dessus.

    J'ai vu que tu lisais les enchantements d'Ambremer. je n'ai lu que le premier tome et... je n'ai pas du tout été enchantée. C'est très bien écrit, il y a des idées incroyables, un univers avec tout ce que j'aime, mais l'histoire en elle-même m'a laissé de marbre. Peut-être la suite vaut-elle que j'y revienne pour réviser mon jugement? Mais je n'ai pas réussi à m'attacher aux personnages, du coups, j'hésite.

    Merci pour ta chronique en tout cas, qui permet de faire une nouvelle découverte sympathique!

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