Barre-menu

11.6.15

Origine et naissance des super-héros avec steampunk en Europe


La bridage chimérique.

Auteurs : Serge Lehman et Fabrice Colin pour l'écriture et Gess au dessin avec une colorisation de Céline Bessoneau.
Origine : France.
Nombre de livres : 6 compilés plus tard en une intégrale.
Date de publication : 2009 et 2010 pour les six volumes, l'intégrale en 2012.
Genre : bande-dessinée, histoire.

La brigade chimérique :
1. Mécanoïde Curie - La dernière mission du Passe-Muraille
2. Cagliostro - La chambre ardente
3. L'homme cassé – Bon anniversaire docteur Séverac
4. Politique internationale – HAV-russe
5. Le club de l'hypermonde – TOLA
6. La Tête arrive – Épilogue : le grand Nocturne

1939, en Europe. Mabuse, le docteur M, maître-hypnotiseur, a convié dans sa cité de Métropolis les plus grands surhommes qui soient, nés des usages abusifs du radium durant la Grande Guerre, pour leur faire part de son projet pour l'Europe : il voit dans ses semblables l'avenir de la race humaine et craint une tentative de destruction de la part des gens normaux et surtout des Juifs.

Face à lui, Andrew Gibberne dit l'Accélérateur et Léo Saint-Clair, le Nyctalope, protègent respectivement Londres et Paris, mais sont confrontés à la division au sein des pays libéraux. Pire, en Russie domine sans partage le groupe Nous Autres, qui seul inquiète Mabuse, mais dont les objectifs sont insondables.

Tout d'abord, il faut savoir que, parce que je suis un sacré veinard, j'ai eu la possibilité de lire non pas les 6 volumes séparés de cette série mais l'intégrale publiée quelques années après, grâce aux bons conseils de mon bibliothécaire préféré et récemment auto-promu conseiller en bande-dessinée (c'est à lui que je dois La splendeur du Pingouin et V pour Vendetta).
En outre, La brigade chimérique est aujourd'hui, depuis que je l'ai lue, l'une des meilleures BD que j'aie lues, en termes d'appréciation et de qualité, qui se hisse sans difficulté au niveau de Watchmen, V pour Vendetta ou De capes et de crocs.
Qu'est-ce que le point de cette intégrale ? Bah en plus de l'histoire elle-même j'ai aussi eu accès à des bonus à la fin, soit une explication de la genèse de l'œuvre et des travaux préliminaires sur les personnages ainsi qu'une explication de toutes les références littéraires, artistiques et cinématographiques de l'ouvrage, et y'en a LA BLINDE.

Cliquez sur l'image pour la voir en taille réelle et vous gênez pas pour vous documenter, cette seule vision a suffi à me donner envie de lire cette œuvre.

Pour bien décrire La brigade chimérique, je vais devoir revenir sur ses origines et son contexte d'écriture. Je vais essayer de faire simple pour pas trop vous perdre mais surtout que cela ne vous déconcerte pas : c'est une œuvre absolument magnifique et d'une écriture purement géniale, alors n'hésitez pas à la lire voire à vous la procurer (présentement en train de constituer la liste de ma future bibliothèque).
Tout commence chez les auteurs d'un constat simple : en Europe, on n'a pas de super-héros. Ceux qu'on a soit sont des parodies, soit de pâles copies, soit des importations de ce que font les Américains. Aucun héros de création européenne.

C'est pourtant pas le choix qui manque, d'après Serge Lehman, dans la littérature SF et fantastique de la fin du XIXème et du début du XXème siècle. De nombreux héros ont un potentiel super-héroïque qui n'a jamais été exploité et sont depuis tombés dans l'oubli. C'est la lecture d'une histoire d'époque, L'homme chimérique (ça ne s'invente pas), déployé en un roman puis une série d'épisodes courts, qui inspire le présent univers.
Arsène Lupin, Sherlock Holmes, le capitaine Nemo, autant de personnages qui constituent pour les personnages de La brigade chimérique des modèles autour de Jean Brun de Séverac, réécrit en une version enrichie de l'original. Le Nyctalope, l'Accélérateur, Mabuse ou encore Superman, créé en 1939 dans son Action Comic et ici présenté sous son nom de Monsieur Steele, sont ainsi des personnages de littéraires authentiques compilés en une aventure unique.


Tout commence par Mabuse qui convie les superscientifiques dans sa cité de Metropolis afin de leur parler de son super plan. Notez que l'intérieur ressemble furieusement à un opéra que n'aurait pas renié l'ami Albert Speer, maître-architecte de l'Allemagne Nazie.

Là où ça devient brillant, c'est que La brigade chimérique est certes une uchronie – je connais le point d'uchronie, c'est l'apparition du Golem en Europe et les conséquences que ça a entraîné, mais il est impossible à situer précisément dans le temps – mais elle parvient à la toute fin de sa narration à revenir à notre réalité en fournissant une explication fictive mais très plausible de la disparition des super-héros en Europe... et de leur naissance en Amérique.

Mais concrètement, ça reste quand même une histoire fictive placée dans un contexte historique précis, alors je vais pas me gêner pour vendre du rêve hein XD
Alors, tout commence en gros durant la Grande Guerre, lors de laquelle Marie Curie, qui étudie le radium tout en étant infirmière ambulante sur le front, assiste à la naissance d'êtres superscientifiques – la série se voulant aussi rationnel et pragmatique que possible, c'est le mot employé tout du long pour dire surnaturel – dotés de pouvoirs particuliers. Après la guerre, elle s'efforce de les étudier depuis son Institut du Radium à Paris, mais meurt en 1934 en confiant la capitale française à Léo Saint-Clair, ce que refusent d'admettre Irène Curie et son mari Frédéric Joliot (des personnages historiques réels), nouveaux dirigeants de l'Institut et critiqués pour leur position favorable envers la Russie de Nous Autres.


L'histoire se veut donc essentiellement une série d'enquêtes sur les manipulations de Mabuse, l'archétype du savant fou, appuyé par le richissime Gog, un genre de Monsieur Burns italien, et de La Phalange, un gros démon espagnol fou furieux, ennemi du Partisan, un héros sans pouvoir dont la spécialité me semble être, d'après son nom et le dénouement du livre, la Résistance, puisqu'on le voit en dernier en Angleterre. Lesquelles manipulations de Mabuse sont évidemment liées à son grand Plan centré sur Metropolis et sur la « question juive » en Europe centrale (Varsovie, Prague...).
Nous Autres figure très bien le communisme naissant et idéalisé, à savoir l'esprit communautaire largement mis en avant sur l'individu, l'espoir d'une société du partage absolu sous la direction d'un chef aimant et protecteur, qui rappelle furieusement Staline, à ce détail près que c'est un robot géant et que Nous Autres utilise des exosquelettes, ce qui, avec d'autres trucs (des aéronefs à Paris, une esthétique très victorienne et industrielle), donne indéniablement à La brigade chimérique une valeur ajoutée steampunk.
Oui parce que si vous avez pas lu mon amie Studinano , le petit génie peinture-culture grâce à qui j'ai découvert La brigade, sachez qu'elle a réalisé un article entier sur le steampunk en expliquant notamment qu'il ne se limite pas au XIXème siècle.

Il va de soi que face à un monument pareil, j'ai adoré la caractérisation des personnages. Certains sont seulement de l'arrière-plan comme Thomas Carnacki, Harry Dickinson ou le dernier Atlante, Félifax est un peu bizarre et apparaît peu (comme Palmyre et Baal), mais la plupart sont aussi cohérents qu'intéressants, le Nyctalope avec sa mégalomanie qui le pousse à vouloir à tout prix passer à la postérité, Gregor Samsa dit le Cafard (parce qu'il se change en nuée de cafards comme dans La métamorphose de Kafka), hongrois et juif, est aussi très utile à la narration, et l'œuvre se paie même le luxe de ne pas faire du personnage éponyme, la brigade chimérique, le centre unique de son casting ^^
En fait ce sont surtout des Avengers avant l'heure, mais nés d'un être humain, ils sont eux aussi soumis aux passions humaines, ce qui les rend attachants et réalistes :)

George Spad - c'est un nom de plume qui était aussi celui de l'auteur de L'homme chimérique - biographe désignée du Nyctalope et Jean de Séverac, vétéran de la Grande Guerre, sont deux des personnages principaux.

Au-delà de l'uchronie et du steampunk évidents et absolument géniaux, La brigade chimérique se veut une narration historiquement réaliste et honnête du postulat de base, l'absence de super-héros en Europe, et s'efforce donc de dénouer une intrigue assez connue – c'est le principe même de l'uchronie. Les séquences, datées au jour près assez régulièrement, commencent en 1939 et sont pleines de surprises et de rebondissements. Même – et surtout – quand on connaît l'histoire de cette période, on est au dépourvu par ce que nous réservent les deux scénaristes dans leurs flashbacks de 1918 à 1939.

J'veux dire, La brigade chimérique, comme on peut s'y attendre, traite de morale, de politique, de pouvoir, de guerre, le tout avec du surnaturel appelé superscience et un brin de mythologies religieuses ou philosophiques par-ci par là. Et ce dénouement, qui sort de l'uchronie pour entrer dans la chronique historique, j'ai adoré. A un moment on fait une sacrée découverte sur Mabuse et Gregor Samsa, et moi je pensais qu'un protagoniste totalement absent jusque là serait juste un anonyme sans importance, un type lambda, et non, c'est LUI et... sans vouloir vous spoiler, vous savez ce qui s'est passé, à partir de 1939, l'Europe Centrale, tout ça... waw, IL FAUT que vous lisiez cette œuvre !!

Docteur Sérum, Matricia, Baron Brun (l'ours) et ok, j'ai oublié le nom de l'ange, sont la Brigade Chimérique du titre.

Au niveau du dessin et de la construction, si on est plutôt face à un style ancien ou qui se veut désuet, c'est quand même très joli à voir. Le design des personnages, la reproduction de Paris, Moscou et quelques autres grandes villes (Varsovie, ou Prague, je crois) dans les années 30 est à la fois fidèle (parce qu'historique) et intéressante (c'est une uchronie), avec notamment de grands affichages dédiés tantôt à Nous Autres et au Comité d'Information et de Défense (autrement dit au Nyctalope). Parfois quelques éléments steampunk, dans les véhicules principalement, et un truc que j'avais jamais vu ailleurs et qui est très sympa en termes de mise en scène, outre le découpage assez classique des vignettes, l'image est parfois coupée en tranches verticales, ce qui permet de mélanger plans larges et successions de scènes individuelles sur la même planche sans la déséquilibrer ni perdre en lisibilité.

Après, les couleurs sont très bien, les personnages jamais cliché, et si c'est moins de la forme que du fond, La brigade chimérique est bourrée de références à l'art, au cinéma, à la société d'époque, et même aux autres bandes dessinées, outre le mélange évident de nombreux héros de feuilletons du début du XXème siècle. Vers la fin, par exemple Bob Morane et Francis Blake s'invitent en Angleterre, comme ça, paf. J'aime.


En bref : irréprochable à la fois au niveau de sa narration, qui épouse parfaitement les intentions éditoriales des auteurs et la construction de l'œuvre elle-même, La brigade chimérique est une série absolument superbe qui revient sur un grand pan de la littérature européenne tout en rendant hommage à une époque oubliée de celle-ci. C'est lisible, agréable, doté de plein de références, de clins d'œil et de niveaux de lecture, et en plus ça a été publié en une intégrale. Découvrez cette série à tout prix, c'est une des meilleures œuvres de bande-dessinée que j'aie jamais lues.

Voir aussi :

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire