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29.6.24

L'impasse du post-apo

Bonjour tout le monde !
Alors, avant tout j'aimerais préciser que NON, je n'ai pas fait exprès d'écrire et de publier cet article en plein milieu d'une période électorale infernale pour la France parce que ça collait avec le sujet. J'en ai eu l'idée bien avant et j'me suis dit que ce serait d'autant plus intéressant d'en écrire un article que je n'écris plus sur ce blog depuis des années de toute façon. Une sortie d'éclair furtif ou de renaissance, peut-être.

En tout cas, ça va parler fiction post-apocalyptique, tu as lu le titre. L'article va sera peut-être confus à certains moments parce que je partage mes réflexions et mes impressions sur le sujet, en parlant de trucs qui sont déjà un peu connus ou évidents, mais sans perdre plus de temps en intro inutile, allons droit vers le sujet.

1. C'est quoi la fiction post-apocalyptique ?
On pourrait sérieusement se poser la question, soit parce qu'on n'y a été confronté qu'indirectement (chacun ses goûts, si c'est pas ta came tu en maîtrises pas les codes, moi par exemple la mode actuelle des romances-fantasy ça me dépasse), soit parce qu'elle est tellement présente et variée dans la pop-culture qu'on peine à distinguer ses traits distinctifs. Ça reviendrait à définir la SF : ouais mais laquelle ?

Alors, pour le post-apo c'est beaucoup plus simple : c'est traditionnellement un sous-genre de la science-fiction qui expose un récit se déroulant après une apocalypse. Ce qui implique la question, c'est quoi une apocalypse ? Au-delà de son acception biblique de "révélation" (rien à voir avec son sens actuel donc), une apocalypse est une destruction partielle ou totale de la société. Le concept a été tellement défriché qu'il fait même désormais l'objet d'une classification sérieuse, qui est le cœur d'une vidéo très intéressante du Tropeur¹, vidéaste spécialisé dans la narration et les codes narratifs (les tropes). Il faut donc que le récit se pose après la fin d'un monde, et pas pendant ou juste avant, auquel cas on est pas dans le genre du post-apo (par exemple la série Jericho ou le film Le jour d'après ne sont pas des récits post-apo).


Après, j'ai dit "traditionnellement un sous-genre de la SF" parce qu'on a toujours plus ou moins estimé que la destruction de la société ou d'un monde (ou DU monde) par l'humanité serait le résultat des progrès techniques (comme le nucléaire ou l'épuisement des ressources naturelles), mais en réalité, rien ne peut imposer formellement le choix d'un genre ou la base apocalyptique d'un récit post-apo : imaginez par exemple un polar noir de dark fantasy. Le monde a été détruit par une puissance majeure utilisant la sorcellerie, la société a été reconstruite, mais quelque chose déconne dans les structures politiques, le récit suit un enquêteur sur la piste de secrets enfouis du passé... et encore, là je vous balance cette idée en vingt secondes, imaginez si quelqu'un avait le temps de développer le principe.
(au passage c'est un truc qui m'horripile par-dessus tout dans Star Wars : cet univers est obsédé par la fin de la République et la saga des Skywalker alors qu'une infinité de récits pourraient être écrits sur cette infinité de planètes, des comédies romantiques, des polars, des drames sociaux, des contes féériques... On peut écrire n'importe quoi dans l'univers de Star Wars sans y mettre des sabres laser, des Jedi et des Sith, et quand j'ai dit ça dans une communauté Star Wars on m'a répondu "là tu décris Andor", vous savez, la série Andor qui se déroule avant Rogue One, en pleine saga Skywalker 🤡)

2. Le post-apo, la SF et la société.
Là ça va être la partie un peu analytique et critique, le cœur de mon propos ^^
Il y a plusieurs aphorismes assez connus sur la SF (et sur la SFFF en général d'ailleurs) qu'il convient de rappeler ici. D'abord, on a souvent dit que la science-fiction projetait ses récits dans le futur pour traiter du présent, le critiquer ou formuler une mise en garde (là où la fantasy projetterait ses récits dans un passé fictif ou fantasmé pour critiquer le présent et formuler des regrets ou de la nostalgie). On dit aussi souvent que la science-fiction, dans les objets narratifs qu'elle utilisait et dans les thèmes sociétaux qu'elle mobilisait, était un révélateur de l'état d'esprit de son époque. Ce qui est probablement vrai, étant donné les centaines d'exemples illustrant ce principe : les super-héros et mutants nés de l'atome dans les années 1950/60, la récurrence du cyberpunk en parallèle du développement de l'informatique, et maintenant l'intelligence artificielle dans l'ère numérique...

La base de ma réflexion m'est donc venue à la sortie du film Furiosa, dont j'avais déjà entendu parler en allant au ciné début 2024 : cette récurrence du post-apo, et surtout d'une certaine vision du post-apo depuis quelques années, qu'est-ce que ça dit de nous en tant que sociétés ?

Déjà, culturellement et intellectuellement, l'existence de Furiosa peut poser problème. Outre que Mad Max Fury Road a détruit une partie de l'écosystème namibien où il a été tourné², il est évident pour à peu près tout le monde que la culture mainstream occidentale (américaine...) baigne depuis le milieu des années 2000 dans un océan de nostalgie paresseuse et une obsession des licences. Les créations artistiques des supports audiovisuels sont dominées par les remakes, les reboots, les suites, les spin-off et les adaptations bref, au lieu de créer du neuf on étend les univers existants. Mad Max Fury Road se situait déjà dans cette veine puisqu'on a tendance à l'oublier mais à la base, entre les années 1970 et 80, Mad Max c'est une trilogie portée par Mel Gibson (dont le cinéma a bien fait de se débarrasser d'ailleurs), avec notamment Tina Turner et sa monumentale chanson We don't another hero pour le troisième, Au-delà du dôme du tonnerre. Alors, j'ai pas vu Mad Max 3 et je connais pas assez la culture australienne pour analyser les deux premiers mais le fait est que, après les deux Babe et les deux Happy Feet (oui oui), George Miller a voulu revenu au post-apo. Enfin, à sa version du genre.

Une version qui fait très Fallout avant l'heure, d'ailleurs.
Un mec et son chien, du cuir et un fusil à canon scié, sauf que Max Rockatanski est un ancien flic australien devenu justicier nomade solitaire sur les routes de l'île, dans une voiture ultra-rapide.

Parce que je l'ai déjà laissé entendre mais mettons les pieds dans le plat : le post-apo c'est pas que ça. Ça n'a pas à être que ça. Ça pourrait être bien plus. Alors je veux bien croire que les années 1970 et 80 étaient pas les plus joyeuses du monde : la Guerre Froide à elle seule, avec ses conflits dérivés (celle du Vietnam se déroule de 1955 à 75, celle d'Afghanistan de 1979 à 89) nourrit les angoisses collectives, auxquelles s'ajoutent la crise pétrolière de 1973 (d'où la prémisse de Mad Max en fait), ainsi que le tournant néolibéral et le développement de l'informatique qui, ensemble, provoquent la naissance du cyberpunk, pas le genre le plus optimiste de la SF. Seulement voilà, normalement, on devrait avoir dépassé ça.

Les années 1990 ont été, au niveau des séries et de la musique, extrêmement insouciantes, colorées et optimistes (c'est l'époque de Friends et de Beverly Hills sur la jeunesse privilégiée de NY ou de Californie), même en jeu vidéo d'ailleurs, 1995 c'est l'année de la sortie de la Playstation et donc de la première démocratisation du genre et de certains genres en particulier (rien que les plateformers joyeux et colorés : Crash Bandicoot, Spyro, Rayman, Croc, Tombi ou les jeux Disney en 3D...). Et pourtant la science-fiction grand public ne s'est pas illustrée dans cette démarche intellectuelle et créative, puisque c'est par exemple en 1997 que sort le premier jeu Fallout et en 1999 le jeu Deus Ex (extrêmement visionnaire quand on lit son propos après coup), qui tous deux initieront des séries marquantes dans leur genre respectif, le post-apo et la dystopie.

Ils étaient peut-être tous si optimistes et insouciants, en fait.
Au passage, même s'il a vieilli graphiquement et techniquement, si vous pouvez faire Deus Ex, n'hésitez pas et écoutez les PNJ discuter.
Les conversations sont incroyablement intéressantes et visionnaires.

Et puis sont arrivées les années 2000, l'avènement de l'ère de la terreur, dont on est jamais sortis d'ailleurs, entre le terrorisme international, la résurgence de principes qu'on pensait relégués aux siècles précédents (nationalismes, fascisme, fondamentalismes...) et l'urgence climatique qui arrive à grands pas. Et là où la SF pourrait jouer son rôle de mise en garde ou de contre-modèle, c'est pile l'inverse qui s'est passé. Réfléchissez-y une minute : si vous dit "post-apo", vous visualisez quoi ? Probablement la même chose que la plupart des gens, une monde sauvage et primitif, avec une nature foisonnante ou des déserts irradiés, une humanité à la dérive ou en déclin, divisée en tribus, avec des rapports de survie violents, des armes à feu omniprésentes, et le retour de concepts ultra-violents comme l'esclavage, la traite humaine et le cannibalisme...

ON EST CENSÉS AVOIR DÉPASSÉ ÇA, GEORGE.
On aspire à un autre avenir que des déserts peuplés de tribus hargneuses motorisées.
Et me lancez pas sur Borderlands, c'est pas du post-apo, c'est de la SF-western interplanétaire.

J'en reviens à la question que je posais plus tôt : que dit de nous, de nos sociétés, cette domination de ce type de post-apo ? De la même manière que le cyberpunk et la dystopie ont phagocyté leur propre segment de la SF au détriment du solarpunk et de l'utopie (c'était quand la dernière fois que vous avez vu ou lu un récit futuriste situé dans un monde sain et équilibré ?), le post-apo semble dépeindre l'humanité du début du XXIème siècle comme un ensemble de personnes fatalistes, résignées, persuadées que tout ira toujours plus mal et qu'un retour aux racines sauvages de l'espèce semble la seule voie concevable. Et pourtant, loin de proposer une réflexion productive et une mise en garde face à un avenir incertain, la science-fiction commet souvent deux erreurs qui la conduisent dans l'impasse du post-apo :
— elle se repose essentiellement sur la narration psychologique plutôt que la narration sociologique³, ce qui se traduit souvent par des récits centrés sur un protagoniste ou un petit nombre de personnages, au détriment des dynamiques sociétales. Le film Zombieland, par exemple, est beaucoup moins un film de zombies ou même un film post-apo qu'un road-movie sur la famille.
— elle reflète souvent les biais socio-politiques des personnes qui la produisent et les modèles sociétaux dominants de leur époque. Il arrive donc que les personnages de récits post-apo cherchent à reconstituer les structures sociétales pré-apocalyptiques — comme l'industrie productiviste ou une économie mercantile et capitaliste – quand bien même elles seraient à l'origine de l'apocalypse : l'Institut du jeu vidéo Fallout 4 s'efforce de mettre en fonction un réacteur nucléaire (l'intégralité de l'univers Fallout est un récit post-apo basé sur de vastes bombardements atomiques sur le sol états-unien) et la Division des jeux vidéo The Divison et The Division 2 est une unité spéciale d'agents d'élites chargée de redresser les institutions états-uniennes (à commencer par la présidence) dans le cas de leur chute, même après leur propre faillite...

C'est fou ça, on vit dans une société oligarchique dominée par l'industrie productiviste, le capitalisme libéral mondialisé et le consumérisme à outrance, et le post-apo mainstream est incapable d'imaginer un contre-modèle qui s'éloignerait de ces systèmes politiques et économiques qui sont précisément la cause de la faillite de leur propre système. Nan parce que dans Mad Max, c'est l'épuisement des ressources qui transforme le désert australien en enfer tribal, et dans Fallout, le mode de vie ultra-consumériste fondé sur l'atome trouve son impasse (et sa guerre nucléaire) dans la course à l'uranium pour nourrir ses propres vanités.

"le noir ce sont les ténèbres, d'où nous venons,
le rouge, pour le sang versé par nos frères et sœurs,
le blanc, la lumière, où nous voulons aller."
On peut être cyberpunk, post-apo et avoir de l'espoir.
Alors y'a bien des exceptions comme Dark Angel, série post-apo et cyberpunk de James Cameron sortie en 2000 dans laquelle on suit un groupe de travailleurs précaires qui détournent à leur profit les règles d'une économie dévastée par la destruction du capitalisme numérique (une impulsion électromagnétique a flingué les USA qui sont en récession), et qui par la suite construisent même une micro-société anarchiste malgré leurs différences, notamment entre humains et êtres transgéniques.

Alors je ne peux évidemment parler que d'œuvres que je connais et il y a des exemples de récits post-apo dans lesquels on s'éloigne du modèle pré-apocalyptique — Fallout 4 par exemple, avec les intrigues du Réseau du Rail ou des Miliciens, qui fonctionnent sur les réseaux de solidarité locale plutôt que sur les institutions centralisées (pas comme ces fascistes de la Confrérie de l'Acier), mais à l'inverse dans Fallout New Vegas, on assiste à l'expansion centralisatrice de la République de Nouvelle-Californie dans le désert du Mojave (cette même république qui est au cœur de Fallout 2 et qui s'est complètement effondrée dans la série Fallout d'Amazon, qui se déroule après New Vegas, chronologiquement le jeu le plus tardif sur la côte ouest américaine, vu que Fallout 3, 4 et 76 se déroulent à l'est de l'ancien pays).

De fait, l'éloignement des règles pré-apocalyptiques et la construction de modèles innovants est plus souvent l'exception que la règle dans le post-apo mainstream.

3. Post-apo, politique et contre-modèles.
Pourtant, dans une société qui baigne aussi abondamment et aussi facilement dans la culture, l'imagination et la création, au risque de passer pour un élitiste, je trouve que c'est pas normal. Faut se rendre compte à quel point le XXème et le XXIème siècle sont des anomalies à tous les niveaux par rapport à l'histoire de l'humanité. J'veux dire, la manière et les raisons dont on fait la guerre et la manière dont on structure politiquement les sociétés, ça n'a pas changé, la civilisation humaine s'est toujours plus ou moins vautrée dans des oligarchies concurrentielles et prédatrices à la fois entre elles et envers leur environnement et leurs ressources naturelles.

Mais culturellement et intellectuellement, la Révolution Française a brisé un certain nombre de tabous, a désacralisé un paquet de trucs qui étaient perçus comme immuables jusque là, et notamment la fracture intellectuelle et culturelle entre les élites et le peuple — cette tendance s'est d'ailleurs confirmée pendant le siècle suivant, au point qu'à la fin de l'ère industrielle et à l'avènement de l'ère atomique (milieu XXème siècle), l'accès à la culture pour tout le monde, c'est-à-dire l'éducation académique et populaire et l'ouverture des arts comme pratique et comme consommation au grand public (ce qu'on appelle culture de masse) est devenu une norme sociétale. Sous l'Ancien Régime il aurait été aberrant à la fois pour les nobles, mais aussi pour les intellectuels progressistes, qu'on puisse ouvrir des bibliothèques publiques pour y amasser des connaissances accessibles à toustes, et les philosophes des Lumières, bourgeois pour la majorité, auraient été catastrophés par le concept d'Internet, espace d'horizontalité s'il en est.

Aberrant pour tous les intellectuels d'Ancien Régime, sauf pour Condorcet ! Condorcet c'était le GOAT !
Marie Jean Antoine Nicolas de Caritat, marquis de Condorcet (un NOBLE, donc), était un intellectuel toutologue (maths, sciences, philosophie, politique...) qui, allant bien au-delà de l'Encyclopédie de Diderot et D'Alembert, était favorable à l'éducation de masse en plusieurs niveaux, laïque et indépendante politiquement, et à l'éducation permanente.
Bref c'est le grand-père de l'Instruction Publique, de l'éducation populaire, de la vulgarisation et de la Formation Professionnelle.

Bref tout ça pour dire que se cultiver sur les enjeux de société et les questions politiques n'a jamais été aussi facile, à la fois dans le cadre des programmes d'instruction officielle et pour compléter ceux-ci. L'écologie, soit le rapport de l'humain à son environnement, les bases de la sociologie, donc le profilage des individus dans la société et les groupes sociaux, l'Histoire aussi, même celle des autres pays, la nature et le fonctionnement des courants politiques et économiques, même quand on n'a pas reçu d'instruction politique ou socio-économique, tout ça est accessible par la vulgarisation, par les ouvrages scientifiques à un niveau un peu plus exigeant, par les conversations avec les uns et les autres, voire même, parfois, par la pop-culture. Toute personne qui a déjà joué à un jeu Civilization et consulté abondamment la Civilopédie aura probablement appris plein de trucs, et peut-être par ce biais en premier lieu.

Je ne dis pas que les gens n'ont aucune excuse pour justifier leur ignorance parce qu'on vit toujours dans une société travailliste dans laquelle le temps professionnel domine souvent le reste, mais les êtres humains ne sont pas, physiologiquement, moins aptes à l'intelligence que par le passé, et sont même culturellement plus outillés pour la création d'idées et de concepts. Regardez Internet : n'importe quelle personne de tout âge, indépendamment de sa culture, de sa formation académique ou professionnelle et de son expérience de vie, peut se lancer dans un projet d'écriture en SFFF, dessiner des êtres imaginaires, consacrer du temps à créer à partir de rien. La société ne nous donne certes pas toujours le temps nécessaire pour concevoir et conceptualiser, mais chacun·e peut refaire le monde en se disant "si j'étais au pouvoir, je ferais ceci ou cela."
Bah faites-le. Dans votre univers créatif vous êtes au pouvoir. Imaginez un ailleurs. Cet ailleurs n'a même pas besoin d'être différent ou révolutionnaire, ça peut être une variation de notre réalité ou une fanfic.

Comme il est possible de créer, plutôt que des univers cyberpunk où le Mal a gagné, qu'il soit ultracapitaliste ou simplement fasciste, des récits solarpunk où l'humanité s'est libérée de ses errances sociétales, il est possible de créer des récits post-apo dont les carburants narratifs, au lieu d'être la violence et la résignation, sont la coopération et l'optimisme.
Dans la série de jeux vidéo My time at..., on se retrouve dans une société post-apocalyptique où l'humanité a frôlé l'extinction après avoir vécu dans un luxe tapageur avec des hautes technologies, qui ont abouti à des guerres et des dévastations planétaires. Au moment des jeux, certaines ruines sont encore visibles ou enfouies sous la terre, et les humains vivent en petites sociétés dans un mouvement de reconstruction prospère. Pourtant, loin de reproduire les erreurs du passé, les humains pèsent mûrement chaque décision impliquant la technologie et préfèrent l'écologie et l'économie rurale, discutent des affaires de la cité de manière collective, et coexistent pacifiquement — le premier jeu se déroule à Portia et le second à Sandrock, et toutes deux appartiennent à la Fédération des Cités Libres qui s'efforce de faire front commun face à un empire menaçant.

Dans le sillage de Stardew Valley, simulation de ferme dans un petit village rural,
My time at Portia est une simulation d'atelier d'ingénierie civile dans une petite ville rurale.
Les deux partagent une mise en avant de la vie festive et communautaire, mais Portia propose
un récit plus long et plus dense avec l'évolution de la cité éponyme dans son univers post-apo.

Bien avant ces deux jeux vidéo nés d'un studio indépendant chinois (et y'a franchement rien dans leurs jeux ou leur communication qui pourrait évoquer ne serait-ce qu'un début de soft-power chinois), et pas très loin de là, le Japon offrait au monde, en 1984, Nausicaä de la vallée du vent, un film d'animation proposant un récit post-apo centré sur une jeune fille qui a littéralement grandi au milieu des éoliennes (le Japon, je rappelle, son truc c'est surtout le nucléaire civil, le charbon et la destruction de l'environnement par un consumérisme irréfléchi, un libéralisme sans entrave et la chasse à la baleine), preuve éminente qu'on peut avoir vécu le pire et quand même conserver écologie, bienveillance et optimisme (enfin concernant Miyazaki lui-même sur la bienveillance je suis pas certain).

D'autres expériences, moins conséquentes, parfois plus intimistes, comme le jeu vidéo Submerged ou le film La cité de l'ombre, existent aussi dans d'autres films ou jeux vidéo, souvent du fait de la narration psychologique, mais puisque, par nécessité mécanique — il s'agit d'un médium qui met le contrôle aux mains de l'utilisateurice — le jeu vidéo se montre régulièrement capable de proposer des récits de reconstruction du monde comme Eco ou Terra Nil ou de la société humaine, rien n'empêche les films, les séries et la littérature d'en faire autant.
En ce moment, hasard du calendrier d'écriture de mon article – encore une fois j'ai pas fait exprès d'avoir mon idée juste avant que l'autre trouduc dissolve l'Assemblée — on entend beaucoup sur les réseaux sociaux qu'il ne faut pas se résigner, que les idées de gauche et progressistes doivent prévaloir.

"La fin du monde, on peut s'en remettre. La nature c'est certain, alors autant que ce soit avec nous."

La pop culture est devenue essentielle dans le partage des idées — voire leur influence — dès lors qu'elle est devenue culture de masse, la science-fiction est même devenue une sentinelle observatrice des enjeux technologiques et sociétaux, qu'elle déploie dans des récits inventifs, pour mettre en garde, inspirer le public à faire mieux que les drames qu'elle narre ou à approcher les rêves qu'elle concrétise, et à ce dernier titre, je la trouve un peu aride.
Nous avons collectivement besoin de plus de récits sur des sociétés post-apo écologistes, anarchistes, communistes, féministes, bienveillantes, universalistes, où l'humanité s'efforce de "faire mieux", comme dit l'autre, en s'éloignant de la société dans laquelle nous vivons, faite de travaillisme, de productivisme, d'individualisme, de haines et de divisions.

En conclusion, je reviendrai rapidement sur un article que j'ai écrit il y a quelques années à propos de l'exploration spatiale. J'avais conclu à cette occasion que le fol espoir, lointain et chimérique, de l'humanité, celui d'une réelle colonisation spatiale, sans même parler de civilisation interplanétaire, ne pouvait pas être et ne serait pas une réalité, pour la simple et bonne raison qu'un projet d'une telle ampleur engage l'humanité unie dans un but commun, et qu'aussi longtemps qu'elle serait divisée selon des critères nationaux, étatiques, ethniques, culturels, linguistiques, religieux, moraux, l'humanité ne serait jamais unie.

Alors que la crise environnementale devient une réalité plus incontournable que jamais pour les prochaines années ou décennies et que la responsabilité réelle, connue depuis 40 ans par les scientifiques, devient un fait de la connaissance grand public, l'humanité a besoin d'inspiration. Elle a besoin de pointer du doigt les coupables, de lancer des pistes de correction à l'aide des connaissances scientifiques et de l'évolution morale et intellectuelle ouvertes au grand public.
Le genre du post-apo, dont le principe même est de repartir sur des bases nouvelles, à petite, moyenne ou grande échelle, est le terrain de création idéal pour ça. Il ne requiert pas la technologie lourde et peu accessible des simulations numériques, en réalité virtuelle ou augmentée, le cinéma parle à tout le monde, la création littéraire n'a jamais été aussi facile, on est vraiment à un moment de synergie parfaite entre le besoin intellectuel et artistique collectif et la possibilité de répondre à ce besoin.

Alors à votre échelle, si vous souhaitez ou pouvez créer du post-apo bienveillant, optimiste, anarchiste et écolo, faites-le. Si la création artistique c'est pas votre truc, partagez ce que vous découvrez. Partagez les utopies, partagez le solarpunk, partagez le post-apo qui fait du bien à l'esprit et aux convictions. Y'en a marre des flingues, y'en a marre des voitures avec des pics et des crânes, y'en a marre des tribus esclavagistes et cannibales, y'en a marre de l'ultra-violence décérébrée, nihiliste et vulgaire. Nos cerveaux et nos cœurs méritent mieux que ça.

Notes :
¹ : vidéo du Tropeur sur l'apocalypse, sa classification et ses usages en fiction
² : article du journal Hitek sur les dégâts causés en Namibie par le tournage de Mad Max Fury Road
³ : vidéo du Tropeur sur la fin de Game of Thrones et l'usage par cette série des narrations sociologique et psychologique / article en anglais de la sociologue turque Zeynep Tufekci sur l'usage de la narration sociologique et de la narration psychologique dans Game of Thrones

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