Barre-menu

17.5.15

Blackfish


Documentaire américain de Gabriela Cowperthwaite (2014).
Vu en VOST.

Orlando, Floride, États-Unis, 2010. Dans le parc aquatique de SeaWorld, l'une des principales dresseuses d'orques, Dawn Brancheau, est tuée par la star des bassins, l'énorme Tilikum. Problème, l'animal n'en est pas à son coup d'essai et, depuis le début de sa captivité dans des bassins de spectacles en 1982, a été impliqué dans au moins trois morts d'êtres humains.

Son histoire dramatique, cependant, n'est que l'un des nombreux exemples représentatifs du comportement absurde et intolérable de l'industrie du spectacle aquatique à l'égard de toute l'espèce.

A l'inverse du dernier documentaire que j'avais vu et qui traitait d'un thème similaire, Sharkwater de Rob Stewart évoquant la chasse illégale aux ailerons de requins et le drame écologique qu'elle engendre, Blackfish ne part pas, selon une narration chronologique, de la jeunesse de Tilikum pour raconter sa vie de bout en bout – et pour cause, il est encore bien vivant et toujours captif chez SeaWorld à Orlando – mais prend au contraire pour base le drame de 2010 pour ensuite le remettre en contexte.

Comme il s'agit d'un documentaire, on peut évidemment s'interroger sur ses intentions et son orientation, et il est impossible, objectivement, de ne pas remarquer que Blackfish n'interroge qu'un seul défenseur du modèle revendiqué de SeaWorld, mais là encore comme dans Sharkwater, on est plongés dans un thème et un débat environnemental tellement évident et universel que prendre parti de manière logique et rationnelle ne laisse qu'un seul choix possible.
Et si vous en doutiez encore, sachez que si le pro-captivité en question, Mark Simmons, partage son ancien métier avec la plupart des autres intervenants du film, tous ont raccroché et sont passés à autre chose – l'un d'eux est médecin, un autre enseignant-chercheur en sciences dans une université, un troisième s'est reconverti dans le militantisme en faveur de la libération des orques, Mark Simmons, lui, a fondé Ocean Embassy, une organisation qui établit des parcs aquatiques partout où elle le peut et capture des dauphins pour les y enfermer.
Lol. Ambiance. Le mec est plongé jusqu'aux yeux dans le business de la séquestration animale, est-ce que j'ai besoin d'aller plus loin ?

John Hargrove, ancien dresseur à SeaWorld, actuellement militant pour la libération des orques, dans un bref extrait d'archives de l'époque où il travaillait dans les parcs.

Bref, vous l'aurez compris, quand il s'agit de traiter d'une entité aussi puissante que SeaWorld, qui a le pouvoir de manipuler la vérité pour son propre intérêt, qu'il s'agisse de la connaissance des orques et des cétacés par le grand public ou des innombrables incidents liés aux animaux (le documentaire évoque l'existence de 79 attaques en 20 dans dans les parcs), il faut forcément avoir un œil à l'intérieur... ou bénéficier du savoir de ceux qui y étaient.
La plupart des personnes interrogées par Gabriela Cowperthwaite sont donc d'anciens dresseurs d'orques à SeaWorld, en Floride, au Texas ou en Californie, qui ont vécu des années durant avec des animaux âgés pour certains de 20 à 30 ans, et qui sont donc particulièrement bien placés pour évoquer les conditions de sécurités (absentes), les incidents (tellement banalisés qu'on ne s'en émeut plus et qu'on n'en parle souvent même pas), le traitement des orques (calamiteux) et les informations délivrées à leur sujet par l'institution (systématiquement fausses ou altérées).

Il est même rappelé à un moment du film que Blackfish est le nom donné à ces animaux magnifiques, sensibles et supérieurement intelligents par les Amérindiens et certains pêcheurs, tandis que la plupart des anglophones, ces crétins, les appellent « killer whale », soit « baleine tueuse ». Les anglophones ont un sérieux problème avec la dénomination taxonomique, les orques ou épaulards ne sont pas des baleines, mais des delphinidés, et le pygargue à tête blanche, que ces débiles appellent bald eagle, n'est ni un aigle ni chauve.

Les principales caractéristiques de Tilikum sont sa taille imposante et les traumatismes psychologiques dont il souffre. Vous aimeriez passer votre vie dans 20m² avec sortie sur balcon de temps en temps ?

Les orques, nous dit-on, vivent à l'état sauvage autour de 20 à 30 ans, ont en ce qui concerne les mâles l'aileron qui s'affaisse en vieillissant, et n'établissent que de manière très superficielle des liens sociaux, si bien que tous les orques de la planète peuvent se comprendre et interagir entre eux, ce qui permet à SeaWorld de mélanger indifféremment ses spécimens en fonction des besoins économiques.

Ouais enfin le problème c'est que le documentaire fait également appel à une neurobiologiste spécialisée dans le comportement des mammifères marins, Lori Marino, chercheuse à Empory dans l'état de Géorgie (sud de la côte Est des États-Unis) et directrice du Projet des Droits des Non-Humains, laquelle explique posément qu'après étude par IRM du cerveau d'un orque, il apparaît que les delphinidés possèdent un hémisphère cérébral absent du cerveau humain et entièrement dédié aux émotions et aux caractères sociaux. Ou pour le dire plus clairement, ils sont taillés pour vivre en communautés et échanger en permanence. Pouvant vivre jusqu'à 60 ans dans l'océan, les orques forment des groupes familiaux sous autorité matriarcale, les enfants ne quittant jamais leurs parents dans des rassemblements à trois ou quatre générations, chacun de ses groupes familiaux possédant sa propre langue et sa propre culture.
Alors imaginez à la fois l'angoisse des orques qui sont parqués avec des étrangers qu'ils ne connaissent pas et le traumatisme quand un petit naît en captivité et que peu après il est arraché à sa mère pour être envoyé dans un autre parc de SeaWorld, sous les yeux impuissants de celle-ci....

"Nous serons considérés comme des barbares lorsque les gens regarderont derrière eux et verront que nous mettions des orques dans des baignoires."
Co-créateur des Simpsons, Sam Simon, mort en 2015 d'un cancer, était également donateur humanitaire et environnemental et a financé la construction du 4ème navire de Sea Sheperd, qui porte son nom.

Ce constat commence en fait dès les années 70, puisque Blackfish fait également appel à un ancien chasseur d'orques, payés à l'époque pour isoler et capturer de jeunes animaux séparés de leurs parents, d'abord dans le Pacifique Nord au large de l'Amérique, puis après interdiction en Islande, où Tilikum a été capturé. Et le film ne vous épargne rien quant à la détresse des animaux à qui on enlève leurs enfants avec au moins 3 anecdotes racontées, dont deux en captivité.
Très vite au fil de la narration il apparaît que les conditions générales d'emprisonnement des orques provoquent depuis 40 ans des psychoses et des traumatismes psychologiques et émotionnels, qui sont à l'origine des drames réguliers liés à ces animaux habitués à nager, à l'état sauvage, plus de 100 kilomètres par jour. Ce sont des nomades, ils ne connaissent pas la sédentarité, leur calvaire est donc compréhensible.

Règle numéro 1 : on n'utilise pas dans le cadre d'un élevage une orque qui a un passé agressif à l'égard des humains.
Mais chez SeaWorld, les règles, c'est pour les faibles.

De sa capture en 1982 à l'enquête menée par l'OSHA, une institution américaine régulant les conditions de travail (en l'occurrence, des dresseurs, dans le cadre des morts dramatiques et non du traitement des orques) en 2010, en passant par le premier décès dû à Tilikum dans un bassin canadien en 1991 et par le site espagnol de Loro Parque où 4 orques ont souffert le martyr pendant trois ans avant qu'un dresseur ne soit sauvagement tué, pour aboutir au drame de 2010, Blackfish aborde en long, en large et en travers le grand orque, vieux et usé par la captivité, mais condamné à l'enfermement par sa nature même : c'est un mâle de grande taille, soit une véritable banque de sperme pour la production en série décérébrée, et ce même si l'opinion publique et politique, depuis le film, est opposée à la captivité.
Pensez donc, des lois ont même été promulguées en Californie pour interdire la détention d'animaux marins à des fins de spectacle, c'est donc directement tourné vers SeaWorld, qui n'a aucun scrupule à annoncer publiquement que si Dawn Brancheau est morte, c'est de sa faute, elle avait qu'à pas porter une queue de cheval par laquelle Tilikum l'a attrapée !

Voilà le seul et unique moyen légitime d'observer des orques : pacifiées, apaisées, dans leur milieu naturel, ici au large de l'État de Washington, dans le Pacifique Nord.

...Quelle bande de connards. Blackfish met également en avant l'opinion d'un spécialiste des orques, travaillant pour l'OSHA et les ayant observées durant des années là où elles sont le plus facilement approchables, au large de l'État de Washington et de l'Oregon, dans le Pacifique Nord, l'endroit même où Paul Watson dit qu'il est allé plusieurs fois à la rencontre des animaux (il est canadien, à la base) et où se termine le documentaire avec John Hargrove, Jeff Ventre, Samantha Berg et Kim Ashdown, quatre ancien•ne•s employé•e•s de SeaWorld démontrant par leur escapade en bateau que les orques libres sont à la fois très pacifiques, magnifiques, et toutes dotées d'un bel aileron bien droit
Magnifique conclusion, je trouve, pour un argumentaire en béton totalement indémontable. La libération est la seule solution, et je suis à peu près persuadé que d'autres morts seront à déplorer avant que SeaWorld ne soit réellement obligé de relâcher tous ses animaux. Ou en tout cas, ça ne me surprendra pas.

En bref : Blackfish est clairement le Lord of War des documentaires océaniques. Brûlot corrosif contre le traitement des animaux marins par l'Homme, il présente un argumentaire à charge avec lequel il est impossible de transiger. La légitimité à capturer, arracher à leur famille et emprisonner des décennies durant des animaux magnifiques et libres est totalement inexistante, de même que les efforts des capitalistes mensongers qui prétendent faire de la prévention et de l'éducation à l'aide de leurs animaux. Une référence incontournable, simple, claire et facile d'accès, pour quiconque souhaite construire une formation intellectuelle à l'écologie et à la pensée globale.

Voir aussi :
 - une interview traduite en français de Kim Ashdown, ancienne dresseuse de dauphins et loutres à SeaWorld et opposée à la captivité des animaux marins, intervenante dans Blackfish.
 - une interview traduite en français de Lori Marino, neurobiologiste spécialisée dans le comportement des cétacés, opposée à leur captivité.
 - un article en anglais présentant Mark Simmons, ancien dresseur à SeaWorld et industriel de la capture de dauphins.
 - un article en français démontant les prétentions sur la faible longévité des orques libres par l'exemple d'un animal centenaire.

"Il n'existe à l'heure actuelle aucun cas évoquant l'attaque d'un humain par une orque à l'état sauvage." 
Howard Garrett, chercheur et observateur d'orques, est le spécialiste intervenant dans Blackfish au nom de l'OSHA dans le cadre de l'enquête sur les conditions de travail des dresseurs à SeaWorld.

1 commentaire:

  1. Je suis effondrée depuis que je connais un internaute américain (ardent défenseur des orques et de leur remise en liberté) qui m'a fait découvrir le calvaire de ces animaux. Je n'ai à regretter qu'une seule chose : que la génétique n'ait pas eu plus de résultats probants sur le personnel des parcs maritimes ! En gros, de mon point de vue, pas assez d'accidents mortels. Pour les humains, évidemment... Je ne souhaite nullement la disparition de ces magnifiques orques. Effectivement, la course au profit fait que les institutions de divertissement ne voient aucun mal à mélanger les différentes espèces ensemble, au mépris des différences de structure clanique (transient et resident), sans parler des origines et du régime alimentaire particulier. L'orque Kandu V en a fait les frais en agonisant dans son "bidet", la mâchoire fracassée par une autre femelle d'une espèce différente... Et ce qui m'horripile le plus (quand on connaît la mentalité pudibonde et religieuse des américains, ça fait clairement ricaner) est le fait que ces connards (je plussoie le terme !) font se reproduire entre eux des spécimens d'une même famille : et après ça, Seaworld et Cie vient parler de partages de connaissance et reconnaissance sur la vie des orques, en prônant - si je ne m'abuse - l'inceste auprès de plus ou moins jeunes spectateurs ! Joli.

    RépondreSupprimer