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10.1.16

The Legacy

J'te préviens, cet article va être super méga-long. Il s'agit de ma nouvelle, pour rappel. Et elle occupe 11 pages sur OpenOffice.

Alors, quelques explications d'abord sur la genèse de cette courte œuvre qui m'a pris bien plus de temps que prévu (à mort la procrastination). Il y a de ça [insérer ici une valeur temporelle d'une durée exagérément longue] environ 147 000 ans, une connaissance en ligne avait parlé sur Twitter d'inspirations musicales alors qu'elle découvrait une fameuse pièce classique, la Sarabande d'Haendel. Elle a alors décidé d'écrire un texte inspiré de l'écoute de ce morceau et a invité qui voulait s'y essayer à faire de même.
Pour ma part, j'avais déjà vu Les seigneurs de la mer, dont j'ai parlé ici, et comme la Sarabande, dans sa construction musicale, m'évoque à la fois une fin, un accomplissement, mais aussi un renouveau, une renaissance, j'ai eu l'idée de ce qui allait devenir The Legacy.


Tenez, la voilà, la Sarabande d'Haendel, n'hésitez pas à écouter, elle fait que 4 minutes.

Le truc, c'est que The Legacy est une nouvelle qui peut se lire indépendamment de tout texte, certes, mais mes inspirations, découvertes et partages culturels ultérieurs, notamment en termes d'écologie (Blackfish, The cove, la baie de la honte, mais aussi Percy Jackson) m'ont soufflé l'idée d'écrire ce qui va devenir La guerre anthropocène, et à laquelle je vais maintenant pour m'atteler.
Pour rappel, en gros, l'enjeu de ce roman à venir, c'est que se passerait-il si les divinités de la mythologie grecque existaient et réapparaissaient dans notre monde, irritées par la manière consternante dont les mortels ont géré l'environnement ?
Du coup, The Legacy peut également se lire comme le prologue de La guerre anthropocène, ce qui sera probablement le cas à terme. Je vais bientôt commencer, achever et publier le premier chapitre de ce roman, et ceux qui auront lu la nouvelle qui se trouve ci-dessous comprendront ce que je veux dire.


Enfin je termine sur deux petites choses. J'ai fait des recherches pour écrire cette nouvelle, ne serait-ce que pour ne pas dire de conneries sur le magnifique cadre spatial que j'ai choisi, mais ça reste une œuvre fictive. Toute ressemblance avec des faits ou personnages de la vie réelle n'existe que pour servir la narration et il est probable que dans la réalité les choses ne se passent pas comme je les ai écrites.
Et puis, c'est mon travail de plusieurs mois d'efforts, de recherches, de lutte contre la procrastination et une vie pas simple, je vous remercie de ne pas me le voler, merci >_>

Allez, bonne lecture à tous !


The Legacy.


Cela aurait pu être un mardi ordinaire, une de ces journées de vacances où l'on se lève tard pour travailler chez soi, au son du blues et de la soul. La matinée, nuageuse et légèrement pluvieuse, offrait cependant un ciel clair et lumineux annonçant une belle journée de printemps, riche de promesses. Et puis était arrivée cette enveloppe mystérieuse, dont le liseré bleu et rouge semblait éclatant, presque menaçant.
Grace Turner n'avait jamais beaucoup aimé le courrier international. La plupart des gens se contentent de mener une petite existence tranquille, dont les enjeux ne dépassent généralement pas les frontières de leur pays ou même de leur État. Et la jeune institutrice qu'elle était, occupant un petit appartement de la banlieue de Seattle, n'aimait pas voyager. En tout cas pas dans des régions chaudes comme la Californie et la Floride, trop ensoleillées, où elle n'était allée en vacances que poussée par des collègues enthousiastes. Grace préférait la fraîcheur et l'austérité du nord de la côte Ouest, et avait même envisagé à l'occasion de se laisser séduire par le Canada et sa Colombie-Britannique. De fait, ce pli inattendu apportait dans la douceur familière de son environnement une impression d'intrusion, d'étrangeté. Elle s'en était donc détournée aussitôt, guère intéressée par la nouveauté, et avait repris son travail en s'efforçant de repousser l'ouverture de l'étrange missive.
Vers midi, son repas fut simple et frugal, supposé précéder une promenade au grand air, mais une cruelle ironie du sort voulut que le temps empirât, l'enfermant chez elle pour la journée, ce qui la décida à inviter sa meilleure amie Natalie.

Elle n'avait toujours pas ouvert son courrier, deux heures plus tard, lorsque celle-ci fit son apparition. Pédiatre de son état, cette dernière aimait discuter travail avec l'institutrice ; chacune prenait régulièrement des nouvelles de l'autre et elles étaient très proches, malgré leurs différences. Les cheveux courts et bouclés de la doctoresse, d'un roux flamboyant, ses grands yeux verts et son sourire permanent détonnaient face à la discrétion de Grace qui portait détachés ses longs cheveux bruns. Pourtant, Natalie était à l'évidence la personne la plus proche qui fût de l'institutrice. Elle ne mit donc pas longtemps à constater que quelque chose n'allait pas en trouvant son amie plus pensive qu'à l'accoutumée. Cette dernière, plongée dans un livre qu'elle ne lisait que par intermittence, désigna la pile de courrier et surtout le pli menaçant en guise d'explication.
« Je peux ? » fit Natalie. Grace fit un geste vague de la main avec un haussement de sourcil significatif pour lui répondre. La jolie rousse contourna le canapé et alla chercher la missive sur la petite commode de l'entrée avant de revenir occuper le seul fauteuil libre pour y ouvrir le pli avec soin.
« Tu connais quelqu'un en Australie? commença-t-elle, surprise.
 - Hein ?
 - Ça vient d'Australie, apparemment.
 - Non, je n'ai jamais... c'est bizarre. »
Un silence pesant s'instaura pendant que Natalie dépliait et lisait le courrier, qui lui faisait plisser les yeux avec incompréhension.
« Apparemment c'est une lettre qui accompagne un certificat de décès... pour un certain Don Turner. » Elle réalisa ce qu'elle venait de dire et prit un air navré. « ...quelqu'un que tu connais ? »
Grace ne répondit pas, les yeux dans le vague, légèrement écarquillés, et la bouche entrouverte. L'annonce l'avait fait revenir quatorze ans plus tôt, à l'époque où elle vivait encore à San Francisco, en Californie du nord. Alors adolescente, elle traversait la période la plus sombre de son existence. Son jeune frère et elle venaient d'enterrer leur mère et leur père, dévasté par cette perte, avait disparu dans une spirale autodestructrice qui lui avait fait tout abandonner du jour au lendemain. Les enfants, ayant perdu tous leurs repères, avaient été confiés à leur tante maternelle, seule famille qui leur restait. Leur père était supposé revenir bientôt, après avoir surmonté le décès de l'amour de sa vie. Six années s'étaient écoulées avant que Grace ne quittât la maison de sa tante pour ses études, sans avoir eu de nouvelles de lui et malgré l'éloignement d'avec celle qu'elle voyait comme une seconde mère, elle avait continué à lui donner des nouvelles d'elle au fil des années.

« Don Turner était mon père, fit Grace d'une petite voix. Ça fait des années que j'avais pas entendu parler de lui. Je savais même pas ce qu'il était devenu, depuis... » Sa voix se brisa. Natalie rejeta le courrier, s'avança vers le canapé et prit son amie dans ses bras pour lui témoigner sa compassion. Bien malgré elle et en dépit des années de lutte solitaire contre le deuil, l'abandon, la solitude et les difficultés de la vie, qu'elle avait tous surmontés, Grace se mit à pleurer doucement. Elle ne le voulait pas, ne comprenait pas pourquoi elle était émue par cette nouvelle mais le fait était là, aussi incontrôlable que les larmes qui coulaient sur ses joues.
Au bout d'un moment, dans la cuisine, la bouilloire que l'institutrice avait allumée à l'arrivée de Natalie se mit à siffler, aussi celle-ci alla l'éteindre pour préparer deux grands mugs de thé, qu'elle apporta et posa sur la table basse, sans quitter des yeux son amie. Grace renifla bruyamment, se moucha avant de relever les yeux.
« Si tu as besoin de parler, n'hésite pas, annonça Natalie avec douceur.
 - Pour dire quoi ? Il nous a abandonnés ! J'avais douze ans à l'époque, j'en ai vingt-six maintenant, et j'ai passé l'essentiel de ma vie sans lui... je ne savais même pas ce qu'il était devenu ! L'Australie, fit-elle avec dédain.
 - Tu crois que ton frère est au courant ? »
Grace haussa les épaules. Elle avait quitté le second foyer familial, celui de sa tante, à l'âge de dix-huit ans pour habiter et étudier à Berkeley, non loin de San Francisco. De deux ans son cadet, son frère Nathan avait soudainement disparu dès sa majorité, sans donner d'indication sur ses projets. Grace et sa tante avaient retrouvé sa trace un peu par hasard et par l'une de leurs connaissances. Aux dernières nouvelles, le jeune homme travaillait dans un cabinet d'avocats, quelque part sur la côte est. Si les autorités australiennes avaient su la retrouver et l'associer à la mort de Don Turner, elles en avaient peut-être fait autant avec son fils.

Sans un mot, Grace se leva, ouvrit la baie vitrée et alla sur le petit balcon, moins pour s'isoler que pour respirer l'air frais charrié par le vent du Pacifique. Natalie passa les mains dans ses courts cheveux roux, abattue et troublée par la situation, totalement inédite à ses yeux. Grace était une jeune femme discrète et introvertie, mais elle n'avait jamais jusque là été soucieuse ou mélancolique. Après une profonde inspiration, elle se leva d'un bond, attrapa les deux tasses et sortit à la suite de son amie pour lui apporter la sienne. L'institutrice tremblant légèrement dans son chemisier bleu la remercia d'un léger sourire et prit le mug sans le regarder, les yeux dans le lointain.
« Ça va aller ? » s'inquiéta la médecin. Grace poussa un long soupir. « J'accuse le coup... Ne t'en fais pas, ça ira.
 - Tu veux aller faire un tour ? »
La jolie brune se rendit compte que la suggestion était excellente, tant elle était énervée et avait besoin de se dépenser. « Ouais ! soupira-t-elle. Allons-y ! » Elle vida d'un trait sa grande tasse de thé, grimaçant à cause de la chaleur de la boisson, ce qui fit rire son amie. Elles allèrent ensuite chercher leur veste et sortirent, ravies de passer à nouveau du temps ensemble.

Les deux jeunes femmes arpentèrent la ville durant quelques heures, allant s'isoler du tumulte urbain dans la forêt de Seward Park. L'air était frais, vivifiant, et l'escapade fit du bien à l'une comme à l'autre. Grace profita de cette promenade pour se ressourcer, croiser à l'occasion de beaux jeunes hommes qui suscitaient sa curiosité de célibataire, discuter de choses et d'autres. C'était sa manière de ne pas penser à la mort de son père. La lumière commençait à décliner et Natalie proposa de faire quelques courses avant de rentrer. Grace acquiesça et se laissa guider dans un supermarché bien qu'elle ne savait pas quoi acheter, laissant ce choix à son amie.
« Ce soir on mange italien, et c'est moi qui invite ! », lança la jolie rousse comme elles sortaient du magasin. Grace lui rendit son sourire. Au moins, sa meilleure amie la comprenait bien et savait qu'il lui faudrait du temps avant de réaliser ce qui venait d'arriver et comment y faire face. La jeune femme s'invita d'ailleurs pour la soirée, s'efforçant de ranger les courses sans les dévoiler à Grace avant d'appeler effectivement leur restaurant italien préféré pour se faire livrer.
Elle passa la nuit dans la chambre d'amis du petit appartement et prépara le petit-déjeuner le lendemain en cuisinant des pancakes nappés de sirop d'érable, révélant l'utilité de ses mystérieux achats de la veille. L'enseignante faisait partie de ces gens dont le réveil était l'un des ennemis jurés, et elle avait eu beaucoup de mal, la nuit précédente, à trouver le sommeil. C'est donc l'esprit encore embrumé qu'elle s'assit devant les petites crêpes que Natalie avait préparées, mangea puis alla prendre une douche. Ainsi, lorsqu'on sonna à la porte en milieu de matinée, ce ne fut pas elle qui alla ouvrir la porte.

Deux hommes se tenaient sur le seuil, que Natalie n'avait jamais vus. Le plus proche de la porte, de taille moyenne, portait une veste en cuir usé ouverte sur un pull de laine, son visage mince et ses cheveux très courts lui donnant l'air assez menaçant, comme un gangster de film sur la mafia russe. Un silence tendu s'instaura dès le premier échange de regards. « Vous n'êtes pas Grace Turner, déclara-t-il d'un ton quelque peu méfiant.
 - Natalie Bowman, je suis son amie... Qui êtes-vous ?
 - Des amis de Don Turner, expliqua sobrement le deuxième homme, un grand brun aux yeux bleus dont le sourire chaleureux intrigua Natalie. Est-ce que Grace est là ? Nous aimerions la voir, s'il vous plaît. »
La jeune femme nota immédiatement qu'il transportait un genre de sac de sport, noir, sans marque apparente, et haussa un sourcil. « Nous ne connaissons pas personnellement Don Turner, et nous avons cru comprendre que, eh bien... » Les deux inconnus échangèrent un regard sombre. « Nous arrivons trop tard, dans ce cas. Il faut vraiment qu'on la voie », fit le plus petit. La jolie rousse soupira en se passant la main dans les cheveux et s'effaça en faisant un geste vague pour les inviter à entrer.
Elle se détourna et suivit le couloir qui menait à la salle de séjour, les inconnus lui emboîtant le pas. Grace émergea de la salle de bains, encore en train de s'essuyer les cheveux avec une serviette-éponge.

« Qui êtes-vous ? » interrogea la maîtresse de maison en voyant deux étrangers faire irruption à la suite de son amie. Ils échangèrent un regard de connivence après avoir vu la jolie brune, se disant à part eux qu'elle ressemblait énormément à son père.
« Je m'appelle Eric Spencer, mademoiselle Turner, annonça le plus petit des deux hommes. Nous sommes désolés d'arriver dans ces circonstances, et navrés pour la perte que vous avez subie, votre amie nous a dit que vous aviez appris la mort de Don... »
Son annonce fut suivi d'un silence court et gênant que la jolie brune mit à profit pour se débarrasser de sa serviette.
« En effet, fit Grace d'un ton prudent. Vous êtes liés à mon père ?
 - C'était un de nos plus proches amis, mademoiselle, et c'est la raison de...
 - Si vous le connaissiez si bien, vous savez donc qu'il avait abandonné sa famille, voilà plus de dix ans ? coupa la jeune femme. Sans donner de nouvelles ni jamais revenir ?
 - Écoutez, la situation est... compliquée, continua Eric. Nous... »
Il se passa une main sur le visage en soupirant, visiblement découragé. L'autre prit le relais. « Pouvons-nous seulement nous asseoir, s'il vous plaît ?
 - Faites », répondit Grace, toujours sur la défensive.
Le plus grand des deux arrivants déposa son sac près de l'entrée, sans un mot, et rejoignit les autres qui prirent place dans le canapé et les fauteuils, avant de prendre la parole. « Ce que vous devez savoir, Grace, c'est que... » Il fut interrompu par une sonnerie légère et enjouée, suivie d'une autre, aux sonorités plus classiques, digne d'un secrétariat. Natalie sursauta, attrapa son téléphone portable, puis Eric Spencer et elle s'excusèrent pour répondre aux appels qui étaient passés. Elle se rendit dans la cuisine, tandis qu'il sortit devant l'appartement, laissant la porte entrouverte. Seule avec cet inconnu qui semblait à l'aise, légèrement affalé, dans son canapé, Grace ne savait que dire. Il remarqua, au bout d'un moment, la bibliothèque abondamment chargée de son hôtesse et se leva pour aller l'examiner, surpris de ne pas y trouver la littérature à l'eau de rose qu'on attribuait généralement aux jeunes femmes. Quelques grands noms de la science-fiction, parfois burlesque, mais aussi les grands classiques anglais, français et américains du XIXème siècle.
« Vous faites quoi dans la vie ? demanda-t-il sans préambule.
 - Institutrice, répondit Grace, qui semblait moins farouche que plus tôt. Et vous ?
 - Je suis... dans les relations internationales », éluda le grand brun.
Elle n'insista pas sur l'hésitation évidente, toujours un peu désarçonnée par la visite inattendue qu'elle recevait.

Eric Spencer fit son retour et se glissa dans la pièce en refermant la porte derrière lui. « Pat, il y a eu du changement, le rendez-vous est avancé, expliqua-t-il brièvement.
 - Quoi ? Mais on vient d'arriver ! s'indigna l'autre.
 - Je sais, je l'ai bien précisé, mais on peut pas faire autrement. Tu penses que tu peux... ? » Il n'acheva pas sa phrase et regarda Grace Turner. « Sans problème, ne t'en fais pas, va-y. »
La jeune femme ne comprenait pas et se garda bien d'intervenir. Eric Spencer lui présenta à nouveau ses condoléances et lui souhaita une bonne journée, n'échangeant qu'un bref regard et un hochement de tête avec son ami avant de partir. Natalie revint dans le salon aussitôt après.
« Tiens, monsieur Spencer est parti ? » Pat, le grand brun, sourit à l'idée qu'on puisse le nommer « monsieur Spencer » et confirma. La jolie rousse lui adressa un regard énigmatique et secoua la tête. « Grace je suis désolée, c'était le cabinet au téléphone, je dois y aller mais je repasse plus tard, si tu veux. Ça ira toi ?
 - Oui, sans problème, la rassura Grace. On se revoit ce soir ?
 - Bien sûr ! » fit son amie.
Toutes les deux s'enlacèrent brièvement, la jeune médecin prit ses affaires, salua le visiteur et partit précipitamment.
Comme mue par un réflexe de défense, alors qu'elle se trouvait désormais seule avec un homme dont elle ignorait tout, Grace, décida d'être moins introvertie, ce qui ne lui ressemblait pas. « Vous allez me parler de mon père ? fit-elle d'un ton incisif.
 - Pas si vous ne le souhaitez pas.
 - Il y a quoi, dans ce sac ? »
Il inspira profondément. « Vous n'avez pas l'air d'humeur, pour l'instant. Vous ne voulez pas qu'on aille faire un tour ?
 - Pourquoi tout le monde veut me faire sortir, en ce moment ? soupira la jeune femme.
 - Je ne connais pas Seattle. J'ignore depuis combien de temps vous habitez ici, mais vous pourriez me faire découvrir la ville, et on en profiterait pour discuter, qu'est-ce que vous en pensez ? »
Grace ignorait si c'était son sourire, son humeur chaleureuse ou l'instinct qui lui disait d'avoir confiance en cet homme, mais elle accepta sa proposition. Bien qu'elle fréquentât régulièrement le centre-ville de Seattle, elle trouvait très intéressant de le redécouvrir avec quelqu'un qui en ignorait tout. Son compagnon de promenade semblait curieux de tout, depuis l'International Fountain jusqu'au Chihuly Garden and Glass Museum, dont les couleurs magnifiques stupéfièrent Grace elle-même. Elle se laissa d'ailleurs emmener sans difficulté dans l'EMP Museum, auquel elle avait déjà songé plus d'une fois sans lui céder, elle qui adorait la science-fiction.

En début d'après-midi, alors que son rapide petit-déjeuner se faisait oublier, c'est l'estomac grondant qu'elle accepta de manger avec l'étrange inconnu, qui offrit de l'inviter.
« Voilà donc la fameuse Aiguille de l'Espace, s'exclama-t-il alors qu'ils s'installaient et commandaient un repas des plus simples.
 - C'est juste une tour avec un restaurant en l'air, répliqua Grace pour le tempérer.
 - Oui mais cette tour fait la renommée de la ville, ce n'est pas rien ! »
Elle se surprit à sourire en s'émerveillant de son enthousiasme. « Vous vous appelez Patrick ? se rappela-t-elle soudain.
 - Patrick Gleeson. » Elle plissa les yeux en le regardant. « Je suis irlandais », fit-il en haussant les épaules avec une moue, comme pour s'excuser, ce qui la fit sourire encore plus.
La jeune femme contempla, au loin, les montagnes et la mer visibles du restaurant panoramique, et une pensée lui traversa brusquement l'esprit. « Comment vous avez connu mon père ?
 - Oh, c'est une histoire assez simple, je l'ai entendue de nombreuses fois, même si ce n'est jamais lui qui la racontait. Quand... eh bien... quand il a perdu... votre mère, il était effondré, disait-on, il avait perdu ses repères, et apparemment, à force de voyager, il s'est mis à réfléchir à la vie, à son utilité, et a décidé de s'engager dans une cause plus grande que lui. C'est comme ça que je l'ai rencontré. »
A son regard, il était clair que Grace ne comprenait pas. « Nous sommes membres de l'organisation Sea Sheperd, Eric et moi. Ainsi que Don, jusqu'à sa mort.
 - Oh. D'accord. J'imagine que... bon... certains peuvent placer la cause au-dessus de tout, apparemment. Je ne sais pas si j'en aurais fait autant à sa place, parce que nous avons énormément souffert de son absence, mais... je comprends.
 - Si cela peut vous consoler un peu, sachez que Don n'a jamais cessé de regretter de vous avoir abandonnés, votre frère et vous. Il n'est jamais revenu aux États-Unis, malgré ses voyages, persuadé qu'il vous avait irrémédiablement perdus.
 - Vous avez l'air d'avoir été plutôt proche de lui, nota Grace.
 - J'admets que j'ai pas mal appris avec lui, c'était quelqu'un de très intéressant, totalement investi dans ses convictions, qui étaient justes, je vous assure.
 - Le père que vous n'avez pas eu ? »
Patrick se mit à rire. « Non non, plutôt un ami et un mentor. J'ai eu plus de chance que vous, ma famille n'a pas souffert de mon engagement. Je suis très proche de mes parents, même si je n'ai pas forcément choisi le parcours qu'ils imaginaient pour moi. Ils sont éleveurs, j'ai fini activiste écologiste...
 - J'imagine qu'ils doivent être contents quand même, vous auriez pu plus mal tomber. Vous êtes enfant unique ?
 - Non, j'ai une sœur plus âgée, elle s'appelle Sarah, et un petit frère qui s'appelle Brendan. Et lui, il est roux. Vous voyez, on est de vrais clichés irlandais ! »
Grace eut un sourire timide. Bien qu'elle ne parvenait pas à l'admettre pour l'instant, la présence de cet homme guère plus âgé qu'elle, qui avait connu son père, lui permettait de renouer avec ce dernier et de trouver un peu de ce qu'elle avait raté, des années durant.

Ils décidèrent de passer une partie de l'après-midi ensemble, discutant de choses et d'autres, de leur vie respective et du charme de Seattle et San Francisco. L'Irlandais avait fréquenté celle-ci lors de ses voyages et, comme Grace, avait apprécié la Californie du nord. Il lui trouvait, disait-il, bien plus de charme que plus Los Angeles ou New York, que la jeune femme ne connaissait pas. Elle ramena ensuite son invité chez elle, où elle lui servit un café pendant qu'elle buvait du thé, « ce truc d'Anglais au goût insipide. »
Il en profita, alors qu'elle semblait éprouver moins de rancœur envers son père, pour ouvrir le sac qu'il avait apporté le matin même. Prenant soin de la ménager, il agit avec lenteur et prudence, déposa sur la table ce qui apparut comme une urne funéraire, d'apparence très simple.
« La dernière volonté de Don était d'être avec sa famille, Grace, c'est pour ça que nous sommes venus vous voir, Eric et moi. » Il s'attendait à un rejet catégorique, qui ne vint pourtant pas. « Encore une fois, je suis navré que vous ne l'ayez pas connu, mais je vous assure qu'il vous aimait sincèrement. »
Elle posa une main sur l'objet, durant quelques instants, avant de prendre la parole, et ses mots furent assez inattendus.
« De quoi est-il mort, Patrick ?
 - Oh. Il... il a fait une insuffisance cardiaque, alors qu'on était en plein océan, ça a été très rapide, très soudain.
 - Près de l'Australie, j'imagine. Qu'est-ce que vous faisiez là-bas ?
 - Vous l'ignorez donc ? » Il soupira tout en réfléchissant, se rassit face à elle. « C'est vrai que ce n'est pas surprenant. Les Japonais vont régulièrement chasser des baleines au large de l'Australie, dans la plus totale illégalité, et l'une des missions de Sea Sheperd est de s'opposer au pays qui a la pire politique environnementale qui soit. Nous sommes présents sur toute la planète, mais le Japon demeure l'une de nos grandes batailles. »
Cette journée avait été éprouvante pour Grace, et lui avait donné matière à réfléchir. Elle était sensible à l'écologie, mais ne connaissait pas la question dans les détails, et s'efforçait d'apprendre et assimiler autant que possible. Elle était tournée vers Patrick, les yeux dans le vague, quand son téléphone sonna. Maudissant la société technologique qui était la sienne, elle décrocha pour entendre Natalie lui dire qu'elle avait terminé son travail au cabinet de médecine et en réponse l'invita à nouveau chez elle. Le bel homme qui l'avait accompagnée toute la journée prit congé, non sans lui avoir laissé ses coordonnées pour le cas où elle aurait envie de le recontacter. Il avait précisé cela sans arrière-pensée, comme elle l'avait senti, et était tout à fait d'accord avec l'idée.

Quand elle partagea ses expériences avec sa meilleure amie, celle-ci se montra cependant plus réservée qu'elle l'aurait cru, et ne s'en cacha pas.
« Tu crois qu'ils ont pu faire des choses dangereuses ou enfreindre des lois ? » Grace la regarda sans répondre, les yeux ronds. « Comprends-moi bien, je crois totalement à l'écologie et tout ça, mais, s'opposer à un grand pays comme le Japon...
 - Tu les as laissés entrer chez moi, ils ne ressemblent pas à des criminels, Nat.
 - Non, je sais bien, ce sont des amis de ton père... mais lui non plus, tu ne l'as pas connu.
 - Tu es en train de dire qu'ils me mentent, que je dois me méfier d'eux ?
 - Pas forcément, mais... je sais pas, je suis pas tranquille. »
La soirée se passa de manière tranquille, malgré les désaccords des deux jeunes femmes à propos des nouvelles reçues depuis la veille. Comme se gardait bien de le dire ouvertement Grace, Natalie et elle avaient un parcours et une personnalité très différents et elle ne pouvait pas s'attendre à être parfaitement comprise, surtout dans sa volonté de mieux connaître son père à travers Patrick Gleeson.
Le lendemain apporta en outre une nouveauté des plus surprenantes pour l'institutrice. S'étant réveillée tôt pour lire et préparer quelques cours, elle s'interrompait régulièrement, incapable de se concentrer. Ce fut lors d'une de ces pauses que le téléphone sonna.
« Grace, c'est Nathan, j'espère que je ne te dérange pas. » Un long silence s'établit à cet instant, qui sembla inquiéter le jeune homme. Sa sœur finit par répondre. « Nathan ? Comme dans “Nathan Turner, fils de Don Turner, qui ne donne pas de nouvelles depuis 6 ans” ?
 - Je me doute que tu dois être furieuse, fit Nathan, dont la voix un peu grave était ferme et assurée. Mais laisse-moi t'expliquer.
 - Va-y, je ne suis plus à un bouleversement près, maintenant.
 - Nous avons reçu le même courrier récemment, compris le jeune avocat. D'une manière ou d'une autre, l'Australie a fait le lien entre Don Turner et nous deux, peut-être grâce à son entourage, j'ai donc été prévenu à peu près en même temps que toi de son décès. J'ignore si le courrier est acheminé à la même vitesse vers Boston ou vers Seattle.
 - C'est Tante Anita qui t'a dit où j'habitais et t'a donné mon numéro ? intervint Grace.
 - Oui, avoua Nathan sans atermoyer. Je n'ai pas cessé de lui donner des nouvelles de moi et elle me parle de toi régulièrement. »
Grace se félicita silencieusement de n'avoir pas rompu le lien avec sa seconde mère et espéra que son frère ne découvre jamais son soulagement à ce sujet.
« La vérité c'est que tu es un modèle très difficile à suivre, reprit son frère. Tu es prof, tu enseignes aux plus jeunes, tu dois être très cultivée et avoir des tas de choses à apprendre, alors que moi je suis un avocat, un futur nouveau riche qui a choisi sa carrière par défaut, sans savoir ce qu'il voulait faire. J'ai opté pour le plus pratique, la solution de confort. Pendant des années, je me suis dit que je n'étais pas digne de toi et que notre relation n'aurait pas le moindre intérêt à tes yeux, mais Anita s'est longtemps efforcée de me rassurer en me disant que tu valais mieux que ça, que tu ne portais pas de jugement et que j'étais dans l'erreur.
 - Désolée d'être l'idole inaccessible que tu as redoutée pendant presque toute ta vie, grinça fraîchement Grace. Qu'est-ce qui a changé pour que tu oses t'adresser directement à ta déesse ?
 - Anita m'a confié que tu pourrais avoir des inquiétudes sur le passé de Don Turner.
 - Attends, c'est Natalie qui... laisse tomber, soupira l'institutrice. Tu sais quelque chose à ce sujet ?
 - Il n'y a pas énormément de docteurs Natalie Bowman à Seattle, glissa Nathan d'un ton détaché. En tout cas quoi qu'on ait pu te dire au sujet de notre père, c'est probablement vrai. Tu l'ignores sûrement, mais ma spécialité, c'est le droit international. Le monde des organisations écologistes est assez complexe et le droit des États parfaitement reconnu dans leurs eaux territoriales, mais il y a un vide juridique sur les eaux internationales, où la pratique est plutôt celle du braconnage institutionnalisé. Quoi qu'il ait pu faire dans sa vie pour enrayer ces pratiques, je ne crois pas une seule seconde que cela aurait pu aller à l'encontre des lois juridiques ou morales. Je sais que nous ne sommes pas en position d'affirmer ça, mais je doute que notre père ait tenté d'oublier le deuil de Maman en devenant un criminel.
 - Voilà qui est rassurant. Tu n'as pas appelé uniquement pour ça, dis-moi ?
 - Non, bien sûr, admit le jeune homme. Je te l'ai dit, je n'ai pas grand-chose à apporter au patrimoine familial, mais maintenant qu'il s'est réduit, je trouve qu'on devrait essayer de se rapprocher ; j'ai conscience d'avoir beaucoup de choses à apprendre, et tu es toujours ma grande sœur. Contrairement à moi, tu as des tas de choses à transmettre aux générations futures, et j'aimerais beaucoup assister à ça. »
Les mots, surprenants, spontanés et pourtant bien choisis, eurent un effet considérable sur Grace. Pour la première fois depuis des années, elle se sentait fière d'elle-même, ressentait un sentiment d'accomplissement qu'elle n'avait jamais connu. Quelque chose s'éveilla en elle qu'elle pensait éteint à jamais et, la conversation durant, elle se rendit compte à quel point sa famille lui avait manqué. Nathan était jeune et maladroit, mais tous deux semblaient unis par ce manque qu'ils souhaitaient combler, et c'est le cœur plus léger qu'elle raccrocha au bout de près d'une heure en lui souhaitant une bonne journée.

Elle composa aussitôt le numéro de Patrick Gleeson, avant de se dire en se mordant la lèvre qu'elle allait peut-être le déranger. Au contraire, il répondit tout de suite, fut aussi cordial que la veille et se soucia même de l'état physique et moral de sa correspondante. Elle ne lui avoua pas qu'elle se sentait terrifiée et excitée par les sentiments et les volontés contradictoires qui s'exprimaient en elle, mais le rassura en lui disant que tout allait bien. Puis elle lui posa une question, simple et courte, en forme de vœu, qui jeta Patrick dans un silence désarmant.
Puis, au bout d'un moment, il reprit la parole, répondit par l'affirmative, avec sa bonne humeur coutumière. Désireux d'aider Grace autant que possible, il promit de faire appel à ses contacts pour accéder à sa demande et de la soutenir quoi qu'il puisse advenir. Elle le remercia chaleureusement et, une nouvelle fois, souhaita une bonne journée à son correspondant. La vérité était qu'elle songeait à cette décision depuis la veille et l'après-midi passé avec cet homme. Ce choix la taraudait, l'avait empêchée de dormir, elle l'avait mûrement réfléchi et c'était un peu comme si les propos de son frère retrouvé l'avaient approuvé. Électrisée par sa résolution, elle ne tenait plus en place, tournait dans son appartement comme un lion en cage, et finit par sortir pour une longue marche méditative. Elle finit par téléphoner à Natalie Bowman pour la retrouver dans un café du centre-ville, trouvant une utilité aux téléphones portables qu'elle évitait le reste du temps.
« Alors, c'est quoi ta grande nouvelle ? demanda d'emblée la jolie rousse, avec un grand sourire qui trahissait sa réjouissance à l'idée que son amie puisse surmonter au mieux les épreuves qu'elle traversait.
 - Tu veux dire à part le fait de renouer avec mon frère par l'intermédiaire de ma tante et de ma meilleure amie qui parlent tous dans mon dos ? » Natalie eut le bon goût de se sentir coupable et de rougir, mais Grace ne lui en tenait pas du tout rigueur, bien au contraire.
« Je vais quitter Seattle, déclara-t-elle sans ambages.
 - Hein ? Pourquoi ? Quand ça ?
 - Dans quelques jours, probablement. Eric Spencer a de la famille en ville, du coup il va rester ici un moment pour Sea Sheperd et pour l'entretien du bateau où il était. Mais Patrick, lui, m'a dit qu'il allait bientôt partir, rendre visite à sa famille, et il m'a proposé de l'accompagner.
 - Comme ça, alors qu'il te connaît à peine ?
 - Nat, c'est moi qui voulais aller avec lui, où qu'il aille. Il connaît Don Turner mieux que moi, peut-être mieux que personne, et j'ai le sentiment que c'est ce que je veux faire. Je suis enseignante, quel meilleur moyen de transmettre mes valeurs qu'en les défendant activement dans les traces de mon père ? Je veux connaître celui qui aurait dû m'élever, comprendre ses choix, tout ça... Je ne m'attends pas à ce que tu comprennes.
 - Eh bien, je comprends, je suppose, avança doucement la jolie rousse. Mais... ça reste inattendu. Les choses vont un peu vite, non ?
 - Je ne vais pas disparaître de la circulation, ne t'en fais pas, la rassura Grace. Contrairement à mon père, je n'ai aucun passé à éviter. Quelques jours ici, le temps de mettre mes affaires en ordre, de prévenir mon frère et ma tante, puis je file en Irlande, et de là, j'aviserai.
 - C'est pas un adieu, alors ? »
Pour toute réponse, Grace sourit, saisit la main de sa meilleure amie, crispée sur un mug de café, et l'enferma dans les deux siennes. Elle n'était pas prête d'abandonner celle qui était pour elle comme une jeune sœur, aussi délurée qu'elle-même était calme et introvertie. Et pour confirmer cette relation, elle passa le reste de la journée en sa compagnie, notamment pour faire du shopping, comme elle avait toujours aimé le faire avec elle.

Le lendemain matin, elle se trouvait cependant seule, sur les rives du Puget Sound. Les sourcils légèrement froncés et les cheveux balayés par la brise, Grace contemplait les eaux calmes de la baie sillonnées par les bateaux de plaisance, plongée dans ses pensées. Ses yeux étaient légèrement humides, moins à cause du vent que des émotions violentes qu'elle ressentait. Elle était moralement brisée, épuisée mais surtout reconstruite par les événements qu'elle avait vécus en l'espace de quelques jours, et se sentait renaître. Confiante dans ses convictions et ses souhaits, elle était maintenant certaine des choix qu'elle venait de faire. Comme pour lui répondre, un vent d'ouest balaya la surface du bras de mer qu'elle surplombait, réjouissant les plaisanciers, et elle eut l'impression irrationnelle et fantasmée que l'océan Pacifique qui se trouvait au-delà l'invitait au voyage.
Sereine et apaisée, elle ne doutait plus d'avoir pris les bonnes décisions et d'assumer l'héritage qui s'offrait à elle. L'avenir inconnu qui viendrait la trouver pouvait venir, elle saurait s'y confronter avec confiance. Le monde, après tout, semblait bien se prêter aux espoirs pour qui savait les suivre.

6 commentaires:

  1. Salutations, DarkRiketz \°O°/ Wiwine dans la plaaace!

    Petit commentaire comme promis pour te donner mon avis sur ta nouvelle x) parce que je sais à quel point on peut attendre des retours quand on écrit quelque chose.

    Déjà, je commence par souligner la difficulté du genre de la nouvelle : il est vraiment compliqué de donner de l'intérêt à un lecteur à travers si peu de pages. Tout le défi, c'est de réussir à en faire juste assez, ni trop, ni trop peu (la nouvelle est vraiment le meilleur genre pour apprendre le dosage). Dans un autre registre, le one-shot dans le milieu de la BD pose le même souci, et peut vite donner un sentiment de "pas fini". Concernant ta nouvelle, j'y reviendrai par la suite =).

    Tes intentions sont bonnes, excellentes sinon. On sent que tu veux donner une sensibilité à tes personnages, notamment à Grace qui traverse une période difficile de la vie avec la perte de son père (bien qu'elle ne l'ait pas tant connu que ça). C'est un deuil ambigu, paradoxal : par définition, c'est l'acceptation de l'absence définitive de quelqu'un dans sa vie, or ce personnage était déjà absent. C'est là que se catalyse l'intérêt des émotions de Grace à mon sens : la perte définitive par le décès se transforme en besoin de faire du "présent", du tangible, en cherchant à connaître ce père qui l'a laissée en arrière au profit de ses idéaux. J'ai bien aimé ce point-ci du personnage (et dieu sait que j'aime le traitement psychologique des protagonistes que je peux suivre dans une lecture). Elle me donne presque l'impression de vouloir connaître ce père pour le regretter à sa juste valeur, et c’est intelligent.

    On sent que tu mets de toi dans tes personnages, je les vois un peu comme une progression psychologique face au désastre écologique :
    - En Natalie et Nathan, un côté pragmatique, scientifique, Natalie la sceptique, et Nathan le personnage qui vérifie de lui-même pour ne pas se tromper (d'ailleurs je m'amuse de voir que leurs prénoms se ressemblent x) ahah). Ce sont des gens qui vivent comme la majorité de l’humanité.
    - En Grace, le professeur qui veut partager, et la personne éveillée aux intérêts écologiques défendus par son père. C’est le personnage qui passe par les trois états (méconnaissance/intérêt vague -> prise de conscience, curiosité (le stade principal dans cette nouvelle) -> volonté d’en savoir plus et peut-être de passer du côté des acteurs pour sauver l’environnement, ce que laisse entendre peut-être la fin ?).
    - En Patrick et Eric, les protagonistes déjà engagés dans leur cause, la volonté de ne plus être spectateur mais acteur d'un changement.

    (suite dans le commentaire suivant xD sinon c'est trop long et il veut pas poster le couillon)

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  2. (suite \°O°/)

    Comme je le disais au-dessus, la nouvelle est difficile à gérer dans la longueur, pour installer la situation et les mentalités sans avoir l’impression d’assommer d’informations (et avoir un rendu artificiel). Sur ce point, tu gères bien.

    J’émets cependant un bémol, et je vais m’en expliquer : je pense que mon sentiment de décalage en lisant The Legacy vient du fait que tu présentes ce texte à la fois comme une nouvelle et comme un possible prologue à la Guerre Anthropocène. Ça s’oppose : la nouvelle se veut finie, le prologue se veut le début de quelque chose de plus grand. Dans le premier cas, on a besoin de donner toutes les informations nécessaires pour faire du sens, dans le second on peut se permettre de laisser des zones d’ombre qui seront éclairées par la suite. Tout ça pour dire que The Legacy en tant que nouvelle fonctionne très bien… mais si tu veux en faire un prologue, je pense qu’il faudrait que tu laisses plus de temps à Grace d’avoir une évolution psychologique plus dosée, plus progressive, plus réaliste (d’autant que le deuil est déjà ultra lourd à porter, alors gérer ceci et un changement de point de vue sur le rapport de l’homme à la planète et aux écosystèmes, ça parait beaucoup). Peut-être plus d’incompréhension, de difficulté à comprendre, de colère vis-à-vis de son père ? En plus ça n’en donnerait que plus d’éclat à sa prise de conscience par la suite, l’occasion d’une franche rupture et d’un basculement dans l’intrigue, d’un pivot.

    Après ce ne sont que des suggestions =) et que mon point de vue. Ton écriture est fluide, ça se lit très bien, c’est plaisant, et tu réussis à retranscrire une atmosphère dans les lieux décrits (ce qui m’a le plus touché c’est la maison de Grace, on sent qu’elle est bien chez elle, y’a quelque chose de chaleureux, je ne saurais dire pourquoi… je le ressens comme ça en tout cas). Je tiens à le préciser parce que, perso, je ne supporte pas de souffrir à la lecture : si je m’emmerde, j’arrête. Là j’ai tout lu, et j’ai aimé x) voilà.

    Point de vue orthographe, j’ai juste relevé l’absence de –s dans à vas-y, c’est de l’impératif donc aller donne va, mais dans le cas où le y se colle juste derrière, pour un souci de prononciation on doit mettre un –s à va =) (c’est pareil pour les verbes du premier groupe d’ailleurs, on écrit « profites-en » par exemple). Je crois que je l’ai vu deux fois dans le texte en tout.

    J’ai hâte de voir ce qu’un premier chapitre de la Guerre Anthropocène pourra donner, et comment tu vas réussir à introduire l’intrigue avec les dieux. En tout cas, c’est très bon, j’ai beaucoup aimé, et je ne peux que t’encourager à continuer encore et encore >A</ l’écriture c’est la vie !

    Wiwine (qui s’excuse du long pavé et qui espère que son avis aura été constructif et assez argumenté !)

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    1. Alors pour ce qui est de La guerre anthropocène, mais tu le verras plus tard, le lien narratif entre les deux est purement abstrait : les deux parleront de l'écologie et de la position de l'homme face à ce principe, mais les personnages principaux seront les divinités grecques, Grace ne sert de trait d'union (avec Sea Sheperd) que de façon thématique dans le premier chapitre ;) Donc aucun souci sur son traitement, ses émotions et tout, parce que tout ceci s'arrête avec The Legacy ;)

      Pour ce qui est des prénoms de Natalie et Nathan, c'est absolument pas fait exprès, il a été baptisé le premier, puis elle, mais je n'ai pas fait le lien jusqu'à ce que tu le dises x)
      Quant au travail sur les enjeux sentimentaux et psychologiques de Grace et aux "profils symboliques" de chaque personnage, je te remercie de mettre ça en évidence en tant que lectrice, je pourrai y accorder davantage d'importance à l'avenir en écrivant, parce que là encore, je n'avais pas une vision d'ensemble aussi précise et complète de mon côté XD Mais c'est vrai que j'ai tendance à mettre pas mal de moi dans mes personnages ^^

      Encore merci pour ta lecture et ton commentaire, c'était très intéressant ♥ (et puis je savais pas, pour l'accord de l'impératif XD)

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    2. Ah bah parfait! =D si c'est juste un lien abstrait, c'est bon du coup, ça se veut comme une nouvelle, donc c'est bien traité!

      Pour Nathan et Natalie je m'en suis aperçue en faisant le classement psychologique des personnages xD j'ai trouvé ça drôle!

      En tout cas de rien de rien =D je suis contente d'apporter mon avis (et d'apprendre un petit truc au passage x) huhu).

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  3. En général, je n'aime pas trop lire de nouvelles pour la simple raison que les auteurs ont du mal à mettre le lecteur dans l'ambiance avec un texte aussi "court". Certains savent les écrire et d'autres non.
    La tienne évidemment, tombe dans la catégorie où l'on est tout de suite mis dans le bain. Les personnages sont attachants, on les cerne rapidement mais tu n’ensevelis pas le lecteur sous une tonne de descriptions soudaine. (lire trois gros paragraphes de description... voilà hein xD)
    J'ai bien aimé le coup des deux hommes mystérieux qui débarquent à l'improviste comme ça. Je trouve que ça fait partit des éléments perturbateurs pour notre héroïne ;)

    J'ai bien aimé malgré que ce soit court (je ne suis pas une adepte des nouvelles xD) j'ai hâte de lire d'autres nouvelles et/ou romans... bref, ce que tu voudras bien poster :) ♥

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  4. Ce que j'ai apprécié dans ce texte c'est qu'il nous pose des questions. Comment réagirait-on à la place de Grace? Depuis que j'ai lu ta nouvelle ça me tourne dans la tête, et je trouve que c'est plutôt une bonne qualité pour un texte. Il aborde un sujet qui touche tout le monde de près, le rapport à la famille et le poids de l'héritage, et chaque individu est seul face à des problématiques aussi intimes et universelles.
    J'ai bien aimé la définition du caractère des personnages, et le fait que les choix de Grace puissent paraître un peu en contradiction avec son propre caractère. ça montre bien le fait qu'un deuil puisse être un déclencheur dans une vie, un bouleversement qui peut inciter les gens à faire des choix dont ils ne se pensaient pas capables.
    J'ai apprécié ce texte pour ses problématiques. Du coups, même si je trouve qu'il est plus adapté comme prologue que comme nouvelle, il fonctionne tout de même en nouvelle grâce à elles.
    GG donc. ^^
    En attendant tes autres écrits!

    (j'ai pas repris de blog mais j'ai un twitter maintenant (aerlyah) dont le but était de suivre et d'échanger avec d'autres apprentis écrivains, mais je suis pas très douée pour entamer le dialogue :/ mais grâce à toi j'ai découvert quelques écrivains amateurs que je suis également avec intérêt)

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