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13.10.12

Le 19ème siècle (1) : 1815-1848, des monarchies à la naissance des nationalismes.

Bon, aujourd'hui, le premier d'une série de quatre articles, consacrés comme le titre l'indique, au 19ème siècle, mais j'vais un peu déborder sur le début du vingtième aussi, pour me pencher sur la période-charnière, particulièrement importante, qui a vu se construire en bonne partie le monde tel qu'on le connaît actuellement. Ça commence vers 1815, et ça se termine au déclenchement de la Grande Guerre, ou Première Guerre Mondiale, en 1914.

1815. Au résumé des épisodes précédents, on trouve la Révolution Française, poursuivie par le Premier Empire, je reviens pas là-dessus, si les enjeux, les objectifs ou même les causes de tout ce qui s'est passé entre 1789 et 1815 ne sont pas forcément connus, ou pas correctement, le déroulement et les conséquences, eux, sont célèbres. La France se débarrasse de son roi, attaque l'Europe entière pour "renverser les tyrans", puis tombe sous le pouvoir d'un général qui devient vite empereur, lequel fait la guerre contre le monde entier pour assurer sa légitimité, avant de tomber sur une coalition plus forte que lui et qui l'a battu à l'usure.



Ce qui nous intéresse, c'est ce qui se passe après. La période dite de Restauration (1814-1830) est soit-disant la continuité directe de 1793 (année qu'on a inaugurée en janvier en coupant la tête d'un roi) : il s'est passé vingt ans, mais Louis XVIII, frère cadet de Louis XVI, qui a attendu son heure à l'étranger, déboule comme une fleur genre "hop, le roi est mort, vive le roi, on a rien vu..."
Même les nations européennes qui ont étripé Napoléon (l'Angleterre, la Russie, l'Autriche-Hongrie et la Prusse) qui se réunissent au congrès de Vienne (octobre 1814-mars 1815), s'imaginent pouvoir faire comme si de rien n'était, genre on n'a pas passé 30 ans à se taper dessus, à déplacer la frontière tous les deux mois et à voir la France diriger l'Europe. Mais bon, vous les connaissez, les rois sont persuadés que tant que leur pouvoir est accepté sans problème et que la monarchie est stable, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, rien ne doit changer jusqu'à la fin des temps. En plus, ils ont renversé un empereur qui bénéficiait de l'appui des bourgeois et du petit peuple, logique qu'ils soient contents de voir revenir un roi qui s'appuie sur la noblesse, au moins les aristocrates on peut s'y fier.

Klemens Wenzel von Metternich (1773-1859), chancelier de l'empereur d'Autriche-Hongrie, qui est dans la première moitié du XIXème siècle la plus grande puissance continentale d'Europe.

Bref, le congrès est réuni par le ministre des Affaires Étrangères autrichien, le prince de Metternich (1773-1859), qui comme par zazard est un noble, et de grandes décisions sont prises pour revenir à la situation d'avant 1789. Normal, comme si on avait pas vu un roi mourir, une monarchie et mille ans d'illusions sociales s'effondrer, un pays écrire l'Histoire, et un général construire l'Europe. Les rois ont ce don d'être aveugles quand y faut pas, c'est très drôle.

Déjà, il faut isoler la France du reste de l'Europe, en cantonnant dans un coin ce pays de tarés où on fait une révolution tous les dix ans et où on coupe la tête des rois sans même y songer. Le monarque du début du 19ème siècle a la mémoire courte, il a oublié que les Anglais ont eux-même buté leur roi parce qu'il voulait devenir absolu (Charles Ier, 17ème siècle). Sont donc créés ou recréés les états que l'ogre napoléonien a dévorés :
  •  sur la Mer du Nord, le Royaume des Pays-Bas est constitué. Ça a toujours été le bordel, à cet endroit-là. C'était espagnol, puis mi-espagnol mi-indépendant néerlandais, puis mi-autrichien mi-néerlandais, puis mi-autrichien mi-anglais, puis mi-indépendant mi-anglais, et enfin français quand Bonaparte s'est mis en tête de mettre un peu d'ordre dans ce foutoir. Sauf que les Anglais n'attendaient que cette occasion pour lui rentrer dedans, et à l'époque, titiller la première puissance mondiale, c'est pas une bonne idée. Le courtaud a été con sur ce coup.
  •  plus au sud, la Confédération Helvétique est reconstituée, et sa neutralité est garantie par les alliés (GB, Autr., Prusse, Russie) : il lui est impossible de s'allier à qui que ce soit et de s'engager dans un conflit, d'autant qu'elle est protégée par eux. Maintenant vous savez pourquoi les Suisses n'ont jamais pris position sur rien : c'est leurs puissants voisins qui doivent le faire pour eux !
  •  sur la Méditerranée enfin, le royaume de Piémont-Sardaigne, frontalier de la France (il possède la région de Nice, de Monaco et la Savoie), est entièrement rétabli sous le contrôle de la Maison de Savoie. Laquelle existe toujours d'ailleurs, mais ne fait parler d'elle que quand la princesse Clotilde Courau tourne un nouveau film.

Le deuxième principe du Congrès de Vienne, le maintien de l'équilibre territorial des puissances, voit en fait celles-ci s'étendre sensiblement, donnant lieu à une nouvelle configuration territoriale qui sera lourde de conséquences :
  •  la Russie annexe la Bessarabie (un petit territoire sur la mer Noire, coincé entre la Roumanie et l'actuelle Ukraine), conserve la Finlande conquise durant les guerres napoléoniennes, et le tsar devient roi de Pologne (mais celle-ci n'est pas absorbée par l'empire, il a juste deux couronnes (par contre il les porte pas en même temps, ce serait pas pratique)).
  •  la Prusse reçoit le nord de la Saxe, la Westphalie, la Posnanie, et quelques villes de la vallée du Rhin.
  •  l'Autriche récupère le Milanais, la Vénétie, le Tyrol, la région de Salzbourg.
  •  l'Angleterre obtient quelques colonies et le royaume de Hanovre (au nord de l'espace allemand), possession personnelle du roi, est agrandi.

En gros, selon les deux grands principes du Congrès de Vienne, on note que la France est entourée d'états soit neutres, soit hostiles, et dont l'existence et l'intégrité (j'insiste sur l'intégrité) est garantie par le Congrès et les grandes puissances signataires. La France ne peut pas les combattre, les conquérir, et si elle s'avise de leur parler, y'a une chance sur deux pour qu'elle se fasse traiter de tous les noms. D'un autre côté, les grandes nations sont plus fortes qu'elles ne l'étaient avant la croisade napoléonienne, saletés d'hypocrites. La Prusse consolide sa position près de la Pologne et s'étend à l'Ouest de l'espace allemand (on ne parle pas encore d'Allemagne, le peuple existe, mais pas l'état), l'Autriche contrôle le nord de l'Italie, la Russie s'étend vers l'ouest, et l'Angleterre conserve (voire renforce) sa domination des grands océans et des routes maritimes.



Le problème c'est que les rois d'Europe peuvent se bercer de toutes les illusions qu'ils veulent, ils n'en reste pas moins vrai qu'ironiquement, en écrasant tout et tout le monde, la France a réveillé les consciences nationales : les peuples allemands se sont rendus compte qu'ils faisaient tous partie d'un groupe uni par la la langue, la culture, et la résistance à ce nabot de Bonaparte, les Italiens en arrivent au même constat, et la majorité des peuples d'Europe centrale ont entendu parler du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, principe opposé par essence au gouvernement arbitraire des rois sur les territoires, peu importe qui se trouve dessus.
La République, plus que tout, semble être une menace pour des rois qui tiennent à ce que leur tête ne quitte pas leur cou, si bien qu'une alliance est forgée dès 1815 pour empêcher son retour en France. Mieux, en 1820 lorsqu'une constitution est imposée au roi d'Espagne par le peuple, c'est carrément le roi de France Louis XVIII, qui n'a pas spécialement envie de finir comme son frère aîné, qui demande aux puissances européennes le droit d'aller écraser quelques hispaniques pour la cause absolutiste. Note quand même l'hypocrisie, en France à l'époque, la monarchie n'a plus rien d'absolu, ni de divin, la Révolution a pas mal ouvert les yeux !

D'ailleurs, par la suite, les beaux principes du Congrès de Vienne ne tiennent plus longtemps. Hier, ils étaient amis, aujourd'hui ils ont presque les armes à la main. En 1821, la Grèce, qui appartient à l'empire ottoman, déclare son indépendance au nom du sentiment national, des spartiates, ahou, ahou, tout ça, et les grandes puissances s'entendent pas sur la marche à suivre. Les russes veulent pas y aller, parce qu'ils vont pas soutenir une révolte pendant qu'ils en écrasent chez eux, finalement ils y vont en traînant les pieds parce que la perte de la Grèce c'est chiant pour les ottomans, et les russes veulent dévorer du turc à toutes les sauces.
Les Anglais et les Français interviennent, mais histoire de surveiller la Russie quoi, parce que l'empire ottoman a l'avantage de contrôler les deux côtés du détroit des Dardanelles, alors que la Russie rêve de passer librement ses navires de guerre en Méditerranée. Enfin c'est nawak, et à la fin les seuls gagnants c'est les Grecs, qui sont indépendants.

Le Roi Louis-Philippe et la Charte de 1830. Peinture de Winterhalter, Château de Compiègne.

Moins de dix ans plus tard, la zizanie continue, alors que le roi de France, Charles X, jeune frère de Louis XVI le guillotiné et Louis XVIII le Restaurationeur, se fait renverser. Ça lui apprendra à se prendre pour un monarque d'Ancien Régime, de droit divin et tout, non mais l'autre on dirait qu'il a pas remarqué que toutes les illusions sont tombées en 89. Les Autrichiens et les Russes sont là genre "oh eh, on était censés empêcher ça, alors on fonce", et les Anglais, flegmatiques, s'en foutent un peu parce qu'ils ont buté un roi pour la même raison, bien avant la Révolution Française. Et puis, c'est l'heure du thé, le reste attendra. Du coup Charlie a eu de la chance, on lui a pas coupé la tête, et c'est un membre de la branche cousine des Bourbons, les Orléans, qui prennent le pouvoir. Tu m'étonnes, ça fait cinq cents ans qu'ils attendent leur heure, depuis la guerre de Cent-Ans ils ont loupé toutes les crises de succession, celle d'Edward III, celle d'Henri IV, fallait pas rater celle-là ! Le roi, c'est Louis-Philippe d'Orléans, au fait. Mais ça tu le savais sûrement.
Plus ou moins en même temps, plus au nord, les Belges décident de se révolter contre l'autorité de leur roi parce qu'ils sont "pas assez considérés". Ouais, je sais, ça veut rien dire. Dans les faits, disons qu'ils sont catholiques dans un royaume de protestants, et que le roi est plutôt favorable, dans sa politique, aux provinces du nord qui, faut l'avouer, sont aussi plus riches, plus urbaines et développées. Mais c'est un cercle vicieux, il va pas s'intéresser à une bande de paysans, donc ils se plaignent de pas avoir son attention, enfin t'as saisi l'idée. On est en 1830 et naît en Europe une monarchie toute neuve (alors que bon, la république ça l'aurait fait aussi) à la  tête d'un des rares pays au monde qui n'en est pas vraiment un. Gigateuf.

Le problème, par rapport à tout ce qui a été dit précédemment, c'est que l'intégrité du royaume des Pays-Bas était garantie par le Congrès de Vienne, et que personne n'a réellement empêché la scission. Les Anglais s'en tapent, ils sont encore en train de siroter leur thé, et les Russes ont bien assez à faire à massacrer du polonais. Oui, il y a aussi une révolte par là-bas, la Pologne étant, elle, un vrai pays, ancien et traditionnellement indépendant, avec sa langue, sa culture et tout. Et depuis la fin du 18ème siècle, elle apprécie moyen d'être le cœur des enjeux territoriaux autrichiens, allemands et russes. Donc elle se révolte pour redevenir libre, mais le tsar envoie ses gars ratiboiser Varsovie, et tout ça se termine dans un effroyable bain de sang, qui voit le pays disparaître complètement des cartes jusqu'à 1918.
La Belgique naît donc, en dépit de l'opposition théorique des Russes et des Autrichiens, qui veulent pas voir des nationalismes (au sens de "sentiment d'unité nationale") s'exprimer partout, à commencer par chez eux (les Hongrois sont assez agités, dans l'empire d'Autriche, et j'te parle pas des douzaines de peuples amalgamés en Russie). La France, qui tu l'as remarqué a repris sa place dans le concert des nations, intervient en faveur des Belges, parce qu'elle est catholique aussi, et à cause du lobby des cultivateurs de pommes de terre et des éleveurs de moules, et le résultat, on l'a sous les yeux, la Belgique est en pleine crise politique et identitaire.

Caricature de la Conférence de Londres de 1830 : on reconnaît les Pays-Bas à gauche, la jeune Belgique à droite, le singe et le cheval figurent l'Autriche et la Prusse. L'ours est évidemment la Russie qui piétine la révolution polonaise et on voit l'Angleterre imposer au lapin français la création du nouvel état.
Pour la petite histoire, à la naissance de leur pays, parce que leur révolution et leur indépendance étaient considérées dangereuses pour l'ordre monarchique européen, les Belges ont été forcés d'exister en fonction des intérêts commerciaux anglais : ils n'ont pu choisir leur langue, leur régime politique, ou même le chef d'état de leur nation, qui ont été imposés par l'Angleterre.

Tout ceci nous amène donc, sur la seule Europe, à 1848, où une grande vague d'agitation européenne va à nouveau déferler, et devinez d'où ? La France, ce pays de tarés agitateurs politiques et coupeurs de têtes royales !! En 1845 a lieu, notamment, une effroyable maladie de la pomme de terre en Irlande, qui voit la majorité des habitants de l'île se barrer aux États-Unis, pendant que l'Europe meurt de faim, le tout accompagné de crises financières et industrielles, de développement du socialisme avec la publication du Capital en 1848. Le socialisme, à l'époque, c'est le nom donné à ce qui sera plus tard le marxisme, il est donc bien plus à gauche que le socialisme actuel, on appelle même les socialistes "les rouges". Bref, 1845/48, c'est pas la joie en Europe.
En France, Louis-Philippe, qui était au départ "le roi-citoyen" est vite retombé dans les travers de la monarchie française, avec ce que ça suppose d'autorité et de mépris du peuple, et dès 1832, des émeutes régulières ont eu lieu. Inutile de revenir là-dessus, si tu veux en savoir plus, lis Victor Hugo. En février 1848, la compagnie Monarchie de Juillet fait l'objet d'une OPA hostile de la part du groupe Population Parisienne. La Seconde république est rapidement fondée, en mai, pendant que dans l'urgence on réforme à tout-va : c'est le temps de l'abolition définitive de l'esclavage français (il n'est plus, dans l'empire britannique, depuis 1833), du suffrage universel masculin, et en novembre est élu président le sieur Louis-Napoléon Bonaparte, neveu du général et empereur précédent. Un républicain qui s'appelle Bonaparte, moi je dis ça pue du cul à dix kilomètres, enfin bon, j'étais pas sur place pour les prévenir.


En Italie, les régions napolitaine et milanaise est elle aussi en proie aux remous internes, à cause du fait, tout simple, que l'Autriche est maîtresse des lieux et qu'à cause du Risorgimiento de Mazzini, un socialiste italien adepte de l'unification nationale, le sentiment national italien et anti-autrichien n'a fait que s'accroître depuis les années 1830. Les Italiens aiment pas être les sujets d'un étranger alors qu'ils pourraient avoir leur propre pays, les Hongrois font pareil de leur côté, et les Autrichiens aiment pas que leurs voisins du sud et de l'est râlent contre l'empereur alors ils râlent contre l'empereur qui fait pas son boulot de maintien de l'ordre. Une émeute a lieu à Vienne en mars 1848, le prince de Metternich, chancelier, démissionne, l'empereur fuit la capitale, et rapidement la Hongrie se dote d'une constitution. L'état de siège est déclaré dans le pays, des émeutes éclatent à nouveau à Vienne en octobre pour empêcher les manœuvres de l'armée vers la Hongrie, et comme les soldats sont disciplinés, ils tirent pas dans le tas, faut pas déconner. L'empereur finit par abdiquer en faveur de son neveu, François-Joseph, dont tu as peut-être entendu parler dans Sissi.
En Italie, cependant, les mouvements de protestation ne donnent rien pour l'instant.

Allégorie du Printemps des peuples par Frédéric Sorrieu.
On remarque les états allemands et italiens, qui dirigent le cortège supposé mettre à bas les monarchies, tandis que la procession contourne un Arbre de la liberté paré de drapeaux européens, qui rappelle ceux de la Révolution Française.



Bref, de 1815 à 1848, l'Europe des empires en prend plein la tronche. Globalement, elle reste assez semblable : des régimes libéraux à l'ouest, en France, Belgique, Royaume-Uni, dirigés par les bourgeoisies, et des absolutistes acharnés à l'est : le tsar de Russie, le royaume de Prusse, l'empire Austro-Hongrois. Le souci c'est que, si elles ne sont pas encore unifiées et qu'on ne peut donc parler d'Italie et d'Allemagne (mais on peut parler d'Allemands par contre), le sentiment national très fort a été insufflé ou ravivé dans les deux, en partie à cause de la Révolution, sans parler des peuples qui se reconnaissent comme tels mais n'ont pas encore d'état politique propre. Ceux-là sont très nombreux, certains ont essayé de se faire une place, ont échoué, et n'en resteront pas là, les bougres.

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