Le fait est donc que depuis des siècles (ça a commencé quand César est allé botter quelques fesses en Germanie et qu'on s'est rendu compte que y'avait du monde sur place) les peuples d'outre-Rhin ne cessent de frapper à la porte de l'Empire, à grands coups de glaives et de lances. Ça allait à peu près bien tant que Rome était forte et unie, mais vers la fin, les empereurs se tapaient plus dessus mutuellement (à cause des usurpations impériales) que sur les gens de l'autre côté de la frontière, qui commencèrent à poser un vrai problème. A fortiori lorsque les Huns, ces innombrables sauvages divisés en multiples tribus, arrivent en Europe et poussent tout le monde dans la seule direction possible (celle d'où eux-mêmes ne venaient pas) : l'ouest, donc l'Empire Romain.
Comme à l'époque, on n'avait pas inventé un truc aussi absurde que les États-nations, les barbares germaniques se sont pas dit « c'est notre terre, on la défend jusqu'à la mort ! » Non, c'était plus du style « baaaaah, on a pas le niveau faut êt' réaliste, ils vont nous passer d'ssus, alors hop, on est partis, vite vite vite ! » A un moment, selon les règles classiques de la géographie, à force d'avancer, ils finissent par tomber sur la frontière romaine. Les gusses, ils avaient une marée de Huns aux fesses, tu crois qu'un limes devenu poreux et mal défendu, ça les a arrêtés ? Nope. On continue à avancer, maintenant on est des citoyens impériaux, alors les Huns, c'est le problème de César ! (César, l'empereur, pas César, Jules. Les barbares savaient pas qu'en fait l'empereur on l'appelait Auguste.)
Caracalla a pas dû penser à ça en 212 quand il a dit « ok, maintenant on va uniformiser les statuts dans l'empire : tous les hommes libres sont citoyens romains, tous les autres mâles sont esclaves ». Parce que par définition, une troupe de germains qui entre dans l'empire, c'est des hommes libres en plus, des citoyens qu'il faut « protéger et servir », soit-disant.
Nous sommes à l'hiver 406, et la première vague traversant le Rhin gelé est constituée de Vandales et de Suèves, venus de l'actuelle Allemagne du sud et Hongrie, et d'Alains originaires d'Iran. Ouais, ils ont fait de la route. Le problème, c'est que les Romains ne peuvent pas les repousser, d'abord parce qu'après genre 150 ans de luttes intestines, de princes usurpateurs par douzaines, d'armées qui se battent entre elles au lieu de garder la frontière, celle-ci c'est le pénitencier des Dalton : une passoire. Et aussi parce qu'elles se font déjà taper dessus sur les bords de la mer Noire par les Goths. Ah bah oui c'est dommage.
Les nouveaux venus, arrivés plus à l'ouest, près de Reims, se séparent alors. Oui parce « se serrer les coudes pour passer la frontière, d'accord, mais ces types-là, on les connaît pas, alors une fois de l'autre côté, on se sépare, on veut rien avoir à faire avec eux (et puis si la police des frontières débarque, plutôt eux que nous). »
Bref, certains vont au nord, vers Amiens et Tournai, d'autres descendent vers le Rhône. Plus tard, ils sont d'ailleurs suivis par les Burgondes et les Alamans, qui s'installent dans le nord-est de la Gaule : pour les Romains, c'est la panique, la fin du monde, y'a des étrangers partout, au secours, ils vont nous manger !
Mais, heureusement, comme à chaque fois qu'il y a immigration massive, un type est là pour bouter les nouveaux venus (qui n'ont rien demandé à personne et sont venus avec femmes et enfants, preuve qu'ils viennent pas guerroyer) : le type s'appelle Constantin III, empereur usurpateur acclamé par les troupes de Bretagne, et qui prend Arles en 407, après avoir poursuivi les barbares. Rapide, le bougre, après avoir traversé le canal ^^ Très occupé, Constantin envoie son fils lutter contre les Suèves et les Vandales en Espagne, établit une ligne de défense le long des Alpes (les barbares sont passés de l'autre côté desdites), renforce le limes du Rhin dont il confie la garde aux Francs : quitte à ce qu'ils soient sur place, autant qu'ils servent à quelque chose. Puis il perd la Bretagne, ce qui l'affaiblit, et Honorius III, l'empereur légitime, vient lui botter les fesses : bien fait pour lui, ça lui apprendra à ne protéger que la Gaule et à laisser l'Italie aux mains des sauvages. Et aussi à se proclamer empereur, tant qu'à faire.
Parallèlement, en Italie, donc, les Wisigoths menés par Alaric assiègent le pays, pillent Rome (c'est un peu pour ça qu'ils s'étaient tapé toute la route) en 409-410 et sont renvoyés en Gaule par l'empereur, avec en otage, Galla Placidia, demi-soeur de celui-ci.
Pour pas mal d'historiens, c'est là que commence le Moyen-Age. Je suis assez d'accord avec eux.
Trois ans plus tard (413), les Wisigoths, bien que fédérés et placés en Gaule Narbonnaise, prennent les villes de Narbonne, Bordeaux, Toulouse. Le motif ? Ils ont plus de vivres, et faut bien manger... Eh, c'est des barbares nomades, ils vivent sur le pays pillé, si tu les plantes quelque part longtemps, pense à leur filer d'la bouffe aussi !
Leur chef, Athaulf, épouse Galla Placidia (sur la droite de l'image de gauche, avec ses enfants Honoria et le futur empereur Valentinien III), mais se fait assassiner après que le général romain Constance ait été envoyé remettre de l'ordre. Wallia, successeur d'Athaulf, rend la femme aux romains, qui, éperdue de gratitude, va jusqu'à épouser son sauveur. On la comprend, des barbares, des romains... le choix est vite fait. Pour les wisigoths, l'installation est terminée : ils sont en Gaule du Sud-Ouest, la future Aquitaine, et n'en bougeront plus, bien que s'étendant ensuite à l'Espagne (dont le nord-ouest, actuelle Galice, est le refuge des Suèves).
Bien plus tard (vers 440), la situation a quelque peu évolué : l'empereur Valentinien III, fils de Galla Placidia et de Constance, fait appel au général Flavius Aetius, un genre de Chuck Norris de l'époque, pour repousser les wisigoths qui cherchent à s'étendre en Gaule (à partir de l'Espagne où ils sont partis, donc). Juste après cet échauffement, Aetius va dégommer les Francs Saliens (qui sont entrés dans l'empire les derniers) à Cambrai et maintient les Francs Rhénans au-delà du Rhin, le tout en immobilisant les Burgondes dans l'est de la Gaule (leur territoire définitif) et les Alains plus au sud, dans les Alpes et le sud-est du pays. Mais bon, même l’infatigable Aetius ne peut être partout, ce qui permet à l'Armorique de devenir indépendante, et aux envahisseurs Angles, Saxons et Jutes de finir de prendre la Bretagne livrée à elle-même (ils avaient commencé au moment de l'usurpation de Constantin III, raison pour laquelle il a perdue cette province, pas d'bol). Et histoire de simplifier les choses, les Wisigoths ayant compris qu'ils ne pouvaient s'étendre en Gaule, virent les Vandales du sud de l'Espagne vers Afrique, lesquels prennent Carthage, tout le rivage méditerranéen de la province, bref, coup dur pour Rome (l'Afrique, c'est quand même LA grande réserve agricole d'Occident).
Les choses se stabilisent enfin, on pourrait croire que les romains peuvent souffler, mais les Huns, ces ptits malins, sont allés toujours plus à l'ouest à la recherche de leurs proies, et ont finalement compris où elles sont allées. C'est pas genre ils ont galopé jusqu'à se trouver au pied d'un mur avec écrit « bienvenue dans l'empire romain » dessus, mais pas loin. Du coup ils font quoi ? Bah normal, ils franchissent le limes, d'autant que les Francs Rhénans sur place ne les repoussent pas ou peu (« on a pas arrêté d'essayer d'entrer pour tout saccager, et on va empêcher quelqu'un d'aller le faire pour nous, mais qu'est-ce que le point ? ») : après tout, c'est le problème de Rome, ces Huns.
La campagne d'Attila de 451, qui voit la mise à sac ("sacked") d'un paquet de villes de Gaule du nord-est, et se termine par la bataille des champs catalauniques (près de Châlons).
Rome qui justement, envoie son Chuck Norris perso affronter les Huns. Ceux-ci, à ce moment de leur histoire, sont dirigés par un chef redoutable, un certain Attila, qui un beau jour se met en tête d'unifier son peuple. D'ailleurs, une citation célèbre dit « Là où Attila passe, l'herbe ne repousse jamais. » Alors les types, tu les imagines peut-être avec des sacs de désherbant fixés sur la croupe de leur cheval, avec les produits qui s'écoulent derrière les montures au galop, qui sait ? (en fait, quand j'étais môme, j'avais toute une série de fiches éducatives sur tous les domaines et celle d'Attila figurait VRAIMENT un dessin humoristique et des Huns à cheval avec du désherbant et des tondeuses mécaniques !) A mon avis la formule vient surtout du fait que les Huns sont des combattants nomades qui emmènent partout leurs nombreux chevaux avec eux, et que les chevaux, ça mange de l'herbe.
Aetius, encore lui, accessoirement, connaît bien le chef des Huns, auprès de qui il a vécu comme otage (ils sont allés à l'école ensemble et tout, jamais l'un sans l'autre !), sait qu'on a encore besoin d'herbe dans l'empire, et décide de virer l'importun. Lequel a, en plus, a pris Metz, Reims et Troyes, raison supplémentaire lui taper dessus. Pour Aetius, c'est la goutte d'eau, et il fait à ce moment un grand discours (« à moooooorrrt ! ») pour réunir les barbares chrétiens autour de lui : c'est la grande coalition des Francs, Alains, Wisigoths, Burgondes, bref, tous ceux qui croient au ptit Jésus et qui sont directement menacés par Attila. La bataille est rude, ça s'empoigne de partout, Théodoric, roi des Wisigoths, est tué, mais l'honneur est sauf : les huns sont tellement affaiblis qu'ils sont forcés de se replier en Pannonie, actuelle Autriche, où se trouve leur capitale.
L'année suivante, ils reviennent à la charge, mais pas par la Gaule (sinon c'est pas drôle, faut innover un peu) : attaquant l'Italie, les Huns font un super voyage touristique, Pavie, Milan, Aquilée (la future Venise), et enfin Rome, mais le pape Léon Ier, dit le Grand, n'aime pas beaucoup ces vacanciers envahissants, et décide de les payer pour qu'ils rentrent chez eux. Pour la ptite histoire, Attila mourra d'ailleurs peu après, la nuit de ses énièmes noces, après avoir trop mangé, ou trop bu, ou tué par sa femme ou que sais-je. Comme quoi, si vous vous lancez dans une campagne d'invasion, évitez de faire une giga-teuf en plein milieu, c'est mauvais pour la santé.
De son côté, Aetius aussi est tué, sur ordre de (ou par) l'empereur, principalement à cause d'un parti anti-barbare, des Romains qui n'aiment pas beaucoup qu'on s'allie avec certains envahisseurs pour en vaincre d'autres, ces nazes réactionnaires.
En conclusion première, il faut savoir qu'Aetius, parfois appelé « le dernier des romains », était en fait le dernier grand défenseur de l'empire, un type un peu malin qui accepte et utilise les barbares plutôt que de tous les virer (c'est-à-dire qu'en France contemporaine, on manque d'un Aetius qui intègrerait plutôt que de refouler). A sa mort, les « envahisseurs » germaniques ont donc toute latitude pour s'étendre sans que les Romains ne puissent les en empêcher. Les Francs Saliens s'étendent à tout le nord de la Gaule, les Rhénans traversent le Rhin, les Alamans s'installent au milieu des montagnes (dans l'actuelle Suisse) et les Burgondes contrôlent toutes les voies de communication entre la Gaule, la Germanie et l'Italie, via un territoire puissant dans les Alpes et la vallée du Rhône qui deviendra la Bourgogne.
Tandis que les Vandales (via la Sardaigne et la Sicile, qu'ils ont conquises) pillent Rome, l'empereur romain devient un outil de légitimité pour les barbares : le dernier d'entre eux sera Romulus Augustule, au nom très symbolique, et qui accessoirement est le fils d'Oreste, ancien bras droit d'Attila. Le wisigoth Odoacre tue le père, exile le fils (on est en 476) et l'empereur d'Orient le nomme roi d'Italie et garant des traditions romaines. Sauf qu'Odoacre se met le doit dans l’œil, parce que dix ans plus tard, le même empereur d'Orient envoie un roi Ostrogoth, Théodoric (un nom assez commun semble-t-il) se défouler en Italie plutôt qu'à Constantinople : le roi d'Italie est assassiné à la suite d'une campagne difficile, et les Ostrogoths s'installent sur place.
Pendant ce temps, en Gaule, y'avait un mec appelé Syagrius qui avait décidé que Rome n'est pas morte : ambitieux, le mec s'était dit que c'est à lui de perpétuer son nom, même pas peur. Pour l'anecdote, il est fils d'Aegidius, un romain qui avait combattu les barbares en s'imaginant qu'il pouvait les soumettre à l'empire. Après que son maître, l'empereur Majorien, eut été assassiné, il continua la lutte pour lui-même, pas con, et son fils reprent le flambeau à sa mort, en 464.
Clovis, y'a tellement de représentations de lui, qu'au fond personne sait à quoi il ressemblait. Mais comme les rois francs étaient imberbes et portaient les cheveux courts (comme les Romains), y'a peu de chances que ce soit ça. L'imaginaire populaire en prend un coup.
A ce moment, le mec se fait appeler dux, mais les « barbares » l'appellent Roi des Romains (rien que ça). Ça les arrange, parce qu'un empereur ou un dux, c'est un romain qu'on utilise pour légitimer son pouvoir. Alors qu'un roi, on le bute et on prend ses terres... Qui plus est, ledit Roi des Romains refuse d'admettre l'autorité d'Odoacre à partir de 476 et envoie, comme celui-ci, un émissaire à Zénon, empereur d'Orient, pour se faire déclarer maître de l'Occident. On a vu ce que ça donnait, Odoacre est devenu Roi d'Italie et Syagrius s'est juste fait ignorer en beauté. Bien mal lui en prend, parce qu'à la mort de son allié Childéric, roi des Francs saliens, en 481, le fils dudit, un certain Clovis, se dit qu'un mec qu'est pas foutu d'avoir l'aval de l'empire d'Orient, c'est un mec dont on peut se débarrasser sans subir de conséquences fâcheuses. Accessoirement, le même Clovis passe le plus clair de son temps à conquérir à qui mieux mieux, alors ça l'arrange de combattre le romain.
Pour faire court, la bataille est livrée à Soissons en 486, et Clovis gagne. J'ai déjà dit que les peuples germaniques, dont les Francs, étaient doués question cavalerie, ce qui n'a jamais été le truc des romains, alors imaginez ce pauvre Syagrius et ses gars se faire passer dessus... Pour l'anecdote, après ça, un soldat pique un précieux vase à l'église, et Clovis, qui apprécie moyennement, plante sa francisque dans la tête dudit, ce qui est arrivé jusqu'à nous dans un épisode célèbre de cette époque.
Situation de l'Empire d'Occident autour de 476-486. Les territoires de chaque peuple sont bien délimités et on voit même les Langobards, les Saxons et les futurs Danois.
L'ex-Roi des romains s'enfuit alors à Toulouse, cité du wisigoth Alaric, en s'imaginant peut-être lever les barbares les uns contre les autres : Clovis fait une descente et exige le romain, faute de quoi il déclarera la guerre aux Wisigoths. Pas fou, Alaric livre Syagrius au roi des Francs, qui le fait égorger dans le plus grand secret avant de s'emparer de son territoire. Genre « Hé, votre chef là, il s'est enfui comme un lâche, allez, rejoignez-nous quoi, il était pas digne, moi oui ! », et son argumentation passe mieux si personne apprend qu'il a tué ledit chef. Mais bon, après ça, pas con, Clovis déclarera quand même la guerre aux Wisigoths. Il a remarqué des montagnes au loin, et il aimerait bien en faire sa frontière, alors hop, début du conflit, et c'est comme ça que les Wisigoths se sont retrouvés de l'autre côté des Pyrénées.
On en arrive donc petit à petit en 511, à la mort de Clovis, le premier roi de tous les Francs, qui au passage s'est fait baptiser (et non pas sacrer !) entre 496 et 500, le jour de Noël, par l'évêque Rémi de Reims. C'est toujours mieux de dire que tu as l'aval de Dieu et de son émissaire pour trucider de par le monde.
Les royaumes dits barbares, tous chrétiens (même si certains sont ariens), sont fermement installés pour ce premier Moyen-âge : les Francs en Gaule, les Wisigoths dans la péninsule ibérique, les Vandales en Afrique (où ils reprennent les traditions romaines), les Alamans et Burgondes le long de l'axe Rhin-Rhône et les Ostrogoths en Italie.
La situation géopolitique d'Europe occidentale ne changera pour ainsi dire pas, jusqu'à ce que ce bon vieux Charlemagne vienne botter quelques culs réfractaires et unisse tout le monde dans son empire franc \o/
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