No pasarán, le jeu.
Auteur : Christian Lehmann.
Origine : France.
Nombre de livres : 3.
Date de publication : 1996.
Genre : littérature jeunesse, drame, histoire.
Auteurs : Christian Lehmann et Antoine Carrion.
Origine : France.
Nombre de livres : 1.
Date de publication : 2014.
Genre : bande dessinée, jeunesse, drame, histoire.
L'auteur.
Christian Lehmann, né en 1958, est écrivain depuis 1988. Ses livres sont essentiellement destinés à la jeunesse, mais il a également écrit pour les adultes. Il est également médecin généraliste engagé et a écrit quelques ouvrages sur sa profession tout en s'opposant à certaines réformes de la Sécurité Sociale en France.
Londres, de nos jours. Andreas, Eric et Thierry sont trois lycéens de la région parisienne qui terminent un séjour scolaire en Angleterre. Ils désertent les deux groupes de classe pour localiser une boutique de jeux vidéo dont ils ont trouvé un prospectus. Dans celle-ci, des jeux inédits, introuvables et incroyables.
Mais au moment de payer, le vendeur, un très vieil homme, alarmé par un badge militaire arboré par Andreas, empoigne-celui et ordonne aux garçons de jouer à un jeu, un jeu unique et dangereux. Pour eux, ce sera un passeport pour l'enfer.
No pasarán est un roman français que j'ai découvert au collège mais lu seulement au lycée alors que, un peu plus tôt, ma prof de français de 3ème m'avait imposé de lire un autre livre du même auteur, La nature du mal. Leur auteur Christian Lehmann est, je viens de l'apprendre, médecin généraliste, et j'ai lu il y a des années qu'il avait eu l'idée de No pasarán en trouvant, comme ça, sans mise en contexte rien, paf, une citation de Mussolini dans un manuel de jeu vidéo.
Si, en apparence, c'est juste l'histoire de trois ados un peu paumés qui jouent à un jeu vidéo inhabituel, la nature de celui-ci, leur entourage notamment familial et surtout le contexte de publication du roman font de cette histoire quelque chose d'autrement plus sombre et complexe. De là vient, d'après moi, l'une des grosses faiblesses de la bande dessinée, qui n'est pas vraiment une adaptation mais plutôt une transposition à notre époque.
Sorti en 1996, le roman pouvait facilement évoquer l'ex-Yougoslavie et les conflits qui s'y sont déroulés, surtout si l'histoire est antérieure à la date de publication. Les références qui y sont faites sont d'époque, quand les mecs arrivent à Game Frenzy, ils voient Mortal Kombat 5 (sorti en 2002 sur la PS2, une console qui n'existait même pas à l'époque XD), Quake 2 (sorti en 97) ou encore Fade to black, la suite de l'excellent Flaskback sur SNES (1995 et 92 respectivement) et le médecin de famille fait un moment référence à des pubs Sega des années 80/90.
Or, la BD se passe, elle aussi, à l'époque de sa publication et non à celle du roman. Les jeunes trouvent donc chez Game Frenzy la suite de Fallout 1 et 2 (bien qu'elle soit déjà sortie en 2014), le MK5 d'Andreas est remplacé par un jeu interdit sur le massacre de Columbine, et les lycéens ont des smartphones. Même Elena fait référence à la guerre d'Irak de 2003 à un moment.
Du coup, en 2014, bah la présence d'une serbe dans le lycée manque un peu de pertinence, et je connais pas la situation en ex-Yougoslavie mais je pense que ça s'est vachement calmé depuis que c'est plus la guerre ouverte. Toute une intrigue secondaire devient obsolète juste en changeant l'époque.
Le pire c'est que ce roman aurait pu être très bien adapté en BD, c'est juste que l'impression générale que cette dernière m'a laissée est que c'est expéditif. Le livre emploie un style simple et courant, avec des dialogues très compréhensibles par le lectorat, des insultes à l'occasion, mais en dehors de ça il est très complet malgré ses 233 pages, avec des descriptions détaillées, énormément de mise en ambiance, tout ça. La BD ne le fait pas, on dirait qu'elle a été écrite dans un objectif d'efficacité. Tenez, un exemple.
« Muets de stupeur, Eric, Andreas et Thierry avancèrent comme des automates vers la façade illuminée. Dans la vitrine, les boîtes de jeux aux couleurs vives, les posters somptueux accrochaient leur regard. Ici, sous le logo de MECHWARRIOR II, un robot désintégrateur haut comme un immeuble de dix étages émergeait d'un océan de flammes et d'explosions. Là, un guerrier du chaos vêtu d'un simple pagne, le corps zébré de griffures sanglantes, fendant d'un revers d'épée à deux mains les crânes difformes d'une demi-douzaines d'orcs aux gueules luisantes. Ici encore, deux adorables créatures loufoques à chevelure verte, animées par un ressort invisible, montaient et descendaient le long de la vitrine, agrippées à un parapluie multicolore. »
Dans la BD, avant que les trois héros n'entrent dans la boutique, au début de l'histoire, il n'y a qu'une vignette montrant la façade, avec les garçons devant, de dos, en contre-plongée. Il n'est donc possible de voir qu'une seule statuette de héros spartiate, sur le côté, alors que la vitrine aurait pu être représentée en plongée par-dessus leurs têtes ou leurs épaules, donnant un côté FPS intéressant à la scène.
C'est ça qui fait la qualité du roman sous la plume de Christian Lehmann, il aborde des sujets très sérieux et graves – le rapport à la guerre, aux ethnies, à la morale, le paradoxe entre la violence de certains jeux vidéo et son implication sur la réalité. Il évoque également un contexte socio-politique précis, le milieu des années 90 et la guerre d'ex-Yougoslavie, sans parler de l'environnement familial, notamment, d'Eric et Andreas – la mère du première est tellement faible à force de ne rien faire qu'elle passe ses journées gavée de médicaments devant la télé, et le père du second est un politicien d'extrême-droite.
Mais, tout ça, l'auteur le décrit et le dépeint en donnant l'impression qu'il s'y connaît. Quand il parle de jeux de stratégie ou de FPS, le lecteur a la sensation que Christian Lehmann y a joué – et c'est probable, sans quoi il n'aurait pas trouvé une citation de Mussolini dans un livret de jeu vidéo à la base.
Mais dans la BD, le contexte n'est pas présenté, l'ambiance n'est pas développée, seule compte la narration. Y'a carrément un personnage que je trouve extrêmement important dans le roman, le médecin de famille d'Eric et Thierry, qui joue un peu le rôle de mentor pour Eric et son frère Gilles, qui n'existe tout simplement pas dans la BD. C'est dommage, c'est essentiellement lui qui incarnait la vieille génération, politisée, qui ne comprend pas les jeux vidéo et les jeunes, mais admire les jeunes engagés comme Gilles, et son impact sur Eric est très fort dans le roman.
C'est pareil pour les dialogues, ils étaient pleins de saveurs dans le livre – Elena qui explique à Eric qu'elle est serbe et lui qui répond qu'Andreas ne voit pas la différence, raison pour laquelle il la traite de « bougnoule » et d'autres qualificatifs attribués aux Maghrébins – et l'évocation des sentiments, des émotions était très riche. Et là, plus rien.
Le cœur de l'histoire, c'est l'Expérience Ultime, ce jeu vidéo qui n'en est pas un, des années avant la réalité virtuelle, dans laquelle les joueurs sont littéralement plongés et qui n'en ressortent pas indemnes, vu les expériences qu'ils y vivent. On nous explique à un moment que les personnages de ce jeu n'en sont pas, qu'ils ont une vie propre, une histoire, des motivations, et rien n'en apparaît dans la BD. Les séquences de Guernica et de Boadilla del Monte sont extrêmement courtes et suggestives – la première c'est normal, le roman donne lui-même l'impression que les républicains espagnols se font rouler dessus par un 38 tonnes – mais la seconde est quand même le climax du livre, et on a rien en BD, ou presque. Les types des Brigades Internationales qui combattent à Boadilla, dans le livre, on a leur nom, leur histoire, un peu de leur personnalité, et là... pff.
Après, tout n'est pas à jeter dans la BD, le caractère visuel est très intéressant : déjà, il permet une autre forme d'immersion dans l'action, notamment lors du bombardement de Guernica, mais il ajoute aussi des éléments qui étaient très abstraits dans le roman. Par exemple, les cauchemars qui hantent Gilles, le frère d'Eric, revenu de son engagement dans les Casques Bleus en Yougoslavie, ou encore ceux d'Elena par rapport à l'Expérience Ultime. Et puis l'image joue aussi habilement avec la plongée des personnages dans le jeu, notamment Eric et Thierry, surtout lorsque ce dernier réalise que c'est pas juste un jeu, que le général de Verdun qu'il incarne, c'est lui avec quarante ans de plus, visage inclus.
Le style visuel du format dessiné n'est d'ailleurs pas moche du tout, malgré un temps d'adaptation nécessaire. Les visages sont anguleux et les mentons pointus, et tandis qu'Andreas est clairement décrit comme un skin-head dans le livre – grand, crâne rasé, vareuse en cuir et le fameux insigne de la Légion Condor – dans la BD on dirait un peu Dolchett de Fullmetal Alchemist, les yeux bleus et les cheveux blonds ébouriffés, probablement pour les besoins de la métaphore du nazi. Y'a pas grand-chose qui corresponde à l'image que j'en avais en lisant le livre, mais ça doit être pareil pour toutes les adaptations, je suppose.
Par contre effectivement, le dénouement est expéditif, dans le roman il se passe un certain temps entre le climax et la fin, y'a une ellipse avec un genre d'épilogue, et ensuite la dernière petite péripétie – qui mène d'ailleurs à la suite de No pasarán, Andreas, le retour, laquelle est suivie de No pasarán, endgame, sortie en 2012 et dont j'ignorais l'existence jusqu'à la rédaction de cet article.
Bref, dans la BD il n'y a malheureusement pas cette ellipse, et c'est un peu dommage, je trouve, surtout par rapport à ce qui est raconté après.
En bref : la BD n'est pas mauvaise du tout, mais elle est hautement dispensable si vous avez lu le livre. Si vous ne connaissez pas No pasarán, le jeu, et que vous avez envie de découvrir les deux formats, mon conseil, commencez par la bande dessinée. L'adaptation du roman aurait pu être bien plus réussie que ça. Cela dit, ça reste une histoire très intéressante avec des enjeux contemporains, à la fois graves et aisément abordés ici. Je recommande à tout le monde!
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