Salut les gens !
Alors, à une époque lointaine (dans ma prime jeunesse), j'ai travaillé en voile-aviron sur un bateau (c'était même mon premier boulot ^^) et comme je trouve ça intéressant, c'est toujours sympa pour la culture générale, j'avais envie de vous en parler.
Alors, à une époque lointaine (dans ma prime jeunesse), j'ai travaillé en voile-aviron sur un bateau (c'était même mon premier boulot ^^) et comme je trouve ça intéressant, c'est toujours sympa pour la culture générale, j'avais envie de vous en parler.
Pour aborder le sujet il faut que je
fasse un peu d'histoire (encore). Sinon ce sera pas clair.
C'est parti ? C'est parti.
Tout commence en 1796. La France est en
guerre révolutionnaire, c'est-à-dire qu'elle vient de guillotiner
son roi, Louis XVI, et sa reine, Marie-Antoinette d'Autriche, et se
trouve en conflit avec l'essentiel des puissances européennes – et
notamment l'Autriche dont l'archiduc (l'empereur germanique) apprécie
moyennement la mort de sa sœur. Les guerres révolutionnaires, à la
base, c'était pour diffuser les idéaux de la Révolution à travers
l'Europe.
Histoire d'affaiblir ses ennemis et
surtout l'Angleterre – la grande puissance du XVIIIème siècle que
la France a affrontée notamment lors des guerres de Sept-Ans
(1756-63) et d'indépendance américaine (1776-1783) – les chefs de
la Révolution décident d'envoyer une armada en Irlande pour
soutenir les indépendantistes. On est toujours en 1796 et ces gros
malins se disent que s'ils envoient la flotte en hiver, l'Angleterre
pourra pas faire grand-chose pour l'arrêter dans l'Atlantique nord.
Le problème c'est que l'hiver 1796 est
absolument dégueulasse, que le temps est tout pourri, que la flotte
est sérieusement mise à mal et éparpillée, si bien qu'elle
parvient sur les côtes irlandaises pour y échouer lamentablement,
dans la baie de Bantry.
Le navire qui nous intéresse c'est la
Résolue commandée par le contre-amiral Nielly, qui coordonne
l'arrière-garde de la flotte. L'officier y fait embarquer sa
chaloupe personnelle avant de faire voile et, sous une tempête qui
endommage des navires et provoque des collisions parmi d'autres (dont
la Résolue), c'est cette chaloupe qui est choisie pour envoyer
quelques hommes à terre demander l'aide des nationalistes irlandais.
Manque de pot le groupe tombe entre les
mains d'irlandais loyalistes qui s'emparent de la chaloupe et la font
déplacer dans la demeure du chef des milices gardes-côtes
anglaises. Elle y sera conservée pendant plus d'un siècle, avant
d'être offerte en 1944 au Musée National de Dublin.
La yole de Bantry d'origine, celle de l'amiral Nielly, au Musée National de Dublin. Elle a été en partie restaurée mais ça se voit pas ici, parce que ce qu'on voit là, ce sont les supports sur lesquels elle repose. Pour plus de photos d'elle, allez là et constatez que la chambre, sous les bancs à l'arrière, a aussi été refaite. Ainsi qu'un ou deux bancs j'ai l'impression.
Au début des années 80, deux hommes,
un Français et un Américain, Bernard Cadoret et Lance Lee, tous
deux passionnés par la mer et la construction navale, découvrent la yole dite "de Bantry" en Irlande et décident d'en faire des reproductions
pour créer des épreuves nautiques : l'Atlantic Challenge est
né.
Quelques années après, la revue
française Chasse-Marée crée à son tour le Défi des Jeunes
Marins, mais le bien est déjà fait : de nombreuses yoles sont
construites au Canada, aux États-Unis, en France, en Belgique, en
Grande-Bretagne et en Irlande, et même jusqu'au Danemark et en
Russie...
Actuellement, il existe un peu plus de
30 yoles de Bantry en France et 80 dans le monde, qui appartiennent à de nombreuses associations participant
à des régates un peu partout en fonction des événements
nautiques.
Pour ma part, j'ai croisé le chemin de
la yole de Dunkerque entre le lycée et la fac, pendant une année où j'étais sorti du système académique avec le bac en poche et avais besoin de bosser un peu. Une connaissance m'avait parlé de ce boulot de voile sur un bateau appartenant à un centre de formation technique, mon recrutement s'est passé très vite et hop, j'étais à bord.
Mais alors, c'est quoi donc une yole de
Bantry ?
Oui parce que ça peut être
intéressant aussi ça. Déjà il faut savoir plusieurs choses. Le
mot « yole » existait déjà avant qu'il ne désigne la
chaloupe-amirale (donc la première) de la Résolue en 1796. Une
yole, basiquement, c'est un bateau plus petit et plus étroit qu'une
chaloupe, propulsé à la voile et/ou à l'aviron.
Alors clairement, ça l'oppose au
canot, qui est plus petit et mû par des rames, et à la chaloupe,
qui est plus grande (souvenez-vous des gros machins du Titanic où on
peut caser 50 personnes sauf qu'on en met que 20 parce qu'on mélange
pas la première classe et les grouillots, faut pas déconner, les
pécores coulent avec le paquebot, non mais ho) et également
propulsée à l'aviron.
Il faut savoir également que la taille
d'une chaloupe varie en fonction de la taille du navire dont elle
sert d'annexe – ça va de soi – ce qui fait que les chaloupes à
l'époque de la navigation à voile n'étaient pas aussi grosses que
dans l'ère de la vapeur.
Enfin, je précise qu'il y a plusieurs
types de yoles, l'appellation recouvre plusieurs bateaux, dont
notamment la Yole de Ness, je dis ça parce qu'on en avait deux en
plus de la yole de Bantry à l'atelier. La yole de Ness basiquement
c'est un gros canot propulsé par voile/aviron à deux gréements
(deux voiles), d'après peu près 7 mètres de long et pouvant
accueillir 4 à 6 équipiers dont 3 rameurs qui tiennent deux avirons
chacun.
Pour en revenir à la yole de Bantry, ou yole 1796, elle fait
donc un peu plus de 11 mètres (Wikipédia dit 11,64) pour à peu
près deux de large et possède dix bancs de nage – c'est-à-dire
qu'il y a 10 rameurs à bord. Le mien par exemple, c'était le 5,
plus ou moins au milieu. Les rameurs sont tournés vers l'arrière du
bateau, donc de dos à la direction où ils vont, et chaque aviron
est tenu par un rameur sur le bord opposé. Autrement dit, les
avirons de tribord sont maniés par les rameurs de bâbord, et
inversement.
1. et 2. pieds de mât de misaine et de taillevent, 3. cabillot (c'est un taquet pour fixer un cordage), 4 sellette, 5. taquet (crochets de bois pour fixer l'écoute de taillevent en fonction de la position de la voile par rapport au vent, y'en a sur les deux bords), 6. plat-bord, 7. safran, 8. portières (d'aviron)
L'équipage de Profils pour l'Avenir,
la yole où j'ai travaillé, compte 12 personnes : les rameurs,
le chef de bord qui est à l'arrière et qui commande la yole,
autrement dit le rythme de nage et la direction avec le gouvernail,
ainsi qu'un brigadier avant qui, derrière le premier nageur,
s'occupe de l'amarrage, du mouillage (l'ancre. En vrai on dit pas
l'ancre, on dit le mouillage.) et de surveiller les alentours pour
éviter les collisions (il utilise notamment pour ça une gaffe.
C'est un genre de harpon, mais pas pointu).
Là où ça devient lol, c'est que la
mise en place des dix avirons est parfaitement synchronisée, et que
leur rentrée l'est également quand on passe à la voile. Ça
demande un coup à prendre au début, pour éviter de mélanger et
cogner des trucs qui font bien quatre mètres de long... Une
fois tous les avirons rentrés et les mâts sortis, chaque rameur
assume un poste individuel, habituellement toujours le même pour des
raisons d'efficacité, mais le chef de bord peut aussi faire tourner
les postes pour voir qui est meilleur à quelle fonction.
Niveau gréement, la yole est propulsée
par trois voiles : la misaine à l'avant, le taillevent au
centre, et le tape-cul, une petite voile placée au-dessus du safran
(le gouvernail), à l'arrière. On hisse le mât, et on l'immobilise
en refermant un gros anneau fixé au banc contre lequel il s'appuie. Puis on sort les
vergues (les barres auxquelles sont suspendues les voiles) de sous
les bancs et on dénoue les bouts (ça se prononce « boute »)
qui maintiennent la voile (parce que quand elles ne sont pas utilisées, les voiles sont enroulées et nouées contre leur vergue). Puis on accroche la vergue au rocambeau (un anneau mobile autour du mât), on la hisse
en tirant à fond sur la drisse, la corde qui fait levier. L'anneau
monte et emporte la vergue, entraînant la voile. On est manœuvrant.
1. misaine, 2. vergue, 3. rocambeau, 4. mât de misaine, 5. taillevent, 6. drisse de taillevent, 7. poulie (c'pas obligé en vrai nouer la drisse autour du banc suffit), 8. tape-cul. Ce dernier est manœuvré par l'un des rameurs aux côté du chef de bord, qui tient la barre. |
Les deux voiles doivent être hissées en même temps, ce qui suppose que les deux vergues soient sorties et accrochées au même moment après que les mâts aient été hissés de concert.
Puis les deux rameurs chargés des
écoutes (les cordes qui contrôlent la position de la voile par
rapport au vent) attrapent ces cordes et s'installent. On peut
bouger. Mon poste à moi ? La drisse de taillevent. Quand la
vergue est accrochée, j'attrape la drisse, je monte sur le banc et
je saute au fond de la yole pour hisser vite et fort, puis quand la
voile est au sommet du mât, j'enroule la drisse autour du banc, bien
serré avec un nœud (ça fait super mal aux doigts) pour être sûr
que vergue et voiles ne retomberont pas. Et au moment des régates,
les compétitions, j'étais le mateloteur aussi. Je représentais
l'équipage dans les épreuves de nœuds et j'ai jamais failli, à
l'époque je savais faire un nœud de chaise les yeux fermés (pour
m'être entraîné, zyeux fermés donc, dans le camion de Dunkerque à
Troyes ^^).
J'admets, c'est beaucoup plus facile
d'être à la voile qu'à l'aviron, plus personne ne bosse à part le
brigadier avant, le chef de bord, celui qui gère le tape-cul et les deux gars aux écoutes ^^
Cette photo a été prise dans le golfe du Morbihan, pendant la compétition de la Semaine du Golde 2007, à Vannes.
On me voit pas parce que je suis de dos sous ma casquette beige (on les avait gagnées en remportant la régate de Troyes un mois plus tôt). Le capitaine est le petit avec le gilet orange (une légende vivante des yoles françaises et internationales, qui a fait ses armes EN IRLANDE, qu'on se demande pas d'où vient mon amour de ce pays ^^) et le type en jaune à gauche est le chef de nage (c'est lui qui a le dernier aviron, à l'arrière, et qui donne la cadence à tous les autres rameurs derrière lui).
Olivier, le capitaine, a toujours été un homme calme et rassurant, beaucoup d'humour, jamais énervé. J'ai toujours été impressionné par son expérience de la navigation, son assurance, il doutait jamais de rien, nous avait gagné des compétitions par son excellent rôle de capitaine. Jeff, le premier rameur, était aussi un mec adorable, très drôle, c'est probablement de lui que me vient mon affection pour les anarcho-écologistes ^^
Donc ouais, c'était ça mon boulot
pendant pratiquement un an, naviguer au large de Dunkerque.
Enfin non, ça c'est à la belle
saison, parce qu'avant ça, on rigole pas.
On était dans l'atelier
pour l'hivernage : le navire est poncé jusqu'au bois, on
enlève toute la peinture, et pareil pour la lasure (le vernis) sur
les avirons, le safran, les vergues, les bancs de la yole, le plat-bord, enfin
tout quoi. Ensuite on remet tout en bon état, on vire les échardes,
les coups, on renforce éventuellement les avirons brisés ou fendus,
on remplace le cuir des portières, les ouvertures carrées où
reposent les avirons en manœuvre, en mettant de beaux clous en
laiton tous neufs, et finalement on repeint et on re-lasure tout.
Dans l'atelier il faisait super froid.
Sol et murs en béton, de grandes portes en bois, isolation
en option ^^ Allongé à même le sol en bleu de travail, sous la
quille du bateau suspendu au plafond par des chaînes, pour tout
poncer avec masque et lunettes, puis repeindre, c'était pas la joie,
mais une fois mars revenu et le bateau remis à l'eau, quel plaisir
^_^
Le lac d'Orient, à gauche, près de Troyes. On a du mal à croire qu'un endroit aussi magnifique puisse être planqué quelque part à quelques centaines de kilomètres de Paris.
Bon, sinon, on a aussi participé à
des régates. Mars en mer, gelés et trempés jusqu'aux os, dès 8h du
matin au port, en une occasion pour une journée de navigation
aller-retour entre Malo et Gravelines (ce jour-là il avait tellement
plu qu'à la fin on était plus manœuvrants du tout, la yole était
pleine de flotte ^^), la côte dunkerquoise par l'eau, c'était de
l'entraînement.
Au mois d'avril, direction Troyes et le
magnifique Lac d'Orient pour une petite compétition à trois
équipages, et surtout au moins de mai, la Semaine du Golfe, Vannes
et le Mor Bihan. Vingt yoles, plusieurs équipages bretons, des
Marseillais, une yole de Loire, de nombreux navires tous plus beaux
les uns que les autres.
Une épreuve de vitesse disputée avec
acharnement, une épreuve d'enduro qui a duré l'essentiel de la
journée et nous a fait traverser tout le golfe d'est en ouest, depuis Vannes, et
finalement la victoire de la yole dunkerquoise, juste devant Fille de
Loire puis un équipage breton ^^ Et surtout ces deux souvenirs
mémorables.
J'me souviens parfaitement de ce jour. On était à Port-Blanc, donc du côté de Baden, face à l'île-aux-Moines, c'était avant le début de la régate (compétition) des yoles. On était genre la première yole à sortir naviguer, tous les gens sur la côte nous voyaient. On avait essayé de sortir en mer, j'ignore si c'était l'intention du cap' de nous amener à l'Atlantique, mais c'est l'endroit où l'océan s'engouffre dans le golfe, y'a un courant de taré. On avait ramé et tiré comme des malades sur nos avirons (en plus des voiles), le mien à un moment était courbé genre à 45° (je rappelle, avirons en bois, cassables. Mais souples XD), et au final après une heure d'efforts, on avait... reculé d'une bonne centaine de mètres XD
D'abord, le jour de la fin des régates des yoles, avant
l'annonce des résultats, ce navire à peu près dix fois plus gros
que notre bateau, qu'on a pris en remorque pour lui faire remonter
une partie du canal de Vannes sous les yeux ébahis des gens sur les
quais... imaginez une yole tracter un navire trois fois plus haut et
plus long, un voilier traditionnel avec gréement et tout, à la
force des bras de son équipage XD Bon, faut admettre, c'est facile,
une fois que le mouvement est lancé y'a qu'à le maintenir... mais
faut le lancer quoi ^^
Ensuite, la Grande Parade,
traditionnelle conclusion de la Semaine du Golfe, le dernier jour.
Tous les navires qui se rejoignent à l'ouest pour remonter tout le
golfe en procession, dans le sillage de la Recouvrance et du Renard,
et tous les gens venus observer depuis les nombreuses îles bretonnes
les plus proches. Malgré les merdes en plastique et à moteur, la
voile traditionnelle était superbe pendant la Semaine du Golfe 2007
^^
La Recouvrance, réplique d'une goélette de 1817, construite entre 1990 et 92 et mouillant à Brest. Imaginez ce navire, avec un millier d'autres derrière dont trois ou quatre aussi gros ou presque, remontant un golfe et circulant entre les îles sous le regard de milliers de passionnés et de touristes ^^
Cette année-là y'avait aussi le Renard, par exemple. Réplique d'un cotre de 1813 lancé par le corsaire Surcouf, construite pour un lancement en 1991, avec Saint-Malo comme port d'attache.
Alors ouais, à 18-19 ans j'étais un
gamin, c'est sûr, mais pendant presque un an j'avais un travail qui
consistait à faire du bateau et à prendre soin de la bête avec une
dizaine d'inconnus auxquels je me suis bien attaché pour certains.
Si j'adore l'océan, la navigation et
les bateaux, c'est pas pour rien, et c'est le genre d'expérience qui
file des bons souvenirs et des valeurs solides. La convivialité de
milliers de personnes qui se réunissent une semaine par an pour
fêter leur amour de la voile traditionnelle, de la fête et de la
culture bretonne, c'est contagieux. La volonté de s'inscrire dans la
continuité d'un navire dirigé avec passion, via un boulot
sympa, faire mieux que les collègues des années précédentes face à des marins expérimentés et passionnés,
entretenir la réputation d'invincibilité de la yole dunkerquoise et
de son remarquable capitaine, ça marque aussi.
Et puis surtout l'entraide, la
confiance, la découverte d'une culture et d'un univers nouveau, dont
on ne savait rien du tout. Ouais, j'ai adoré cette expérience et
même si j'ai pas prévu de rebosser dans la navigation, je suis ravi d'y avoir participé. Dites-vous
que la voile traditionnelle, les navires de bois, pour le loisir ou
le travail, sont encore bien vivaces grâce à des passionnés, face
au pastique, au métal et au moteur ^^
La Grande Parade !
Ouaiiis, je suis pas hyper à mon avantage là, sûrement le vent dans la tronche. Et en plus vu que je suis pas concentré sur la manœuvre à tous les coups 'devait y avoir un autre bateau pas loin et j'le regardais genre anxieux. Cela dit on a toujours réussi nos passages à la voile, quelques secondes après la photo je chope la drisse et hisse et ho !
Ooooh ça gîte pas mal là, je sais que pour plein de navires ça aide à la propulsion mais pour une yole de Bantry c'est pas recommandé x) Enfin pas autant ^^ (on dit que ça gîte quand un navire penche sur le côté, et effectivement ça peut permettre de mieux aborder un courant ou choper un vent. Pour ceux qui se demandent, les bouts sur les voiles servent à prendre des ris, c'est-à-dire à enrouler le bas de la voile pour réduire la surface, donc la prise au vent, quand celui-ci est trop fort.)
Super article !! On se comprend sur l'amour de la mer *.* Même si moi je préfère y nager que ramer #aucuneforce
RépondreSupprimerEn tout cas ça devait être super comme expérience