Troisième volet de la série Movies'tory, cette fois consacrée au roi George VI Windsor, et plus particulièrement au film The King's Speech de Tom Hooper, sorti en 2011, qui place ce monarque au cœur de son intrigue.
Alors que deux choses soient claires d'emblée : je nommerai systématiquement ce film d'après son titre original, d'abord parce que je ne l'ai vu qu'en VOST au fil des années (au ciné et je l'ai en dvd), ensuite parce qu'il est plus juste que le titre français (Le discours d'un roi), parce qu'en anglais "speech" c'est à la fois le discours et la manière de parler, la diction. Le double-sens, particulièrement judicieux pour un roi bègue faisant des discours à la nation, est donc inexistant en français.
D'autre part, je me suis un peu renseigné sur George VI, dont je ne connaissais pas l'existence, après avoir vu ce film, et il est désormais un de mes personnages préférés dans l'histoire de la royauté anglaise moderne (avec son grand-père, le francophile Edward VII, et son arrière-petit-fils Henry de Windsor mais si tu sais, le prince Harry !)). Pour le dire clairement, dans mon futur roman L'elfe d'acier, qui se déroule dans l'empire anglo-germain d'un futur uchronique, le règne du Roi Bègue est un des temps les plus marquants de l'histoire anglaise alternative que j'écrirai.
Pour ce qui est de The King's Speech, faut être lucides, on est là face à un cas d'école de récit hagiographique.
L'hagiographie, née durant l'Antiquité romaine mais particulièrement éprouvée à l'époque médiévale, c'est le récit de la vie des saints. On prend un personnage historique, on rédige la chronique de son existence et de ses actes, et on le dépeint de la manière la plus idéalisée possible. Peu importe qu'il soit connu ou non, et c'est pas grave s'il faut faire quelques modifications pour présenter cette altération idyllique de la réalité, l'essentiel c'est de créer un héros.
Le roi George VI et son épouse, la reine Elisabeth, le 26 juin 1938 à Londres.
Ironiquement, dans ce film, il n'y a pourtant pas grand-chose à changer, puisque le véritable George VI semble en effet avoir été un homme courageux et honorable, mort en 1952 à cause d'une santé fragile depuis des années, mais qui à aucun moment de la Seconde Guerre mondiale n'a envisagé de quitter Londres bombardée par les Nazis.
Je vais pas vous raconter The King's Speech, parce que vous l'avez peut-être déjà vu et si c'est pas le cas je vous recommande vivement de combler cette lacune vite fait, mais il débute avec l'Exposition Impériale de 1925 dans le stade de Wembley, et se termine par le premier discours de guerre du roi George en 1939.
Entre les deux, The King's Speech s'attache tout autant à bâtir une relation d'amitié de plus en plus familière entre le duc d'York, Bertie, et son orthophoniste, l'Australien Lionel Logue (joué par l'Australien Geoffrey Rush - ce film a carrément un casting de malade !) qu'à mettre en évidence la froideur de celle qui lie Bertie et son frère, le Prince de Galles David Windor.
Prince de Galles étant le titre traditionnel du premier héritier au trône (actuellement c'est Charles) et Duc d'York par tradition celui attribué au second fils du monarque (actuellement c'est Andrew, frère de Charles).
Lionel Logue, l'orthophoniste du roi George VI, incarné à l'écran par l'acteur australien Geoffrey Rush.
Le truc c'est que dans la réalité, dans la société anglaise encore conservatrice d'entre-deux-guerres, à fortiori dans le milieu de la noblesse britannique, la familiarité n'était pas de mise, et jamais Lionel Logue n'a appelé le duc "Bertie".
D'ailleurs, parlons-en, de conservatisme : la crise monarchique de 1936, qui intervient dans l'année même de la mort de George V et donc de l'avènement d'Edward VIII (nom de règne de David), est présentée dans le film comme résultant d'une impasse : David veut épouser Wallis Simpson, une roturière américaine deux fois divorcée, et dont les deux maris sont encore vivants - ce qui est contraire aux lois de la religion anglicane.
Dans les faits, le mariage d'Edward VIII et Wallis aurait été tout à fait possible durant le règne de celui-ci : il a même été proposé (par les leaders politiques anglais et l'archevêque de Canterbury, je crois) que soit préférée une union morganatique : c'est-à-dire que Wallis Simpson aurait été l'épouse du roi, mais pas la reine. Sa compagne, mais sans aucun pouvoir ni aucun statut nobiliaire. Ce que le roi refusait totalement.
Autre problème qui est à peine évoqué par le film : Wallis Simpson était courtisée par Ribbentrop, ambassadeur d'Allemagne Nazie au Royaume-Uni, notamment pour sa grande sympathie envers les thèses nazies. Le roi d'Angleterre, de son côté, était plutôt favorable aux séides d'Hitler. Du coup, ça ennuyait vraiment la haute société anglaise d'être dirigée par un monarque qui ne cachait pas sa sympathie avec un régime totalitaire.
Le duc Edward de Windsor (David) et son épouse Wallis Simpson, reçus par Hitler en Allemagne après l'abdication de l'ancien roi. Des enquêtes ont mis au jour le fait que, durant la Seconde Guerre mondiale, le couple était activement favorable à l'Allemagne Nazie et a œuvré pour dissuader les États-Unis de s'engager dans le conflit. Edward aurait même proposé au Parti Travailliste de devenir le président d'une république d'Angleterre.
Le fait est, incontestable, qu'après son abdication, lui et son épouse ont été bannis du Royaume-Uni et interdits d'y séjourner : ils ont vécu principalement en France, mais Edward a été relégué au poste très secondaire de gouverneur des Bahamas pour ne pas être utilisé dans la guerre par l'Allemagne Nazie.
Alors effectivement, le gouvernement britannique menace de démissionner (c'est quelque chose d'assez perturbant pour secouer toute la société, surtout à une époque où l'Allemagne était déjà connue pour n'être plus, loin de là, un État libéral), mais les implications sont plus larges que ça.
Les relations anglo-américaines étaient pas géniales (notamment à cause de krach de Wall Street), certains américains étaient ouvertement pro-nazis (genre, au hasard, Henry Ford, et même Walt Disney qui n'était pas à proprement parler pro-nazi était quand même raciste et antisémite, et il a contribué au maccarthisme par son anticommunisme et ses délations), et l'institution de la monarchie anglaise n'avait pas la meilleure image auprès de la population.
Bref, la crise n'arrangeait rien ni personne.
Dans le film, tout est présenté comme étant naturel et allant de soi, et c'est largement idéalisé, à l'exception de David qui renonce volontairement à la couronne au profit de son frère.
Avant sa mort, le George V de Michael Gambon est montré comme préparant son cadet à régner, parfaitement conscient que son héritier est défaillant : en réalité, le vieux roi n'envisageait pas d'autre successeur que David (pas plus que David lui-même ou Bertie). Pour ce qui est des problèmes de santé du Duc d'York, ils sont parfaitement avérés.
En revanche, toujours dans la visée hagiographique et patriote du film - je rappelle que Tom Hooper est britannique - il y a un autre personnage qui est modifié : le Winston Churchill joué par l'excellent Timothy Spall.
Timothy Spall (Winston Churchill) reprend bien les mimiques et la manière de parler du ministre anglais qui, contrairement à ce que le film énonce (une langue trop large qui tombe mal, ce qui n'était pas rare, certains rois d'Angleterre ou d'Écosse médiévales en étant également affligés), semble plutôt avoir été bègue (jusqu'à son traitement). Son costume reflète également la réalité historique, mais la position du Conservateur dans la crise d'abdication est radicalement transformée.
The King's Speech présente le politicien conservateur comme principal instigateur de la transition entre Edward VIII et George VI, cependant que l'archevêque de Canterbury serait favorable au premier. Dans la réalité, l'ecclésiastique était impitoyable avec le roi abdiquant, critiquant son abandon face aux responsabilités de la charge et de la morale chrétienne et se réjouissant que le sacrement de son frère soit un événement prometteur.
Churchill, lui, était comme son parti : conservateur. En plus, il n'avait alors pas le pouvoir car il était retiré de la vie politique et consacré à l'écriture (d'une biographie d'un illustre ancêtre). Du coup, il ne suivait les actualités que de l'extérieur et, au moment de la crise, il semble avoir fait mine d'appuyer ses collègues contre le roi Edward (David), avant de soutenir celui-ci. Autant dire qu'après coup, ça ne lui a pas servi, et il n'a été rappelé qu'à la déclaration de guerre (1939) à son ancien poste de Premier Lord de l'Amirauté (ministre de la Marine, qu'il avait déjà en 1914-18).
Bref, présenter la réalité de manière fidèle aurait montré Churchill comme partisan d'un roi qui préfère l'amour d'une Américaine quasiment nazie à son devoir de chef d'État. Churchill, c'est le héros de la défense nationale, il fallait le filmer sous un bon jour - d'où le zoom qui est fait sur lui pendant le discours du roi George quand il est question de la guerre qui ne peut plus être limitée au champ de bataille. Rapport à son discours, "nous nous battrons sur les plages, nous nous battrons dans les rues et dans les champs..."
La reine Elisabeth et derrière elle le roi George VI durant la Seconde Guerre mondiale, faisant une tournée dans la ville bombardée de Londres pour soutenir le moral populaire.
L'histoire de Lionel Logue, en revanche, semble assez fidèle à la réalité : un Australien (quoiqu'il avait perdu presque totalement son accent au moment de sa rencontre avec Bertie, alors que Geoffrey Rush... bon ^^) travaillant comme orthophoniste pour les riches comme pour les pauvres et probablement passionné de théâtre. A Perth (Australie), il a notamment enseigné la diction (la technique de la parole), le jeu théâtral et l'élocution (l'art de parler en public).
Il a en outre été anobli par son intégration à l'Ordre de Victoria (Membre en 1937 et Commandeur en 1944), et est resté ami avec le couple royal jusqu'à sa mort en 1953, un an après celui de George VI.
Que retenir, du coup, de ce film ?
Eh bien, outre que c'est un long métrage de grande qualité, à la fois par sa réalisation, son casting, sa musique d'Alexandre Desplat (COCORICOOOOOOOO, VIVE LA FRANCE !), c'est également, je l'ai déjà dit, un cas d'école de la narration hagiographique. Le réalisateur est britannique, le personnage central est un chef d'État emblématique de l'histoire anglaise, le casting est anglais ou australien pour coller aux rôles interprétés bref, on est totalement dans la glorification de l'histoire nationale.
Mais de manière soft et élégante, pour mettre en valeur un homme honorable et héroïque, guide de la nation dans une époque troublée. On est très loin du patriotisme américain vulgaire, putassier et généralement armé jusqu'aux dents.
Bref, c'est à la fois un excellent film et une bonne histoire sur George VI. Boboulo, comme disent les chocobos.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire