Film d'animation français de Jean-François Laguionie (2011) avec les voix de Jessica Monceau, Adrien Larmande, Thierry Jahn, Thomas Sagols, Céline Ronté.
Genre : drame.
Dans son tableau, Lola est une Pafinie. En tant que telle, elle est la cible de l'arrogance des Toupins, qui habitent le château sur la colline et, étant les seuls sujets achevés par le Peintre, croient être sa plus belle création. Les Ruffs, enfin, sont des ébauches méprisées et chassées par les Toupins avec une grande cruauté. Mais Lola est inquiète : son amie Claire entretient une relation amoureuse proscrite avec un Toupin, Ramo.
Un jour, alors qu'il échappe à une attaque des autres Toupins dirigés par le Grand Chandelier, Ramo fuit vers la Forêt, une région sombre et dangereuse du tableau. Il y croise Lola et Plume, un Ruff, qui fuient eux aussi la menace. Bientôt, tous les trois parviennent aux limites du tableau et décident d'aller chercher le Peintre.
Très sincèrement, j'ignore comment j'ai découvert l'existence de ce film. A une époque j'étais persuadé que c'était une dessinatrice qui m'en avait parlé sur Twitter, mais elle-même m'avait dit que c'était moi qui le lui avais fait regarder. Mais bon, qu'importe.
Le Tableau est donc un film français dans la plus pure tradition de ce fait de mieux notre beau pays : de l'animation tellement belle, riche et intéressante qu'elle fout en PLS la moitié du monde en dehors de Disney, Pixar et Ghibli. Bim.
La narration n'est certes pas originale - et si les tableaux étaient des mondes persistants et leurs sujets des êtres conscients, ça rappelle Toy Story et les jouets ou Les Mondes de Ralph avec les jeux vidéo - mais elle demeure plutôt inventive. Le fait que tous les protagonistes (sauf un ^^) soient des représentations picturales - et notamment un autoportrait - offre une réflexion sur la la réalité, les apparences et les sentiments. Quand vous êtes une figure peinte, êtes-vous réel-le ? Comment vivez-vous le fait d'être le sujet d'un nu ? Si vous êtes le portrait du peintre, à qui sont les sentiments que vous ressentez ?
Le fait que les personnages soient divisés en classes sociales permet également d'aborder la différence, la discrimination, le rejet, l'identité... c'est ouf en fait !
Ramo, Plume et Magenta, le Grand Chandelier et Lola.
Oui parce que le film est truffé de jeux de mots : outre les Toupins et les Pafinis que vous avez déjà décryptés, les Ruff viennent de l'anglais rough, ébauche, brouillon, et les courtisans façon Louis XIV sont dirigés par un chancelier. Et sans vouloir aller chercher trop loin l'usage de ce terme, la peine capitale en vigueur sous son gouvernement est très symptomatique. Ou symbolique.
Cela dit, ça paraît logique, la grande force de ce film repose sur son esthétique. Déjà, c'est insensé à quel point il est beau et riche. Le tableau original, celui des Ruffs, des Pafinis et des Toupins représente une grande forêt avec un lac et un château d'inspiration louis-quatorzienne (mets ça dans un coin de ta tête s'il te plaît !), mais on trouve aussi, pêle-mêle, une scène de bataille, un portrait de nu, un autoportrait, un Arlequin et, en fait, tout un atelier plein à craquer.
Celui-ci, d'ailleurs, qui représente la "zone centrale" entre les tableaux, trône ainsi en bonne place dans le film. J'ai pensé la première fois que j'ai vu Le Tableau qu'il était filmé en prises de vues réelles (sur le modèle de Roger Rabbit ou de Space Jam, pour ne citer qu'eux), mais en fait non, c'est de l'animation ultra-réaliste. Ce qui fait de ce film un mélange de différents styles d'animation, un truc assez rare (on préfère généralement qu'il y ait une homogénéité visuelle, sauf nécessité narrative comme la chanson de Maui dans le Moana de Disney) que l'on apprécie également l'Anastasia de Don Bluth (séquence musicale à Paris).
En plus devinez quoi, les parties "peintes" dans les tableaux sont mêlées à de l'animation 3D qui souligne les mouvements et les reliefs des personnages. Le Tableau est un film avec des mélanges de styles d'animation dans des mélanges de styles d'animation !
Ramo dans l'atelier du Peintre, avec en arrière-plan Garance, la femme nue, Orange de Mars l'arlequin et l'autoportrait du Peintre.
De fait, le film est riche de références à la peinture du début du XXème siècle et notamment à Amedeo Modigliani, mais va également chercher des références plus lointaines. Les uniformes des soldats semblent être une hybridation des pantalons français de la Grande Guerre (1914) et de la période napoléonienne (le Premier), d'autant que les noms des subalternes - Magenta et Solférino - rappellent l'unification italienne à l'époque de Napoléon III.
Les Toupins et leur société sont clairement un écho à la cour de Versailles (c'est bon, tu l'avais mis dans un coin de ta tête ? ^^), tandis que les mélanges de couleurs vers la fin du film évoquent l'Italie de la Renaissance et le théâtre de Guignol - Orange de Mars, le jeune Arlequin, multiplie les jeux de mots ("je suis un arlequin-quinquin" "ils ne peuvent pas se voir en peinture" ^^). Pensez donc, on explore même un moment une Venise de carnaval ^^
La richesse artistique est la même concernant la musique : il est régulièrement fait usage de la harpe, de manière très feutrée, et un peu du piano ainsi que des vents, pour poser des atmosphères oniriques, de mystère ou de sentiments, mais les séquences plus animées (pardon, c'était pas fait exprès ^^) mobilisent des cuivres et des vents, tandis que j'ai eu, à chaque visionnage de ce film, l'impression d'une omniprésence du clavecin autour des Toupins (l'ancêtre du piano, parce que l'époque baroque et classique, tout ça). Sans vous spoiler, la fin du film est beaucoup plus contemplative, avec moins de musique et des sons d'ambiance, de vent (le vrai cette fois, pas le groupe d'instruments) et d'oiseaux.
Le doublage est d'ailleurs de très grande qualité, parce que le réalisateur et le producteur tenaient à appeler de jeunes interprètes du Conservatoire plutôt que des voix connues, ce qui crée un sentiment de chaleur austère à l'ensemble de l'œuvre.
En bref : Le Tableau est à mon sens un des films d'animation française les plus beaux et les plus intéressants qui soient. Son propos, ses enjeux et ses thèmes, l'identité, la différence, la réalité, l'illusion, le rejet, les sentiments, sont fort intelligemment mis en scène par un multivers aussi poétique qu'attrayant. Le cadre spatial étant réduit à un atelier discret, tout y est sobre et feutré. Y'a rien à dire, c'est juste adorable.
Non mais regardez à quel point c'est beau ptain o_O Tout ça c'est de l'animation !
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