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24.2.20

Dystopie, féminisme et patates de forain dans la gueule.


Dex.

Développé par : Dreadlocks Ltd.
Genre : action-rpg.
Date de sortie : mai 2015 sur PC, entre juillet et décembre 2016 sur Xbox One, PS4 et PS Vita.
Support : PC/Mac, PS4, Xbox One, PS Vita.

Harbor Prime, dans un futur proche. Dans cette cité hétérogène comme partout ailleurs, la population peine à vivre sereinement, entre les quelques nantis qui travaillent et vivent dans le riche quartier de Gratteciel et la majorité de la population qui se partage le reste de la ville en proie à la pauvreté et au crime généralisé. Tous en fait sont sous l'emprise du Complexe, une mafia qui contrôle secrètement la société grâce à sa mainmise sur les plus grandes entreprises mondiales, certains gouvernements et les forces armées.

Dex, une jeune femme solitaire et sarcastique, est un jour contactée par Raycast, un célèbre pirate informatique qui la prévient d'une menace imminente : ArmaGear, société privée de sécurité aux ordres du Complexe, a envoyé des assassins chez elle. Désormais, Dex n'a plus qu'une option : la fuite et la clandestinité.


Dex est un de ces nombreux jeux que je possède sur Steam sans me rappeler comment je les ai découverts à la base, et que j'ai, le plus souvent, achetés par attirance pour l'univers, la narration et la direction artistique. De fait, dans ma volonté de finir le plus de jeux possible, je rencontre donc assez souvent dans ma bibliothèque ce genre d'adorable petite surprise face à des jeux que je ne connais pas et qui se révèlent très vite vraiment intéressants.
Je vais évoquer son contenu plus avant dans la suite de l'article mais commençons d'emblée par un truc qui a attiré mon attention dès que j'ai fini le jeu (quand j'me suis intéressé à qui l'avait développé) : Dex est le principal titre de Dreadlocks, un studio tchèque qui, sur son propre site, affiche assez clairement une impeccable parité dans son équipe. De plus, fait notable et tout à fait intéressant, l'ensemble des membres de Dreadlocks semble assez jeune, et il s'agit probablement (comme souvent) de joueuses et joueurs qui doivent avoir une certaine culture vidéoludique en plus de leur travail - contrairement à plein de majors du jeu vidéo où les cadres sont des hommes et femmes d'affaires et de marketing plus que de pratique réelle du loisir.

Photo des membres du studio Dreadlocks, sur le site de celui-ci.

Ce qui me fait émettre ces suppositions est ceci : pendant tout le temps où j'ai joué à Dex, j'avais le sentiment assez clair que le titre était, à l'échelle de ma culture, un mélange entre la série Deus Ex et le jeu Flashback (sorti en 1992 et développé par Delphin Software, un studio français qui a fermé en 2004).
Alors certes, l'univers des dystopies et de la SF en jeu vidéo est assez vaste, mais concernant Dex, il s'agit à la fois du gameplay lui-même et de l'esthétique générale qui m'a rappelé ces deux titres. Bien sûr, il ne s'agit pas de plagiat, mais on sent tout de même en jouant à Dex, si on connaît au moins la série Deus Ex, que les gens de Dreadlocks ont également joué à ces jeux et ont voulu reproduire dans leur œuvre ce qui leur avait plu.

Mais si tu connais sûrement Flashback, c'est ce jeu qu'on voit souvent dans la section retro-gaming des conventions et dans lequel personne n'a jamais dépassé le premier niveau, celui de la jungle (en vrai je suis allé jusqu'au second, le retour sur la Nouvelle Terre, mais il faut que je reprenne le jeu à l'occasion).

Pour ce qui est du gameplay pur et dur, donc, on est ici face à un jeu d'action doublé d'un RPG en 2D et en vue de côté - plus clairement, les décors sont "plats" et on se déplace de haut en bas, de droite à gauche, mais pas en profondeur - exactement le style qui avait été celui de Flashback en fait. L'univers de Dex, en l'occurrence la ville d'Harbor Prime, est très ouvert à l'exploration assez tôt dans le jeu et de nombreux personnages secondaires offrent des quêtes annexes d'un quartier à l'autre, autour d'une intrigue principale qui, elle, est centrée sur un lieu unique (la planque d'un hacker).
C'est d'ailleurs un de mes rares reproches au jeu : la quête principale ne représente vraiment pas grand-chose par rapport aux nombreuses quêtes annexes : fidèle à mon habitude, je l'ai laissée de côté pendant un moment pour explorer et fouiller, et après avoir aidé plein de monde et gagné quelques niveaux, j'me suis intéressé à l'intrigue, et à peu près deux heures de jeu plus tard, Dex était fini XD
Bon après, la durée de vie est très correcte pour un titre indépendant qui, hors soldes Steam, ne coûte que 20 euros (c'est-à-dire qu'en promo vous pouvez espérer l'avoir pour moins de la moitié), puisqu'il m'a fallu 12 heures pour le terminer, considérant au passage que j'ai pris pas mal de raccourcis.


En effet, puisque Dex est aussi un RPG, son gameplay est construit sur quelques compétences qui offrent une possibilité de personnalisation assez grande aux joueuses et joueurs dans leur progression. Et là encore, fidèle à mon habitude (et ayant remarqué tôt dans le jeu une porte verrouillée de niveau 2), j'ai balancé mes points en Crochetage dès que possible pour fouiller les maisons, les coffres, les ordinateurs au point que, pour résoudre certaines missions d'enquête, j'avais déjà les infos requises avant qu'on me les demande.
C'est une autre chose que je pourrais reprocher à Dex, d'ailleurs : certaines compétences sont quasi-indispensables (Crochetage, Endurance, Piratage), mais d'autres sont très dispensables (Réalité Augmentée ou même Charisme), et il en va de même pour les Augmentations. Oui parce que, comme on est dans un univers cyberpunk, et c'est un autre point commun avec la série Deus Ex, il est aussi question de transhumanisme et d'améliorations cybernétiques et là encore, si certaines sont indispensables (Jambes Artificielles, Respirateur, et j'aime autant vous dire qu'une fois qu'on régénère les points de vie, le jeu devient beaucoup plus facile), d'autres sont purement accessoires (l'augmentation de PV par exemple, qui fait doublon avec la compétence Endurance).

Compétences et augmentations cybernétiques sont assez nombreuses dans le jeu, mais malgré la mise en garde selon laquelle il n'est pas possible de tout obtenir, certaines sont juste inutiles, ce qui permet de se reporter sur les autres. D'ailleurs, sur ces images, je suis à la toute fin du jeu, donc même si j'ai pas mal monté la compétence Armes à feu, j'en ai pour ainsi dire pas fait l'usage, j'ai fini le jeu à la force des poings de Dex.

Quoi qu'il en soit, pour ce qui est de l'adversité, on est bien servi·e dans ce jeu : les ennemis sont nombreux, très présents et s'il est possible d'utiliser les armes à feu (au risque de payer cher les munitions) ou les poings (ou les deux) ainsi que la Réalité Augmentée - une originalité de Dex pour assommer les adversaires avant de les finir - la difficulté reste régulière de bout en bout. Déjà, il y a des adversaires bien plus costauds que la moyenne (et qu'il n'est pas possible d'exécuter discrètement), ensuite à peu près un type sur trois est armé d'un flingue et possède une bonne portée de tir. Bien sûr, il est possible de la jouer totale furtivité, mais personnellement, j'ai trouvé VRAIMENT très jouissif, à mesure que ma compétence de Corps à Corps s'améliorait, de tabasser les méchants à mort avec des combos, de puissants coups de pied et des ptites balayettes sournoises pour les faire tomber ^^

Le jeu est également bourré d'humour, notamment de la part de Dex elle-même, et j'en veux pour preuve cette quête qui consiste à rapporter à un collectionneur toutes les "antiquités" qu'on trouve dans le jeu. La référence aux Buggles à propos de la radio m'a fait hurler de rire x)

Parce que clairement c'est un des trucs que j'ai aussi beaucoup aimés dans Dex : le personnage principal est une petite meuf aux cheveux bleus avec un grand manteau façon Matrix, mais qui sinon ne paie pas de mine. Sitôt qu'elle a été chassée hors de chez elle, dans cette société cyberpunk, elle a tout à apprendre sur le milieu des hackers - ce qui rappelle un autre très bon RPG de SF, Shadowrun Returns - sur la meilleure manière de se défendre et de se repérer, et dans un milieu majoritairement masculin, balancer des coups façon Tifa Lockheart et des répliques sarcastiques est la marque de fabrique de Dex.
Marque de fabrique qui amène d'ailleurs une troisième référence que j'ai vue en fin de narration : alors certes, le scénario de Dex n'est pas si original que ça, la présence d'une entreprise malveillante qui gouverne en secret n'a rien de nouveau en SF, mais la dernière partie du jeu, plus inhabituelle, m'a furieusement rappelé la série Dark Angel et notamment son personnage principal, Max Guevara. Déjà, il y a la ressemblance des noms entre Max et Dex, mais également dans leur statut personnel par rapport à l'intrigue... je ne vais pas m'étendre plus avant sur le sujet parce que ce serait un énorme spoiler, mais celleux qui ont vu (et se rappellent) la série de James Cameron apprécieront le clin d'œil. Gardez seulement à l'esprit que le jeu baigne dans une ambiance féministe où les femmes sont représentées de manière variée, avec respect et souvent force (y'a qu'à voir Dex), et où il est assez souvent question d'émancipation, ce qui fait très plaisir.

Alors, comme vous le voyez sur la troisième image, certaines valeurs ne se perdent pas : dans le futur, y'a toujours des kebabs (et une quête annexe pour l'artisan-kebabier !).
Quant à l'Aphrodite... comment vous le décrire.... c'est un bordel. Un endroit où on va pour faire du sexe tarifé avec des femmes ou des hommes au service d'une bourgeoise tyrannique. Comme j'le dis, dans le futur, certaines valeurs ne se perdent pas.

Bref, à la fois dans son gameplay et son écriture, Dex remplit bien le cahier des charges de ses genres, la SF, le cyberpunk, le RPG et l'action (avec des combats nerveux, notamment au début, avant qu'on ait les moyens de se battre à armes égales), et j'ai trouvé très satisfaisant de constater que son esthétique était du même niveau. Sans être particulièrement révolutionnaire, elle est conforme à ce qu'on s'attend à voir : une ville écrasante avec de hauts bâtiments, des quartiers pauvres et même des friches industrielles qui servent de repère aux connards, et en opposition des quartiers riches et avec d'immenses enseignes en façades. La polarisation du gris et des couleurs lumineuses est à la fois attendue et appréciée, y'a un quartier chinois (deux en fait, l'un étant le revers de l'autre), on se croirait à nouveau chez Deus Ex.
Les effets visuels sont aussi assez réussis je trouve, bon en Réalité Augmentée l'écran se retrouve vite un peu chargé de virus et autres spywares, mais dans les séquences de piratage plus traditionnelles, qui se déroulent dans des labyrinthes numériques, l'action est plus lisible (parce qu'on est dans des salles et des couloirs) et rend très appréciable le fait de mitrailler pour dégommer les pare-feu et protections informatiques qui se dressent un peu partout ^^


Pour ce qui est de la narration enfin, le choix de la sobriété a été fait - après tout, on est toujours dans un jeu indépendant fait par un petit studio - mais il a permis un choix artistique vraiment joli et qu'on ne voit pas si souvent que ça, je pense - des plans presque fixes, entièrement dessinés, avec peu de mouvement et les dialogues par-dessus. Le travail sur les couleurs et le visage des personnages, ainsi que sur les cadres, est vraiment bien, on sent que chez Dreadlocks le talent des graphismes n'a pas été sous-exploité.


Dès le début du jeu : "y'a un mec derrière moi ? Tu veux que j'le défonce ?" Elle est intenable XD

En plus, les musiques du jeu, y compris les thèmes d'ambiance des différents quartiers, proposent une certaine variété de styles et de tons qui correspondent bien au cadre narratif et au récit. La mélodie qui accompagne le quartier du Centre-Ville, par exemple, a des sonorités qui rappellent les thèmes principaux de Deus Ex Human Revolution - c'est bête, je voulais vous mettre deux morceaux pour illustrer mes propos mais la bande-son de Dex sur Internet est incomplète, la version intégrale a été réservée aux gens qui ont soutenu le financement public du jeu, vous allez devoir me croire sur parole.
Le doublage, en anglais exclusivement (les textes sont en français) est lui aussi réussi avec quelques accents pour divers personnages, une personnalité bien exprimée par d'autres - notamment Tony, le hacker chez qui planquent les Gentils - et heureusement beaucoup de talent de la part de la comédienne qui double Dex.

Ouais, non seulement Tony est bourré de personnalité mais en plus, comme c'est un excellent hacker, il se kiffe et fait régulièrement des jeux de mots sur son propre nom. Peu importe l'œuvre ou l'univers, Tony et humilité ça doit pas aller ensemble.


En bref : petit jeu d'action-RPG indépendant et sans prétention, Dex parvient à marcher dans les traces des meilleurs du genre. Son gameplay en 2D et sa direction artistique trahissent certes les faibles moyens de son studio, mais ils ne font que compléter de manière très jolie et facile à prendre en main un style jouissif et rafraîchissant - des pains dans la gueule et des balles perdues - au service d'une narration courte mais intense. Et comme c'est un RPG, vous influez vraiment sur l'histoire. Bref, Dex est une formidable petite découverte que je recommande à tout le monde !

Voir aussi :
- un avis en anglais et en vidéo sur le jeu, qui laisse également entendre que Dex est à la croisée de Deus Ex et Flashback (comme quoi c'est pas juste moi).

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