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19.11.17

Movies'tory - Héros de la Résistance allemande.

Second article de la nouvelle série Movies'tory, consacrée à l'analyse de la fidélité historique des films à l'aune de ma modeste culture. Aujourd'hui on parle du 20 juillet 1944, du colonel-comte von Stauffenberg, mais surtout du film Walkyrie de Bryan Singer !


Autant l'avouer d'emblée, clairement : Walkyrie trône en bonne place dans la liste de mes films préférés. Je l'ai dit à propos du livre Stalingrad d'Antony Beevor, la 2GM est une des rares parties de l'époque contemporaine qui me plaît, et franchement je l'adore. Je suis pas belliciste, mais cette guerre me fascine.
En plus, ce film est totalement pété de classe d'un bout à l'autre. Je vais en reparler plus tard, mais déjà il a un casting de MALADE, la narration est très correcte et la mise en scène comme les décors sont super. L'équipe du film n'a pas pu tourner dans certains endroits importants comme le Bendlerblock, qui est le QG de l'Armée de Réserve, et de manière générale certaines institutions allemandes ainsi que les enfants du colonel Stauffenberg ont clairement exprimé leur désapprobation à l'idée que le héros de la résistance soit incarné par Tom Cruise, un scientologue, mais la plupart ont reconnu après coup que le film était très juste.


Bref, Walkyrie raconte donc l'attentat du 20 juillet 1944 fomenté contre Adolf Hitler par le colonel Claus von Stauffenberg, meneur d'un mouvement de résistance au sein même de l'armée et de la société civile allemandes, qui visait à assassiner le Führer afin de prendre le contrôle de l'Allemagne par l'exécution de l'opération Walkyrie.

Le général Henning von Tresckow (Kenneth Branagh à droite) et le colonel Brandt (Tom Hollander au centre) au quartier général du front de l'Est en 1943, peu avant une tentative manquée d'attentat contre Hitler, laquelle résultera sur le recrutement de Stauffenberg.

De par son propos, le film est forcément un peu compliqué. Il s'agit de mettre en évidence, dans le contexte précis de l'Allemagne Nazie, les relations entre l'armée régulière, l'armée de réserve, les officiers de réserve, les états-majors et le pouvoir politique.
C'est un des enjeux les plus persistants du pouvoir hitlérien, qui ressurgira jusqu'au célèbre Procès de Nuremberg entre 1945 et 1946, ainsi que dans les procès de dénazification après-guerre : quelle était la part de responsabilité de la Wehrmacht, l'armée, et de ses officiers, dans les crimes nazis ?

Beaucoup de hauts gradés allemands admettront après coup avoir détesté être aux ordres de "ce petit caporal autrichien" d'Hitler, connu pour être un piètre stratège. De manière générale, à l'exception de quelques uns comme Jodl, Keitel, Raeder ou Dönitz - à savoir deux maréchaux et deux amiraux, les quatre seuls militaires extérieurs au cercle personnel d'Hitler qui seront jugés à Nuremberg - les officiers se consacrent à la guerre et la Solution Finale est laissée à la charge des SS (et notamment de leurs commandos spéciaux d'extermination, les Einsatzgruppen).
Si on trouve des militaires dans le parti nazi et dans la SS, ce sont généralement des refoulés, des déchus et des opportunistes qui ont échoué dans la carrière et visent le pouvoir par le service d'Hitler (comme Goering ou Reinhard Heydrich).

La plupart des officiers et officiers supérieurs de la Wehrmacht, qui n'appartenaient pas, pour beaucoup, au parti nazi, tenaient Hitler pour un gros crétin et un incapable, en particulier à partir de la débâcle de Stalingrad, du front russe et d'Afrique du nord. Peu d'entre eux avaient vraiment le courage ou la volonté d'essayer de l'éliminer physiquement.
Tous les conjurés principaux de l'attentat du 20 juillet sont des militaires : ci-dessus, le seul civil est Karl Frierich Gordeler, à gauche. A noter également que David Schofield (assis à droite) ressemble incroyablement à l'homme qu'il incarne, Erwin von Witzleben.

L'opération Walkyrie et le manque de contrôle des Armées (de Terre, de l'Air et Marine) par le pouvoir politique mettent en valeur deux faits évidents dans l'histoire nazie :
 - Hitler avait en partie ou complètement négligé une espèce très spéciale de soldats, les militaires de carrière par tradition familiale, notamment aristocrates.
 - ils étaient très difficiles à contrôler et les nouveaux puissants, les nazis et la SS, se méfiaient en permanence de ces anciens dirigeants du pays.
Or justement, au cœur de la Résistance allemande qui manipule l'opération Walkyrie en 1944, on trouve des officiers de carrière, des militaires patriotes et traditionalistes pour qui Hitler est usurpateur sans talent qui cause la ruine de l'Allemagne, et qui ne veulent pas être associés ou voir l'Allemagne associée au crime industrialisé que constituent la guerre totale et le génocide.

Le simple fait de centrer le propos sur l'opération Walkyrie oblige donc, par souci de réalisme, la direction du film à multiplier les personnages et donc les rôles. Pêle-mêle autour de Tom Cruise, on trouve Bill Nighy, Kenneth Branagh (qui a déjà joué dans le téléfilm Conspiration sur la Conférence de Wannsee qui préfigure la Solution Finale), Tom Wilkinson, Carice van Houten, Terence Stamp, Kevin McNally, David Schofield, David Bamber, Tom Hollander, Eddie Izzard et même quelques Allemands avec Thomas Kretschmann (un de mes acteurs préférés de l'univers) ou Christian Berkel.
Ça fait VRAIMENT beaucoup de talent en un seul film.

Stauffenberg (Tom Cruise) et son supérieur Fromm (Tom Wilkinson) au moment d'aller faire présenter l'Opération Walkyrie modifiée à la signature d'Hitler, précisément afin qu'elle soit utilisée contre lui.

Bref, tous ces interprètes constituent l'ossature de la narration : la résistance, les membres du parti nazi, Hitler et son cercle privé.
Très fidèle à l'histoire réelle, Walkyrie montre comment l'état-major de l'armée de réserve était divisé entre le général Fromm, un opportuniste, et les résistants, le général Olbricht et les colonels von Stauffenberg et von Quirnheim, alors qu'elle était la base de l'opération. Est également évoquée, avec des frictions personnelles pour rendre l'histoire plus intéressante, la double-nature de la conjuration : Carl Friedrich Gordeler était effectivement un homme politique, non un militaire, tandis que les généraux Beck et von Witzleben étaient à la retraite, incarnant ainsi la partie dirigeante de cette résistance.
Le film montre également que les officiers de l'entourage d'Hitler, comme le colonel Brandt, peuvent avoir la préséance sur les officiers supérieurs de la Wehrmacht (comme les généraux Olbricht et Henning von Tresckow).

Pour des raisons de simplifications et pour rendre le personnage principal plus sympathique, le passé de Stauffenberg est totalement éludé : il n'est par exemple pas fait mention de sa sympathie première envers le nationalisme hitlérien - ressenti en outre par beaucoup de militaires de carrière qui, pour beaucoup, appartenaient à la petite noblesse. Il n'est pas précisé non plus que Stauffenberg trouvait parfaitement normal que les prisonniers de guerre et ennemis vaincus participent à la grandeur de l'Allemagne.
Tout au long du film, le personnage joué par Tom Cruise est présenté comme un héros dramatique, auréolé d'une mission sacrée et souvent assez calme ou rigide (par exemple dans la scène où s'abrite d'un bombardement avec sa famille).

Non parce que le vrai Stauffenberg, en tant que comte, était membre de l'aristocratie militaire allemande, respecté au sein de celle-ci, et en tant que tel, il était également patriote et conservateur. C'est moins par esprit progressiste que pour protéger son pays qu'il voulait éliminer Hitler.
Ci-dessus, au quartier général du Führer en compagnie de son conjuré le colonel von Quirnheim à droite (lui aussi aristocrate militaire par tradition familiale).

Cela dit, pour l'ensemble, il est assez réaliste, la vie du vrai Stauffenberg est moins modifiée qu'éludée. Ce film s'appuie beaucoup, avec justesse, sur les positions individuelles : Walkyrie souligne le rôle d'Erich Fellgiebel, responsable des transmissions à la Tanière du Loup chargé de couper celle-ci du monde après l'attentat, ou l'intervention d'Otto Ernst Remer, commandant de l'armée de réserve et nazi convaincu qui, le premier, reçoit d'Hitler l'ordre de se retourner contre les conjurés pour les anéantir.
Également central dans l'histoire, le général Fromm, qui fait abattre les conjurés le soir même de leur capture afin, ce n'est même pas éludé, de dissimuler sa propre complicité, et qui sera exécuté en mars 1945.

Même concernant le déroulement de l'attentat proprement dit, le film s'applique à respecter l'Histoire : la répugnance de Gordeler à assassiner Hitler est marquée d'emblée (il dit à Stauffenberg que, venant de la part d'un aristocrate, il s'attendait à un peu plus de noblesse) et gêne les tentatives - puisqu'il s'agit de tuer à la fois Hitler et Himmler.
Par la suite, lors de l'explosion fatidique, le rôle du colonel Brandt est lui aussi reproduit (par l'acteur Tom Hollander) : sans savoir ce qu'elle contient, l'officier déplace la mallette dissimulant la bombe contre le robuste pied de la table de bois, réduisant l'impact de l'explosion et sauvant la vie du Führer. D'ailleurs, Brandt fera partie des 4 seules victimes de l'attentat, et sera bombardé général de brigade à titre posthume.

Baraque de conférence lors de l'attentat du 20 juillet : le colonel Brandt, sans qui Hitler aurait été tué, est le n°4. Hitler est le n°1 et les deux autres grands personnages de la pièce, les maréchaux Jodl et Keitel, sont les n°23 et 24.

En fait y'a pas grand-chose de plus à dire sur Walkyrie, encore une fois y'a guère que concernant l'écriture de Stauffenberg et quelques autres que des libertés ont été prises, afin d'opposer radicalement les conjurés et les nazis, qui se rejoignaient pourtant sur certains points d'idéologie (conservatisme, patriotisme, militarisme).
Ah, par contre, lors de leurs réunions, les conjurés parlent de leur futur gouvernement et de fermer les camps de concentration, alors que de manière générale, la Solution Finale n'était connue que d'une poignée de gens, même au sein du parti nazi. L'administration allemande mettait un soin particulier à employer des euphémismes et des formulations imagées pour ne jamais parler d'extermination dans les rapports officiels.


Alors, Walkyrie de Bryan Singer est-il une adaptation fidèle de l'attentat du 20 juillet 1944 ?
OUI, totalement. En même temps l'événement en soi aurait été difficile à manipuler pour lui faire dégager une portée contemporaine, pour être appliqué à un autre contexte. Au moment du film, les États-Unis et par extension les nations occidentales sont dirigées par des chefs d'États qui font plus ou moins consensus, il n'y avait donc pas lieu de politiser la 2GM.
En plus, tout le monde déteste Hitler et les nazis, alors les voir en détestables tueurs d'héroïques résistants incarnés notamment par Bill Nighy et Kenneth Branagh (des acteurs que tout le monde aime ou au moins que personne ne déteste, pas comme Tom Cruise), ça crée pas la controverse.
Oui parce que Remer, le commandant de l'armée de réserve, nazi convaincu, tiendra après la guerre des propos négationnistes et ne regrettera jamais d'avoir écrasé la conjuration.

Bref, malgré ses enjeux militaires et politiques un peu complexes, le film vulgarise très bien : je le recommande à tout le monde autant pour ses qualités cinématographiques que pour l'Histoire qu'il apporte à un public qui ne la connaît généralement pas.

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