Green Book : sur les routes du Sud.
Film américain de Peter Farrelly (2019) avec Viggo Mortensen, Mahershala Ali, Linda Cardellini, Dimeter Marinov, Iqbal Theba.
Genre : road-movie historique.
Vu en VOST.
Le Bronx, New York, 1962. Tony "Lip" Vallelonga est videur dans un jazz-club et surtout très apprécié dans son large cercle familial et social Italo-Américain. Lorsque l'établissement où il travaille ferme pour travaux et qu'il doit chercher un autre emploi, Tony est recommandé comme chauffeur auprès du docteur Don Shirley, un pianiste afro-américain.
D'abord réticent, Tony est convaincu par un important salaire de l'accompagner dans sa tournée d'hiver pendant deux mois. Au programme : d'abord le Midwest, puis le Sud ségrégationniste...
Green Book a été une très agréable surprise pour moi : si j'en ai entendu parler de loin en loin pendant en fin d'année dernière (j'm'en suis rappelé à l'instant en venant de lire sur wikip' qu'il avait reçu l'Ocar du Meilleur Film, même si j'avais dit aux deux ami-e-s avec qui je l'ai vu que je le connaissais pas), je n'y avais pas prêté attention et il n'a été porté à ma connaissance que via l'invitation de deux proches à aller le voir ensemble.
Bon alors déjà : j'adore quand mes potes m'invitent à les rejoindre pour ce qui se révèle ensuite un excellent moment (ouais parce que c'était ce dimanche 17 mars, jour de la Saint Patrick, et comme y'a tout le temps de la bouffe dans Green Book, on a embrayé sur de la bière et des pizzas). Ensuite, même si tous les gens de mon entourage sont politisés (j'avoue tout, je baigne littéralement dans des cercles d'islamogauchiasses féministes et écologistes ^^), peu nombreux-ses sont celleux qui regardent régulièrement des films très politisés sur lesquels on peut discuter des heures ensuite (et vous me connaissez, j'adore parler culture).
Bref : le contexte même dans lequel j'ai découvert ce film a fait qu'il m'aurait été difficile de pas l'aimer. Maintenant, est-ce qu'il est bien ? Non. Il est génial.
En apparence, Green Book (titré d'après un guide du voyageur Noir dans le Sud des États-Unis, une sorte de Guide Michelin des établissements qui acceptent les Noirs) serait une redite de l'histoire classique avec deux personnages que tout oppose et qui finissent par devenir amis malgré leurs différences (*HUM-HUM*King's Speech*) sauf que là, les personnages sont assez complexes et à la fois très proches et très différents. Bon, pour le dire d'emblée parce que c'est pas anodin (y'a même à un moment réelle ou fictive je l'ignore, de Robert Kennedy, à l'époque secrétaire d'État à la Justice de son frère John), mais le film est adapté d'une histoire vraie.
Tony Vallelonga, Donald Shirley, ils ont réellement existé (ils sont décédés tous les deux en 2013), on trouve même parmi les scénaristes du film Nick Vallelonga, fils du personnage principal.
Alors comme on pourrait s'y attendre et comme on le lit souvent avec humour sur Internet, à un moment "ça tourne mal." Ce qui pourrait commencer comme une bonne blague (sans déconner t'as lu le titre de cet article ? ^^) se poursuit vite à peu près de la pire manière du monde, parce que le sud des États-Unis avec un Noir en 1962.
De fait, le plus intéressant dans cette histoire et ces personnages, essentiellement Doc Shirley parce que c'est surtout lui le moteur de la narration, c'est qu'on ne les connaît pas vraiment avant assez tard dans le film. Et en tant qu'auteur, j'adore ce principe de d'abord mettre un personnage en difficulté avant de le dévoiler pour montrer ce qui explique ses problèmes.
Ça tourne mal parce que, contrairement aux apparences, Doc Shirley, musicien génial et précoce qui pratique "de la musique de Blancs" (de la musique savante en fait, au contraire des mœurs de l'époque qui imposaient aux Afro-Américains la pratique du jazz, ce truc de nègre (mot vachement utilisé dans Green Book d'ailleurs)), ne sait pas vraiment ce que c'est d'être un Noir dans les États-Unis ségrégationnistes, dans le sens où il ne souffre pas matériellement et physiquement de cette condition - ce qui fait dire à Vallelonga qu'en tant qu'Italien qui galère dans le Bronx, il est plus Noir que lui.
Ironiquement et tristement, Doc Shirley se définit pourtant lui-même à un moment comme "trop Blanc pour être un Noir" (à la fois dans son statut et sa manière d'être), mais également "trop Noir pour être Blanc" parce que sans cesse ramené à sa couleur de peau par des Blancs dont il fait la distraction et la culture avec de la musique trop riche pour eux.
D'ailleurs en parlant de Blancs sudistes racistes, le traitement du Poulet Frit du Kentucky (KFC) dans le film...
Face à ce personnage très bien interprété par Mahershala Ali (Marvel's Luke Cage, Alita Battle Angel...), j'ai été très surpris de reconnaître Viggo Mortensen (Lord of the Rings, Appaloosa, A dangerous method...). De fait, même s'il est Danois, il joue très bien l'Italo-Américain, modifiant sa manière de parler, son accent aussi un peu, et acceptant de prendre 20 kilos pour le rôle (et on va pas se mentir, c'est pas du muscle).
En fait y'a souvent un préjugé qu'on a sur les gens pauvres et globalement peu cultivés selon lequel ils seraient moins intelligents que la moyenne, par manque de connaissances. Le personnage de Tony Vallelonga, parmi tant d'autres, prouve que c'est faux. Le fait de porter un regard très factuel et concret sur le monde et sur la vie peut donner un certain sens de la philosophie qui rend souvent très sagace, mais aussi très sincère, et on le voit à travers ce personnage.
Le mec, dans un premier temps, il est raciste, mais pas par conviction : c'est dans sa culture, c'est tout, comme confondre les Allemands et les Russes (le violoncelliste du trio de Doc Shirley est Russe). Du coup il fait écouter de la musique afro-américaine à Doc Shirley, est plein de préjugés, mais il est très honnête, presque naïf, dans ses postures, y compris par la suite dans son admiration pour le génie qu'est son patron. Et clairement, c'est un vrai plaisir de voir ces deux personnages dans leurs rapports changeants, surtout en contraste avec les Blancs du Sud, qui pour le coup sont sincèrement racistes et ségrégationnistes, ce qui donne parfois lieu à des scènes surréalistes - des travailleurs agricoles Noirs voient, hallucinés, un riche Noir servi par son chauffeur Blanc ^^
En bref : malgré un sujet délicat et des scènes parfois difficiles (enfin on n'est pas au niveau d'un 12 years a slave non plus), Green Book : Sur les routes du sud est un film à la fois léger, accessible et très agréable sur la relation entre deux hommes face à la ségrégation dans les années 1960. Il dépeint très bien ses personnages principaux, servis par des acteurs géniaux, et il est esthétiquement impeccable. Une merveille de 2018 que je recommande !
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