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26.5.19

C'est l'histoire de Disney qui nous surprend à chaque fausse-photocopie...


Aladdin.

Film de Guy Ritchie (2019) avec Mena Massoud, Naomi Scott, Will Smith, Marwan Kenzari, Nasim Pedrad, Navid Negahban.
Genre : aventure, fantastique, musical.
Vu en VOST.

Agrabah, un sultanat moyen-oriental, à une époque lointaine. Sur leur bateau, en pleine mer, un marin raconte à ses enfants une histoire incroyable et merveilleuse, celle d'Aladdin, un voleur orphelin qui croisa un jour au marché une jeune femme du palais dont il s'éprit aussitôt, et comment le jeune homme accepta pour séduire sa promise de s'associer au vizir du sultan, Jafar...


Bon alors on va reprendre les bases, comme ça ce sera simple. Quel est l'un de mes grands principes en matière de culture ? Si vous me suivez sur Twitter vous le savez peut-être, sinon c'est toujours utile de le rappeler : chaque œuvre culturelle doit idéalement être indépendante et le plus accessible possible à n'importe quel public. Le présent film doit pouvoir être découvert sans jamais considérer celui du même nom et du même studio (Disney) de 1992. C'est en essayant de garder cette idée en tête que je l'ai regardé au cinéma, même si à certains moments j'ai pas pu m'empêcher de me dire "ah, là ça va être le moment Ce rêve bleu" ou "j'espère que la chanson du Génie est bien !"
Et vous savez quoi ? Ça tombe bien, ce film marque très clairement sa différence avec son homonyme d'animation.

Je vais commencer par une évidence qui va sous-tendre tout mon propos au sujet de ce film : il est calibré pour les adultes. Les Disney, en animation comme en prises de vues réelles (Mary Poppins est un bon exemple) ont toujours plus ou moins spécifiquement visé les enfants, et c'est que depuis quelques années - notamment parce que le public de son second âge d'or, celui des années 1990, est devenu adulte voire a eu des enfants - que Disney se met à viser aussi les adultes.
Aladdin version 2019 est calibré pour plaire aux adultes, même si superficiellement il reste accessible aux enfants. Y'a une histoire assez simple, des personnages plutôt clairs, de l'humour, des chansons, les mômes vont adorer.
Seulement voilà.

J'en ai vu des films et des jeux vidéo qui invoquaient un univers moyen-oriental (les provinces rougegardes de The Elder Scrolls Online par exemple) mais là, ça pète tous les records de vie foisonnante, d'urbanisme resserré et de monumental en même temps.

Déjà, il commence par un plan-séquence. Numérique certes, mais plan-séquence quand même, avec des paysages époustouflants, des montagnes dorées par le soleil jusqu'à l'horizon (ouais parce que je rappelle que niveau reliefs, le Moyen-Orient et la Perse ce sont surtout des montagnes, on n'est pas dans le désert d'Arabie, malgré tout ce qu'on pourrait croire), une musique grandiose (limite bruyante dans ses intentions fantastiques) et de beaux effets visuels, ce qui n'est pas sans rappeler un autre Disney assez récent qui commençait lui aussi par un plan-séquence, Casse-Noisette et les Quatre Royaumes.
Et donc effectivement, comme le laisse entendre mon résumé ci-dessus, l'histoire est une mise en abyme puisqu'elle nous est racontée par un personnage joué par Will Smith et dont on découvre plus tard qui il est.

D'ailleurs parlons-en : mis à part l'acteur américain, le casting brille par sa pertinence, son talent et sa représentativité. De fait, parmi les interprètes de premier plan, "Aladdin" est égypto-canadien, "Jasmine" est britannique d'ascendance indienne, "Jafar" est néerlandais d'origine tunisienne, "le sultan" et "Dalia", la dame de compagnie de Jasmine, sont américano-iranien-ne. BAH OUI, Aladdin, quoi qu'on en pense, ce n'est pas et ça n'a jamais été arabe : à l'origine, le conte, tiré des Mille-et-une Nuits, c'est persan, le recueil a été compilé en langue arabe parce qu'il date du Xème siècle, mais à la base c'est totalement la Perse - un territoire qui d'ailleurs n'a jamais été conquis par les Arabes.
Du coup c'est pas déconnant, dans cette histoire, de voir des interprètes originaires d'Iran (au contraire).

En plus on va pas se mentir, Dalia est à mourir de rire, cette femme est un toon ♥
Là c'est pendant la séquence "Prince Ali" (très belle et bien montée au demeurant) en mode "meuf on est d'accord, celui-là il assure ?", avec Jasmine à droite et Hakim, chef de la garde d'Agrabah, à gauche.

En outre, le film est co-produit en Inde, et ça non plus c'est pas innocent. Du point de vue occidental y'a toujours eu un flou artistique entre les architectures (notamment palatiales) moyen-orientale et indienne, et cette confusion s'exprime dans Aladdin par les musiques et les danses : très souvent, on a l'impression de voir une production issue de Bollywood. Les chansons originales sont parfois réorchestrées avec 100% de patate (et d'orientalisme) en plus. Les chorégraphies sont collectives, rapides et parfois saccadées, c'est très impressionnant et beau à regarder.
Bref, le film est magnifique, il a des décors terribles, des costumes splendides, des musiques craquées, une mise en scène hallucinante. Qu'en est-il de son propos ?

Là aussi, c'est très intéressant et là aussi, c'est calibré pour les adultes. Il y a beaucoup de choses à dire dans ce film alors on évite les longues expositions inutiles : dès leur première séquence respective, Aladdin et Jasmine partagent déjà l'écran, instaurant un quiproquo assez pertinent, plus tard nourri par un personnage secondaire très drôle et intéressant, Dalia, la suivante de la princesse. Peu après, on nous expose un contexte plus large : quoiqu'assez fermement implanté dans son autorité, le sultan serait menacé par des royaumes voisins, d'où la nécessité de contracter des alliances, ce qui explique l'arrivée d'un prince étranger venu courtiser la princesse Jasmine.
En ce qui le concerne c'est un peu confus, il s'appelle Anders, un nom à consonance germanique, mais il est vêtu, entouré de gardes et doté d'une allure générale qui feraient de lui un Russe - même si au fond c'est pas invraisemblable sachant que les principautés à l'origine de la Russie médiévale maintenaient des rapports diplomatiques et commerciaux avec la Perse et plus tard l'empire ottoman (et puis on a aussi l'exemple d'Ibn Fadlân, un Arabe envoyé en ambassade en Bulgarie où il aurait rencontré des Varègues, donc des Vikings). Bon, on sait qu'il est là pour faire marrer la galerie, et ça marche bien.

Jafar est tellement bien écrit dans ce film, rien à voir avec le bouffon grotesque du dessin animé (qui perdait en prestance ce que Iago recevait en personnalité), cette scène est une des plus pertinentes.

Bref, tout ça pour dire que le contexte géopolitique posé par ce film constitue une partie de l'écriture du personnage de Jafar, lequel est doté en outre d'un lien direct avec Aladdin sur lequel repose une partie de l'enjeu du long-métrage. J'ai pensé en voyant Will Smith qu'Aladdin, le film, serait encore un one-man-show pour cet habitué du centre de l'affiche, mais non, il gravite dans l'intrigue à l'égard des autres, et c'est très intéressant.
Ajoutez à cela des propos assez critiques sur l'argent et le pouvoir de la part du Génie ("il n'y en a pas assez dans le monde pour te satisfaire"), une réflexion sur l'ambition et sur le féminisme incarné par Jasmine - sa chanson personnelle, Speechless, c'est totalement un Let it go où l'intelligence et la parole de la princesse font écho au pouvoir d'Elsa (les deux sont forcées de se contenir et de rester sages et dignes, les deux explosent avec flamboyance pour botter des culs) - et vous avez la recette d'un film génial que je recommande sans hésiter.
C'est bien simple, à la longue ça me gonflerait sûrement de revoir l'animé de 92, alors que celui-ci, je m'en lasserais pas ^^


En bref : entre les effets spéciaux, les décors, les costumes, les interprètes et l'écriture, ce film est impeccable. On peut le trouver un peu mièvre à l'occasion et les personnages se prenant très au sérieux à chanter parfois la bouche grande ouverte ça frôle le ridicule, mais globalement le divertissement est bon et intelligent. Et à nouveau, visuellement, WAW. C'est vraiment un remake, pas juste une transformation graphique de la part de Disney, et la démarche vaut le coup d'œil !

Voir aussi :
 - l'article de SweetBerry rédigé à propos d'Aladdin.

Non 'pis sans déconner tous les effets spéciaux et les mises en scène liés au Génie sont impeccables, déjà on sent que Will Smith s'est trop fait plaisir dans ce film, ensuite c'est à mourir de rire, enfin c'est incroyablement beau et rythmé. Meilleures chansons. Micdrop.

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