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31.12.19

Enfin un animé japonais qui se défend !


Psycho-Pass.

Créateur : Motohiro Katsuyuki et Shiotani Naoyoshi (réalisation) et Urobushi Gen (écriture) pour le studio Production I.G.
Origine : Japon.
Date de diffusion : entre octobre 2012 et mars 2013 au Japon (sur ADN, Netflix, J-One et France 4 en Occident).
Nombre de saisons : 2 saisons de 22 et 11 épisodes de 20 minutes chacun.
Genre : animé, science-fiction.
Vue en VOST.


Le Japon, dans un futur proche. La société est désormais parfaitement pacifiée et organisée par le Système Sybil développé par le Ministère des Affaires Sociales. En effet, cette puissante intelligence artificielle contrôle tout le pays, depuis les productions automatisées jusqu'aux carrières professionnelles des habitants en passant par leur état d'esprit et le risque qu'ils puissent devenir violents.

Celui-ci, mesuré par les scans oscillatoires placés dans les rues, est exprimé par le "Psycho-Pass", une valeur numérique qui désigne la probabilité que les habitants commettent des violences et deviennent criminels. Pour les en empêcher, la Sécurité Publique emploie des criminels dormants nommés Exécuteurs, sous les ordres des Enquêteurs que vient de rejoindre la jeune Tsunemori Akane.


Une fois n'est pas coutume, contrairement à la plupart des titres les plus connus de la japanimation, Psycho-Pass, la série du jour, a été un animé AVANT d'être adapté en manga, et c'est extrêmement significatif.
En fait, le système éditorial japonais est tellement concurrentiel que les mangaka doivent créer et produire en permanence, à un rythme infernal, ne serait-ce que pour pouvoir exister. Et alors qu'on pourrait croire que le succès permet de relâcher la pression, à cause du format épisodique c'est l'inverse. Une fois qu'une série a été révélée par une publication périodique, il faut travailler encore plus pour rester au niveau d'un numéro à l'autre, sous peine d'être supplanté par de nouveaux arrivants dans le système.

Ce mécanisme incroyablement brutal est la cause de nombreux constats que l'on peut faire à propos des manga qui percent et, par extension, de leurs adaptations en animés : déjà ça explique l'existence de séries très longues avec pas mal de fillers ou avec une narration très lente : il faut tronçonner au maximum l'intrigue ou la retarder avec des épisodes qui ne racontent pas grand-chose, pour pouvoir en faire davantage, et donc survivre un peu plus longtemps dans la jungle éditoriale.
Ça éclaire au passage le fait qu'une série aussi recherchée que La Cité Saturne ne compte que 7 volumes : y'a des chances qu'elle soit pas passée par ce modèle économique et qu'Iwaoka Hisae, son autrice, n'ait pas ressenti le besoin de faire durer les choses.
Et puis surtout, ça montre bien pourquoi les manga et séries d'animation japonaises donnent toujours l'impression de se ressembler, en termes de structure narrative et de construction éditoriale : une fois qu'un format fonctionne, tout le monde se calque dessus pour percer de la même manière, ce qui donne lieu à des genres aussi codifiés et rigides que le shônen (manga pour garçon) ou le shôjo (manga pour fille).

 Vous en avez marre de ces animés qui durent dix mille ans et qui sont impossibles à rattraper en cours de route ? Psycho-Pass : 22 épisodes.
Oh, et La Cité Saturne, série de manga en 7 volumes, c'est très bien aussi.

Bref : Psycho-Pass n'est pas passé par ce circuit et ça se voit beaucoup dans la série, ne serait-ce que dans son niveau d'écriture largement au-dessus de la plupart des autres animés japonais. C'est bien simple, en termes de richesse du propos et d'écriture des dialogues, je n'ai jamais trouvé mieux en dehors de Fullmetal Alchemist (le premier animé, pas le merdique).
J'ai toujours trouvé aussi intéressant qu'admirable le niveau de discipline et de curiosité intellectuelles de certains artistes japonais, dont le niveau d'érudition fout la honte à la plupart des artistes occidentaux - en particulier après des siècles d'isolationnisme japonais.
L'un des meilleurs exemples est celui de Nobuo Uematsu qui maîtrise la musique savante occidentale, depuis le classique jusqu'au baroque, et qui a composé une chanson en italien façon commedia dell'arte pour Final Fantasy IX (Vamo' alla Flamenco), des thèmes dantesques (de Dante, le poète italien moderne qui parlait d'Enfer et de destinée) avec des chœurs en latin pour Final Fantasy VII et VIII (ça s'appelait respectivement One-Winged Angel et Liberi Fatali), ou qui calait une musique d'inspiration native-américaine dans Final Fantasy VII (Cosmo Canyon).
Et, de fait, l'écriture de l'animé Psycho-Pass semble emblématique de ce même souci de perfection culturelle et intellectuelle de la part de son scénariste.

Alors, je n'ai pas (encore) vu le film Minority Report (c'est prévu) mais je connais bien son concept d'arrêter les criminels avant que le crime ne soit commis (ce qui est hautement déterministe et à rebours complet de la conception traditionnelle de la justice, qui veut qu'on juge les gens sur des délis et crimes passés et pas futurs), qui a été étudié et cité en exemple ou contre-exemple depuis des années, et Psycho-Pass s'en rapproche beaucoup et une société telle que celle dépeinte dans l'animé où les individus sont sous le contrôle permanent d'une intelligence artificielle qui gère leur existence de bout en bout, c'est la porte ouverte à toutes les réflexions.
Bon certes, il est question de l'identité, de l'individualité, des rapports sociaux, mais aussi des média (notamment Internet), de la technologie, du pouvoir, de la justice, du concept de société juste ou morale, mais ce qui est brillant dans Psycho-Pass, ce n'est pas uniquement ce qui est discuté par les personnages, c'est aussi la manière dont ils en parlent.

 
Je suis désolé, c'est pas sous-titré (mais heureusement c'est en anglais, pas en japonais), mais voici un moment très intéressant où, non content d'évoquer Philip K. Dick, Gibson et Orwell, Makishima explique que les livres physiques sont plus intéressants d'après lui que les ebooks parce que physiquement stimulants et dotés de "plus de caractère."

Certains personnages comme Kôgami Shinya, Makishima Shogo (antagoniste principal de la saison 1), Choe Gu-sung et Senguji Toyohisa (antagonistes secondaires de la saison 1) ou encore Saiga Joji (professeur de profilage criminel) sont extrêmement cultivés, notamment dans le domaine de la littérature et de la philosophie. L'exécuteur Masaoka Tomomi, le vieux flic, cite dans un épisode une réflexion de Rousseau sur l'individu, mais ça va bien au-delà de ça.
Tout au long de la saison 1 sont évoqués pour leurs écrits sur les sociétés les philosophes ou sociologues Aristote, Max Weber, Michel Foucault et Jeremy Bentham, les antagonistes Makishima et Choe Gu-sung discutent de science-fiction du XXème siècle (le premier présente Philip K. Dick comme "moins totalitaire qu'Orwell et moins chaotique que Gibson", celui-ci étant un fondateur du cyberpunk) et vers la fin de la saison 1, Makishima compare carrément le système Sybil à une société imaginée dans Les Voyages de Gulliver de Jonathan Swift. En outre, on le voit à un moment lire Au cœur des ténèbres, nouvelle de Joseph Conrad sur la noirceur du monde.

Bref, c'est génial parce que, là où des séries d'animation comme Fullmetal Alchemist ou, en Occident, Avatar the last Airbender, peuvent traiter de questions identitaires et sociétales avec des registres courants et des dialogues accessibles à tout le monde, Psycho-Pass élève un peu le niveau avec des références beaucoup plus recherchées, mais qui sont claires et expliquées par les personnages. D'ailleurs, le personnage de Senguji Toyohisa, adepte de chasse à courre et qui assassine ses victimes au fusil de chasse grâce à des chiens robotiques (son thème musical personnel, qu'il fredonne pendant qu'il traque, c'est l'Hymne à la Joie de Beethoven), c'est aussi un cyborg qui offre une réflexion sur la nature humaine ou artificielle des humains dominés par Sybil.


Parce qu'en effet, dans cette société extrêmement technologique, on peut changer instantanément la déco de son appart ou ses fringues grâce à des assistants numériques, et la nourriture est calculée à la calorie près avant d'être préparée automatiquement. Les humains sont décrits comme des cyborgs dont toutes les applications sur smartphone, la domotique (la gestion de la maison par la technologie numérique) et autres éléments "de confort" ne seraient que des extensions.
Et très vite, malgré les avantages de cette société (le chômage est plus ou moins inexistant puisqu'une IA se charge de vous envoyer vers le métier où vos compétences seront mises en valeur au mieux) on voit les côtés pervers de cette société : outre que la plupart des activités socio-économiques ont au moins pour conséquence, voire pour enjeu principal, de maintenir le système et le contrôle absolu de Sybil, la technologie omniprésente et les dépenses énergétiques hallucinantes font que cette histoire n'aurait pas pu se dérouler ailleurs qu'au Japon.

Et sinon y'a une petite référence à Sarkozy glissée dans un sous-titre ^^

Et c'est là qu'on en arrive aux rares mais énormes défauts de Psycho-Pass : basiquement, c'est Minority Report au pays des émotions refoulées. Dans la société japonaise où il ne faut pas faire de vague, le Psycho-Pass n'est jamais vraiment défini : on sait que c'est un facteur criminel, mais on sait pas à quoi il est dû. Ça peut être le stress, la peur, le surmenage, la frustration, la colère, toujours est-il qu'à un moment, on estime dans la série que la violence devient un exutoire, mais qu'elle est foncièrement intolérable (c'est un des trucs que je condamne dans la société japonaise, à titre personnel je ne trouve pas que la colère soit une émotion foncièrement mauvaise, et je trouve normal qu'on ait envie de se défouler pour l'évacuer - d'où l'un des intérêts du sport et du grand air).
Mais du coup ce postulat - le Psycho-Pass désigne un penchant pour la violence - ruine totalement la représentation de certains personnages : les Exécuteurs.

C'est comme ça qu'on traite les criminels dormants, on les met dans des boîtes et on jette les clés... ça a l'air bien hein... cette société...

On nous dit que ce sont des "criminels dormants", que leur Psycho-Pass crève tellement le plafond qu'aucune thérapie ne pourra le faire redescendre, et entre la détention à vie (super saine au passage, la société où tu contrôles la colère par la prison...) et le service public, ils ont choisi d'être des limiers pour la police.
Sauf qu'en vrai, on ne les voit JAMAIS sur le point d'exploser, de faire n'importe quoi, de devenir violents, on les qualifie régulièrement de chiens limiers à qui il faut une laisse, et ça aurait été BEAUCOUP PLUS intéressant de, justement, les représenter comme sans cesse au bord de la rupture, dans leur rapport narratif aux Enquêteurs. Non, ce sont juste des gens normaux, mais désaxés par rapport au style de cette société (et même ça c'est pas certain - Yayoi par exemple est une ancienne musicienne, on nous explique la pratique de l'art fait monter le Psycho-Pass, mais je vois pas le rapport entre artistes et violence, c'est de l'ordre du préjugé).
Ah, et puis, trigger warning sur l'utilisation des Dominateurs, les flingues technologiques des Enquêteurs : ce sont des armes en permanence reliées au système Sybil, qui identifie le porteur, l'utilisateur, et n'active l'arme que sur conditions (utilisateur autorisé, cible valide...) mais dans sa mise en scène, elle est aussi cool (mode Disrupteur sur les machines) qu'incroyablement violente (mode Tir létal sur les humains). Vous n'avez peut-être pas envie de voir des gens [trigger] exploser façon pop-corn [fin de trigger].

En apparence c'est juste un flingue, mais ça peut aussi transpercer les machines de part en part et, si le mode Tir Paralysant ressemble à un coup de taser (ce qui en soi est déjà bien assez violent), le mode Tir Létal est visuellement assez tendancieux si vous êtes sensible.

En outre, puisqu'on est dans un animé japonais, le character-design est aussi incroyablement convenu : dans l'unité 1 de la SP (sécurité publique), celle d'Akane, il y a le jeune sympa doté d'humour grinçant (Kagari), la jeune femme discrète et mystérieuse (Yayoi), le vieux mentor sage et cynique (Tomomi), le mec sombre et torturé objet de fantasmes et love interest (Kôgami) et même la femme affectueuse et sensuelle (Karanomori Shion, qui en plus est lesbienne vu qu'elle a une relation presque purement physique, paie ton fantasme d'hétéro, avec Yayoi).
J'vous jure, sur ce point, on dirait du shônen, y compris si on évoque le personnage principal complètement cheaté qui survole les dangers - non parce qu'Akane est certes blessée à l'occasion, ça reste une petite meuf fragile mais à aucun moment, JAMAIS son Psycho-Pass ne monte, elle est décrite comme parfaitement maîtresse de ses émotions, jamais découragée, et dès le début elle est clairement présentée comme ayant eu la note maximale à tous ses examens, ayant eu le choix entre toutes les carrières possibles, et ayant choisi la police parce qu'elle se sentait plus nécessaire là qu'ailleurs.

Ah non, désolé, on n'avait plus de budget pour le chara-design, on a décidé de se reposer sur les archétypes.
(et puis au passage, ce sont des nabots, je fais 1.74m, je serais quasiment aussi grand que Kôgami et Ginoza ^^)

Bon après, ces défauts ne sont pas majeurs et, globalement, le déroulement de l'intrigue sur les 22 épisodes de la première saison est bien rythmé, avec des rebondissements et des révélations pile quand il faut.
Oui parce que j'ai pas parlé de la 2ème saison alors je le fais vite : NE LA REGARDEZ PAS. La fin de la première saison est un dénouement fermé, qui se suffit à lui-même. On peut parfaitement regarder Psycho-Pass en se contentant de ces 22 épisodes. Pour la seconde saison, un nouveau scénariste a été choisi, les thèmes abordés sont largement en-dessous de la première, l'érudition des dialogues et des personnages est pour ainsi dire absente, le nouveau personnage de jeune policière de Shimotsuki Mika est SUPER AGAÇANT, le nouvel antagoniste principal est largement en-dessous de Makishima et même les réflexions sur les enjeux et Sybil n'apportent rien de plus que dans la première saison.

Bref, 22 épisodes de Psycho-Pass, avec on s'en doute des décors très urbanisés, un excellent dynamisme dans la mise en scène et les séquences d'action, à la fois lors des enquêtes/traques et des combats, esthétiquement y'a rien à reprocher à la série, à part peut-être un design un peu prévisible sur les personnages, souvent les méchants ont une gueule de méchant, ça se voit sur leur tête qu'ils sont pas nets. L'animation offre parfois un mélange évident de 2D et de 3D, en particulier dans les scènes de véhicules, ce qui donne une sensation de vitesse et de dynamisme encore accrue et renforce le côté SF urbaine. La gestion des robots très présents, à la fois dans leur écriture et leur design, est aussi tout à fait appréciable. Vers la fin de la saison, on s'éloigne de la ville et même la campagne, quoique totalement artificielle, est super jolie et bien conçue, j'adore.

L'utilisation de la 3D est évidente mais justement, ça souligne l'énergie de la mise en scène, dans une mégalopole urbanisée et avec des bagnoles partout.

Côté musique enfin, c'est du même tonneau, avec des ambiances parfois sinistres voire morbides, c'est pas au niveau d'un Fullmetal Alchemist dans ses heures les plus sombres (l'histoire de Nina, des Ishbals ou de Scar), mais ça peut grave foutre la pétoche. Dans les scènes d'actions et de course-poursuite, des thèmes nerveux qui soulignent le côté "limier" des exécuteurs, et sinon quelques musiques plus posées, en rapport à l'écriture détendue et à l'érudition de certains personnages. J'aime beaucoup le fait que les antagonistes soient toujours très calmes et détendus, les fous furieux ça va un moment.


Un des trucs que j'aime le plus dans cet opening, le second de la série, c'est qu'il ne se contente pas de successions d'images qui ne disent rien, comme par exemple Evangelion (ou beaucoup d'autres animés japonais). Il y a une continuité narrative au sein même du générique, entre les plans jaune-orangé, et on y voit aussi un revoler, qui est une arme très importante dans la narration de Psycho-Pass.


En bref : c'est précisément pour l'histoire qu'il raconte que je voulais voir Psycho-Pass à la base, et j'ai pas été déçu. Malgré la complexité des enjeux sociétaux et l'érudition d'une partie des personnages, le propos est très clair, les références sont expliquées, tout est accessible à n'importe quel public. L'animé dépeint une société technologique et oppressive dans laquelle on se prend à imaginer quelle serait notre place, et certains personnages suscitent clairement une certaine empathie. Bonne narration, d'autant qu'elle est soulignée par un travail graphique impressionnant et une bande-son adaptée. Vraiment, je recommande, mais juste la première saison !

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