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5.1.20

Adaptations (1) : celle qu'il fallait pas faire.

Même si le présent article va parler en bonne partie d'un film que j'ai vu récemment, il ne sera pas au format habituel (avec l'en-tête, le résumé, mon avis et la conclusion) parce que je ne parlerai pas JUSTE de ce film. En fait j'avais tout simplement pas prévu de faire un article à ce sujet même si j'avais en revanche planifié un article sur les adaptations au cinéma en général : celui-ci fera donc office de première partie du propos.
Allez : parlons de The last airbender, film de M. Night Shyamalan sorti en 2010.


Au royaume des adaptations au cinéma, il y a un paquet de trucs à dire, ce que je ferai donc en deux articles, mais une des remarques qui n'est pas assez faite à mon goût, c'est que certaines adaptations n'ont tout simplement aucune raison d'être. Curieusement, le public a davantage tendance à critiquer les adaptations qu'à remettre en cause leur légitimité même.
Récemment, sur Twitter, j'ai entrepris un thread encore inachevé qui sera consacré à plein de films que je me suis refusé à voir pendant un bail, mais que je vais regarder quand même pour pouvoir m'en faire une opinion personnelle. Les deux premiers films traités dans ce thread ont donc été Les animaux fantastiques : Les crimes de Grindelwald, et Le dernier maître de l'air.
Ouais, je commence violent.
Et concernant ce dernier film, quiconque aura vu la série animée originale l'admettra sans peine : y'avait pas besoin de l'adapter en film. Surtout pas pour massacrer le propos à ce point.

Y'a pas très longtemps, j'ai lu dans une critique (plutôt mauvaise au demeurant) du Dernier Maître de l'Air (le film donc) que l'œuvre originale proposait "un univers assez riche pour mériter une adaptation en film." Bon alors déjà, IL FAUT ARRÊTER CE DÉLIRE DE CONSIDÉRER QU'IL EXISTE UN RAPPORT HIÉRARCHIQUE ENTRE LE CINÉMA ET LES SÉRIES TÉLÉS. Les deux formats se valent et ont leurs spécificités, et c'est d'ailleurs là que repose une de mes convictions en matières d'adaptation : je me trompe peut-être mais, toutes considérations commerciales mises à part, je suis convaincu que l'existence d'un univers riche et d'une narration diversifiée est justement une bonne raison de NE PAS choisir le long-métrage comme support d'adaptation. À mon sens, les films sont conçus pour des univers narratifs que tu peux condenser en deux heures et laisser l'imagination du spectateur faire le reste.
C'est la raison pour laquelle Game of Thrones est une série télé. Y'a beaucoup trop à raconter pour en faire un film. C'est la raison pour laquelle le Seigneur des Anneaux est une trilogie cinématographique : la narration est assez simple pour être déroulée en trois films.

Ouais, nan, clairement je comprendrai jamais le pourquoi de l'existence de ce truc...

Maintenant, j'ai une autre conviction concernant les adaptations qui découle de la première : je suis persuadé que la saga littéraire Harry Potter n'aurait jamais dû être adaptée en films, et qu'elle aurait été beaucoup mieux servie par une adaptation en série télé. Harry Potter partage avec Percy Jackson et les Olympiens et avec Avatar Le dernier maître de l'Air un point commun particulier : les trois œuvres font mention, dans leur titre, d'un personnage unique (Harry Potter, Percy Jackson, et Aang), mais elles ont toutes les trois PLUSIEURS personnages principaux (à chaque fois le personnage éponyme, avec respectivement Hermione Granger et Ron Weasley, Grover Underwood et Annabeth Chase, et enfin Katara, Sokka, Toph et Zuko (oui, Zuko est un personnage principal d'Avatar plus qu'un antagoniste)). Du coup, Harry Potter a, au-delà du sorcier à lunettes et de ses deux comparses, littéralement une armée (de Dumbledore LOL) de personnages secondaires avec parfois leurs propres intrigues, qu'il aurait été beaucoup plus intéressant de voir évoluer dans des saisons de série télé.

Pour revenir à Avatar, et en gardant en tête ce décalage énorme entre le contenu narratif et le format du long-métrage de cinéma, je vais résumer un peu l'œuvre originale, en évitant de trop spoiler parce que ma ptite sœur Caroline (Studinano) ne l'a pas encore regardée, pour celleux qui ne connaîtraient pas cette merveille télévisuelle.
Diffusée entre 2005 et 2008 aux États-Unis, Avatar : Le dernier maître de l'Air est une série d'animation américaine en 61 épisodes répartis en trois saisons (20, 20 et 21) qui recouvre les genres de la comédie, de l'action et du fantastique. Personnellement je qualifie cette série de "japanimation américaine" parce que même si Avatar est créé et produit par Nikelodeon (chaîne américaine dédiée à la jeunesse), l'écriture, l'univers, la mise en scène et les inspirations sont clairement asiatiques.
Concrètement, la narration se déroule dans un monde fictif (jamais nommé) réparti en quatre cultures : les royaumes de la Terre, les tribus de l'Eau, la nation du Feu et les nomades de l'Air. On apprend très vite que l'équilibre du monde repose sur ces quatre peuples guidés par l'Avatar, un être incroyablement puissant qui, seul, peut maîtriser les quatre éléments. Sauf que l'Avatar a disparu depuis un siècle, ouvrant la voie aux ambitions conquérantes et militaires de la nation du Feu...


Bref, on l'imagine sans peine : l'univers d'Avatar est absolument immense. Et c'est hallucinant à quel point la série a été un précurseur en termes de représentations et d'écriture. Déjà, y'a littéralement 0% du casting qui est d'ethnie Blanche ou caucasienne :
  • les tribus de l'Eau sont inspirées des Inuits - ils vivent aux pôles, sont doués pour la navigation, la survie en milieu difficile, la chasse et la pêche.
  • la nation du Feu incarne totalement le Japon, archipel au territoire étroit et tourmenté, mais qui abrite une population énergique, une armée puissante et une philosophie fondée sur les arts (notamment martiaux)
  • le royaume de la Terre c'est la Chine, immense territoire central et hétérogène, dont le poids démographique n'a d'égale que l'endurance et la résilience des habitants, 
  • et les nomades de l'Air sont inspirés des moines bouddhistes tibétains, tant dans leurs vêtements (jaunes et oranges) que leur philosophie de sagesse pacifique.
Ensuite, un des traits marquants d'Avatar, outre son casting non-Blanc, c'est la place des personnages féminins : deux des êtres les plus puissants du monde dépeint sont des femmes - Katara, maîtresse de l'eau, et Toph Beifong, maîtresse de la Terre et inventrice de la maîtrise du métal. Qui plus est, cette dernière est en situation de handicap, puisqu'elle est aveugle, et ce choix d'avoir valorisé des personnages issus de minorités ethniques, physiques et de genre, c'est à la fois audacieux et admirable.
Tout ce que le film ne fait pas.

Aang (qui dans le film est appelé Ang parce qu'il faudrait surtout pas que ça sonne tibétain... le marché chinois apprécierait pas !), Zuko, Katara et Sokka.
Y'a littéralement rien qui va dans ce casting.

C'est l'une des premières critiques qui a été exprimée, à juste titre, à l'encontre du film de M. Night Shyamalan : les trois personnages principaux sont Blancs (Katara, Sokka et Aang), et les antagonistes sont d'ethnies variées mais jamais conformes aux personnages de la série, comme si toutes les personnes racisées étaient interchangeables (putain on se croirait chez J.K. Rowling) : pêle-mêle, il y a un Iranien, un Néo-Zélandais, un Coréen et des Indiens.
Pour être clair, quand on écrit une histoire et qu'on dépeint certains personnages d'une certaine manière, c'est rarement anodin. Le physique et l'allure générale d'un personnage ont souvent une justification narrative, à fortiori dans une série d'animation à vocation comique destinée à un public jeune.

De fait, le personnage d'Iroh, l'oncle de Zuko, antagoniste qui cherche à capturer Aang, l'Avatar, afin de le livrer à son père (le seigneur du Feu) pour restaurer son honneur, est un des personnages les plus intéressants de la série. Qui plus est, pendant toute la première saison et même le début de la seconde, ce vieil homme est une énigme : il est traité avec déférence par les personnages qu'il côtoie, qu'il s'agisse de soldats du Feu ou du Commandant Zhao, on apprend très vite qu'il est un ancien général, serait doté d'immenses capacités à la fois comme stratège et comme maître du Feu, et qu'il a volontairement accompagné son neveu dans l'exil.
Sauf que tout ce qu'on voit de lui, en apparence, c'est que c'est un petit homme plutôt corpulent qui adore manger, boire du thé et jouer de la musique et au paï-shô (un jeu de plateau fictif qui ressemble aux dames chinoises). On le voit prodiguer quelques conseils à Zuko, mais on le voit rarement (voire jamais) combattre et il est souvent ridiculisé, notamment lorsqu'il prend un bain dans une source chaude (complètement nu, ce qui l'amène à être capturé par des soldats de la Terre) ou qu'il subit les moqueries de certains personnages sur sa gourmandise ou son apparente naïveté.
Bref : si Iroh, dans le dessin animé, est un bon vivant amical et un petit gros, y'a une bonne raison, c'est pour dissimuler sa vraie nature, révélée au cours de la saison 2 et dans la 3 : il est l'un des plus puissants maîtres du feu de sa nation, un grand sage et un érudit qui connaît bien les quatre maîtrises et les esprits (on le retrouvera d'ailleurs dans le monde spirituel dans La légende de Korra, série qui fait suite à Avatar).


Alors, spoiler, si un personnage d'animation est doté d'une apparence risible ou grotesque, ça peut AUSSI être pour dissimuler une écriture plus travaillée et donc pour rendre un personnage apparemment rigolol en réalité très intéressant. Dans l'ordre : Pinako Rockbell dans Fullmetal Alchemist, Porco Rosso dans le film du même nom et le commandant Armstrong également dans FMA.

Qui plus est, quand on revient aux bases le constat est simple : sur quoi repose la narration d'un film ? Sur son histoire principalement. Celle-ci doit être assez simple pour pouvoir être condensée dans un format court, mais assez développée pour que le film soit marquant, avec des personnages bien écrits mais pas à l'excès (parce que sinon y'a pas la place de faire un seul film et on s'est planté de format, ou bien on ne développe pas tout et le public se rend compte qu'il y a des trous dans l'écriture). Des tas de films ont connu des succès très mérités en ayant une narration somme toute pas très originale, simplement parce qu'elle était bien mise en scène et personnalisée selon la vision du réalisateur avec juste ce qu'il faut d'originalité.
En revanche, sur quoi repose la narration d'une série ? Principalement sur ses personnages. Une série peut avoir un univers absolument pas original ni inventif, elle sera un succès pourvu que les personnages soient bien écrits et interprétés (coucou Breaking Bad, Six feet under et Les Sopranos !).

Avatar : le dernier maître de l'Air ne fait pas exception et c'est bien sur les personnages que reposent les enjeux narratifs et donc la narration en général. L'univers est très original mais ce sont les protagonistes qui portent le récit, et ils sont assez complexes pour offrir de la diversité et susciter les émotions du public.
Sokka par exemple, malgré une apparence de sidekick rigolo dans le groupe, est surtout le personnage principal qui ne maîtrise aucun élément - il le vit mal et développe des traits personnels en conséquence, son astuce et son imagination qui font de lui un inventeur stratège, et sa maîtrise des armes, le boomerang et l'épée. Il a des rapports conflictuels avec sa jeune sœur Katara mais le côté maternel de cette dernière, sa maîtrise de l'Eau qui fait d'elle une puissante Maîtresse - malgré une jalousie de la puissance brute d'Aang - et leur passé douloureux (ils ont perdu leur mère, tuée par la Nation du Feu, quand ils étaient petits) offrent des développements narratifs pour la jeune fille.
Basiquement, l'état d'Avatar, c'est un peu
comme les Limit Breaks dans la série Final Fantasy.
Aang est poussé dans ses limites, pète un câble,
déploie toute sa puissance, et clairement,
vaut mieux pas être dans les parages.
D'ailleurs, Aang aussi est un personnage très complexe dans la série animée. Déjà, il a douze ans, ce qui le rend innocent voire naïf et souvent immature, ensuite il est régulièrement empêtré dans les turpitudes de son statut : il est doté d'une puissance ahurissante qu'il ne maîtrise pas toujours, perd parfois le contrôle de ses émotions - ce qui le rend dévastateur - et surtout il lutte sans cesse contre l'ambiguïté morale de l'Avatar. On lui a donné une éducation pacifiste et bienveillante, et du jour au lendemain il a appris qu'il serait le garant de l'équilibre du monde, si bien qu'on lui annonce désormais qu'il va devoir TUER un homme, faute de quoi le monde sera perdu.
Et encore, je n'ai évoqué que ces trois-là mais outre la complexité mystérieuse d'Iroh, le prince Zuko aussi a droit à ses développements, et c'est aussi le cas de Toph Beifong bien qu'elle n'arrive dans la série que dans la saison 2.

Vous imaginez donc bien qu'une complexité narrative pareille ne peut pas être adaptée aussi bien en 20x22 minutes (la saison 1) qu'en 1h43 dans le film de M. Night Shyamalan, qui "met en scène", si je puis dire, un Aang insipide, un Sokka ennuyeux à mourir, une Katara presque invisible et un Zuko sans profondeur émotionnelle - outre, encore une fois, Iroh qui n'a rien à voir avec son équivalent animé, ou Pakku, le Maître de l'Eau qui entraîne Aang et Katara et (re)deviendra le grand-père de celle-ci.
Au passage, la notion du temps dans le film est totalement bancale, on ne ressent pas les durées, alors que dans une saison à 20 épisodes, on se rend compte très facilement que les personnages voyagent lentement et longtemps pour aller D'UN PÔLE À L'AUTRE en traversant le Royaume de la Terre qui est absolument gigantesque.


Carte du monde dans lequel se déroulent les séries Avatar the last Airbender et sa suite, The legend of Korra. Les couleurs ne sont pas vraiment exactes (la Terre devrait être en vert) mais on voit en bleu les tribus de l'Eau du nord et du sud, en rouge la Nation du Feu, en jaune l'énorme continent de la Terre et en blanc les archipels où se trouvent les temples des Nomades de l'Air.

Et puis bon, Shyamalan a juste pas compris son sujet, à la base il s'est déjà planté sur les fondamentaux, donc comment il aurait pu réussir son film ? Dans l'univers d'Avatar, la maîtrise est un art martial reposant sur le chi, la force vitale présente en chaque être vivant, ce qui fait d'elle non pas une magie innée et incontrôlable, mais une pratique consciente qui requiert de l'entraînement alors que dans le film :
  • les maîtres du feu sont incapables de créer leur propre élément (qui devrait pourtant être basé sur leur propre énergie, puisque la maîtrise du feu est fondée sur la respiration et le souffle)
  • Aang est identifié comme Avatar en maîtrisant involontairement la terre, l'eau et le feu devant Iroh et Zuko alors que tout ce qu'un maître ou une maîtresse doit faire pour dissimuler sa nature, c'est NE PAS utiliser ses techniques en public.
Qui plus est, la vie spirituelle est importante pour tout le monde dans l'univers de la série, pas juste pour l'Avatar (qui est le lien entre le monde matériel et le monde spirituel) et c'est justement parce que l'Amiral Zhao est devenu complètement ivre de folie et de rage destructrice qu'il décide de détruire l'esprit de la Lune pour priver les Maîtres de l'Eau de leurs capacités. Il est parfaitement invraisemblable d'imaginer que, comme dans le film, ce soit le Seigneur du Feu qui lui ordonne consciemment d'aller détruire la Lune, avec toutes les conséquences que ça suppose !

L'amiral Zhao à la fin du Livre 1 d'Avatar the last Airbender, sur le point de détruire l'esprit de la lune, sous les regard horrifiés des autres personnages. Ce mec est devenu totalement taré sur la fin, et ça n'échappe à personne, là où dans le film, le Seigneur du Feu est en mode "détruisez la lune, on va éliminer les maîtres de l'Eau !" comme ça, dans le plus grand des calmes -_-'

Bref : Avatar The last Airbender était typiquement le genre d'œuvre qu'il ne faillait pas adapter en film. Et là je parle même pas de Harry Potter ou d'autres univers romanesques qui ont été foirés à l'écran (Percy Jackson, Eragon, À la croisée des mondes) parce que les univers étaient trop gros pour tenir dans le format restreint du long-métrage, je parle d'une œuvre qui existait JÀ en série. Alors je sais qu'on a tendance à penser que l'animation c'est réservé aux enfants - c'est totalement faux, regardez Persépolis, Valse avec Bachir, Gandahar, La maison des suicides, les trois-quarts des Ghibli et l'animation japonaise en général - mais Avatar est une de ces séries d'animation qui est destinée à un public jeune et adaptée à un public adulte.
Si vous ne connaissez pas cette série, elle vaut carrément le détour, mais le film est à oublier au plus vite et à jamais.

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