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16.1.20

Adaptations (2) : ce qu'il ne faut plus dire.

Comme tous les autres arts, le cinéma - dans son sens élargi, donc en incluant les séries télés qui sont une version domestique (à la maison) du cinéma - ne plaît pas universellement à tout le monde.
En matière de genre on a tou·te·s des préférences. Moi par exemple j'adore la fantasy, la science-fiction, le fantastique, un peu le polar, mais je hais les romances et je me méfie de l'historique.
Mais les préférences en matière de style narratif et visuel, c'est quelque chose d'assez apaisé et accepté, vous allez pas sauter à la gorge de quelqu'un parce que cette personne aime un genre que vous détestez, la plupart ne font pas trop polémique.

En revanche, les adaptations, ça met tout le monde sur les dents. On trouve assez peu de personnes qui détestent le principe, je pense (et puis faudrait être stupide, un très grand nombre de films, parfois parmi les plus adulés, sont des adaptations), mais tout le monde a un point de vue sur les films tirés d'adaptations. Et la plupart du temps, ce point de vue brille par la méconnaissance du concept. On trouve une adaptation "bonne" ou "mauvaise" mais il n'y a toujours pas de consensus unique sur ce qu'est une bonne adaptation, si bien qu'on finit souvent par se réfugier dans une critique plus acceptable - est-ce un bon film ou non ?

Perso je pense qu'il faut arrêter de dire de la merde sur les adaptations. Ça me gonfle d'entendre les gens en parler sans savoir la moitié du quart de ce qu'il faudrait envisager pour comprendre le concept.
J'vous préviens, vous allez peut-être vous sentir visé·e par mes propos dans cet article, et si c'est le cas, j'vous présente pas mes excuses par avance, parce que c'est votre faute, pas la mienne. Prenez quand même le temps de me lire, merci ♥

Sommaire.
Adapter, c'est modifier.
L'importance du script.
La vision d'auteur.
Conclusion.


Dans mon article précédent, j'ai parlé de ce qui à mon sens fait la légitimité d'une adaptation - enfin je l'ai fait de manière très spécifique à propos d'un film - parce que, encore une fois, si beaucoup de spectateurices sont enclin·e·s à juger une adaptation, y'en a vachement moins pour dire "y'avait pas besoin d'adapter cette œuvre à l'écran." Alors pour finir rapidement sur cet article précédent : à mon avis personnel, toutes considérations commerciales mises à part, une adaptation se justifie quand il y a un propos ou un récit à porter dans le résultat de l'adaptation, peu importe le format de départ et celui d'arrivée. Si l'œuvre obtenue ne dit rien sur rien, s'il n'y a pas de valeur ajoutée par rapport à l'original, c'était pas la peine.


La seule et unique situation où j'accepte de parler de "mauvaise adaptation", c'est quand, à mon sens, le format d'arrivée n'est pas le plus adapté au récit raconté. Par exemple, À la croisée des mondes en film c'était débile, raison pour laquelle la série His dark materials est une très bonne idée. À mon sens, Harry Potter en film c'est tout aussi crétin.

Mais, désolé j'me répète un peu, les gens ne contestent pas l'existence des adaptations, ils se contentent de se prononcer sur le résultat. Et il arrive à l'occasion que le public soit ultra-vénère face à une adaptation, souvent pour de mauvaises raisons. Les motifs invoqués ?
- c'est une mauvaise adaptation
- ça ne rend pas justice à l'œuvre originale.
- lea (ou les) réalisateurices n'ont pas compris le propos original.
Bref : de la merde. Nan, je déconne pas.
Prenons l'exemple de la littérature : à en croire les amoureux·ses de littérature, une bonne adaptation doit retranscrire le récit et l'essence du livre qui est adapté afin que les gens qui regardent la série ou le film (on adapte rarement les livres en jeu vidéo, même si ça peut donner de très bons résultats) puissent comprendre de quoi il est question.
Dans cette optique, vous savez quelle serait l'adaptation parfaite d'un livre ? Un ebook.
Ben ouais : aucune trahison possible, tout le propos est retranscrit, sans coupe, sans raccourci, sans ajout inutile, et le tout sur un écran... alors je sais pas vous mais moi quand je vais au cinéma je paie pas pour livre un ebook sur un écran géant.
En réalité, quelle est l'adaptation parfaite d'un livre en film ou en série ? Un film ou une série. Ben ouais c'est con dit comme ça, et pourtant.

Revenons aux fondamentaux : qu'est-ce qu'une adaptation ?
J'ai demandé à Internet, j'ai trouvé "Action d'adapter ou de s'adapter à quelque chose : Adaptation aux circonstances / Action d'adapter une œuvre, un texte pour un public, une technique artistique différents ; œuvre ainsi réalisée."
Ensuite j'ai demandé ce que voulait dire adapter et j'ai trouvé "ajuster ou appliquer une chose à une autre, modifier, transposer."
Bon, on va oublier tout de suite "transposer", parce que l'évolution darwinienne nous a appris que l'adaptation suppose une modification, alors que dans transposer tu as la même idée de déplacement que dans translation, transition, transit. Après manger, tu vas de la salle à manger/cuisine jusqu'à ta chambre, j'te félicite, tu t'es transposé·e dans la pièce d'à-côté, pendant que ta nourriture se transpose depuis ton estomac jusqu'à tes intestins.

Le Seigneur des Anneaux est une excellente adaptation ? C'est vrai.
Mais, je le sais pour avoir étudié la trilogie lors de mes travaux de TPE en 1ère, au lycée, Peter Jackson a modifié énormément de choses pour arriver à ce résultat final. Transposé sans modification au cinéma, le récit de J.R.R. Tolkien aurait été chiant à crever.
Adapter, c'est modifier.

MODIFIER.
C'est l'idée générale. Une adaptation au cinéma ça suppose une modification. Sinon, encore une fois, les adaptations de livres seraient des ebooks. Je trouve incroyablement condescendant envers le cinéma et surtout envers tous les gens qui y travaillent de dire qu'un film ou une série est une mauvaise adaptation. Mais vous savez, je crois qu'il y ait de bonnes ou de mauvaises adaptations.
Bon allez, plus sérieusement, prenons des exemples sinon ce sera pas clair.
J'ai dit en intro que la plupart des genres au cinéma ne sont pas polémiques.
Si vous dites que vous aimez les films de super-héros y'a peu de chances pour que votre déclaration trouve bonne accueil. Ce qui est compréhensible, Disney a investi et gagné énormément d'argent sur ce qui a extérieurement l'air d'être une pompe à fric sans aucune profondeur, mais on va pas condamner les gens pour leur manque de connaissance ou de lucidité (ouais j'avais dit que j'me ferais pas que des ami·e·s dans cet article).

Pour prendre un exemple très précis, il y a eu de nombreuses versions différentes du Joker au cinéma - de celui de Cesar Romero entre 1966 et 1968 à celui de Joaquin Phoenix en 2019 en passant par la version iconique de Jack Nicholson pour Tim Burton et celle d'Heath Ledger devant la caméra de Christopher Nolan - et n'oublions pas la version de la série animée des années 1990 doublée par Mark Hamill.
Et ben TOUTES LES VERSIONS du Joker sont justes. SAUF CELLE DE JARED LETO, celle-là est complètement à chier, vous pouvez l'oublier. Mais je veux dire : le personnage, dans les comics, a existé pendant tellement longtemps et a eu tellement de réécritures que toute adaptation du Joker est correcte tant que l'esprit du Joker existe. Le Joker, c'est la folie, le chaos, le crime, l'exubérance, l'humour tordu et les costumes colorés. Tout le reste, c'est à la libre interprétation des réalisateurs et des acteurs. Le Joker pourrait même être une femme ou un personnage racisé-e pourvu que ça ait du sens dans la narration où il serait mis en scène.
De très nombreux fans des Spider-Man de la trilogie de Sam Raimi (2002-2007) ont détesté les versions d'Andrew Garfield (2012-2014) et de Tom Holland (2017-2019) en prétextant que celle de Sam Raimi/Tobey Maguire était la seule respectueuse du personnage. Sauf que pas du tout : les réalisateurs ultérieurs ont juste repris le personnage pour écrire un récit différent avec.

L'adaptation, pensée comme transposition EXACTE du matériau narratif original, ça n'existe pas et ça ne DOIT PAS exister. Adapter c'est modifier, et modifier c'est proposer une grande variété de récits et de propos subjacents. C'est précisément pour ça que le Joker de Jared Leto est merdique : il n'apporte rien au récit dans lequel il est placé, et même nuit à l'équilibre de ce récit. Là où, au contraire, le Joker de Joaquin Phoenix parvient à être génial sans jamais traiter l'aspect "comic-book" du personnage.

Pas mal de gens ont critiqué la série Game of Thrones sur le prétexte que ce serait une mauvaise adaptation, notamment parce qu'elle prend pas mal de libertés narratives par rapport aux livres de George Martin, mais il faut se rappeler qu'on n'écrit pas une série comme on écrit des livres. Des personnages comme Victarion Greyjoy, Quentyn Martell et Aegon Targaryen le Jeune n'existent pas à l'écran parce que, dans une série télé, les intrigues narratives longues et incertaines (ou qui finissent en impasse) ont tendance à lasser (de fait, Bran Stark est un des personnages les moins appréciés du cast). Une série télé, à fortiori aussi chère à produire, a besoin d'efficacité et de rentabilité : on ne va pas développer des personnages (et donc du tournage) s'il n'y a pas de finalité narrative.


J'ai dit que je trouvais condescendant le fait d'affirmer qu'une adaptation est bonne ou mauvaise parce que c'est ÇA, le cinéma : l'art de raconter des histoires sur grand écran, dans une durée limitée. Et la série télévisée, c'est l'art de raconter des histoires dans un format adapté au visionnage domestique - sur un écran plus petit et avec une durée narrative et/ou éditoriale plus longue.
ÉNORMÉMENT de gens ont DÉTESTÉ le film Alita : Battle Angel en déclarant que son réalisateur, Robert Rodriguez, avait massacré le manga original, Gunnm. Ah bon ? Ça veut dire qu'aujourd'hui en 2020 on peut plus lire Gunnm ? Bien sûr qu'on peut. On ne peut pas "massacrer" une œuvre culturelle, c'est une chose abstraite, immatérielle. Mais il faut bien se rappeler plusieurs choses essentielles :
- Robert Rodriguez n'a pas travaillé seul sur Alita. Comme l'a très bien expliqué Meeea dans sa vidéo sur L'étrange Noël de Mr Jack, un film n'est pas l'œuvre d'un homme ou d'une femme seul·e, mais résulte d'un effort collectif.
- et surtout, plus important, le support de travail de Robert Rodriguez, c'était pas Gunnm. C'était le script d'Alita : Battle Angel.

Rappel amical que ça c'est pas "une adaptation" de Gunnm au cinéma. C'est Alita : Battle Angel. Si vous vouliez voir une adaptation animée de Gunnm, fallait regarder les OAV de Gunnm.
Comme l'a dit avec beaucoup de raison le vidéaste Misterfox, dans sa vidéo sur Fullmetal Alchemist et Brotherhood, à propos de cette dernière série, "si j'ai envie de suivre scrupuleusement l'intrigue du manga... ben je lis le manga."

Le travail d'adaptation suppose d'écrire une nouvelle histoire en partant d'un contenu narratif préexistant, non pas de reproduire à l'identique ce matériau original, et réaliser un film ou une série, ça exige d'avoir des scripts.
Certains réalisateurs écrivent leurs propres scripts (Zack Snyder a tendance à occuper de nombreux postes au sein de ses films y compris celui de scénariste, notamment pour être libre de faire ce qu'il veut), d'autres travaillent sur les scripts des autres, certain·e·s acteurices peuvent écrire des scripts - Carrie Fisher, surtout connue pour avoir été la princesse Leia dans Star Wars, était aussi excellente comme script doctor, donc pour réécrire et améliorer des scripts.
Les scénaristes au cinéma sont un peu comme les paroliers et compositeurs en musique : certain·e·s interprètes n'écrivent pas leurs textes ou leurs mélodies, d'autres le font, d'autres encore le font pour les autres (Jean-Jacques Goldman et Michel Berger ont énormément écrit pour les autres).

Maintenant, vous vous demandez sûrement, à juste titre, "c'est quoi un script ?" En quoi c'est différent d'un livre, par exemple ?
Ben c'est facile à déterminer : les scripts finissent souvent par être disponibles sur Internet et certains scripts non validés peuvent aussi fuiter - Meeea traite assez régulièrement des différentes versions du script d'un film quand il en parle en vidéo. Il existe même des bases de données de scripts sur Internet, comme l'Internet Movie Script Database.
Contrairement à un livre qui est un document fini destiné au public, le script est un document de travail sur lequel se repose l'équipe de tournage d'un film, et qui mentionne tout ce qui doit être visible à l'écran : effets visuels, décors, répliques et mouvement des différents personnages. Tout ce qui sera dans le film est dans le script, et la marge de manœuvre d'un bon réalisateur consiste à exprimer quelque chose à travers sa mise en scène, plutôt que de s'en tenir à ce que dit le texte sur le papier.
Regardons par exemple le script de Black Panther, sorti en 2018, que je me suis permis d'annoter :


Et de fait, qu'est-ce qu'on voit quand on commence Black Panther ? L'origine du Wakanda expliquée à un fils par son père, tout en voix off, avec des animations à base de sable noir. La mise en scène respecte parfaitement le script tout en ayant déjà davantage que lui à exprimer, à travers la musique composée par Kendrick Lamar.


On continue un tout petit peu plus loin avec le même script : la séquence des origines du Wakanda en vidéo ci-dessus se termine par un zoom, depuis la planète Terre, vers une région que l'on reconnaît comme la Californie. S'en suit une scène avec deux personnages dont on apprendra plus tard qu'il s'agit de N'Jobu (père d'Erik Killmonger) et de Zuri/James (joué par Forest Whitaker), une vingtaine d'années avant la narration principale du film. Que décrit le script ? La préparation d'un braquage par les deux personnages, avant que ne survienne le Black Panther, le roi du Wakanda T'Chaka, frère de N'Jobu, annoncé par deux guerrières de sa garde personnelle, les Dora Milaje.


Comme le montre ce second bout de script, un script est un document d'usage destiné non seulement au réalisateur qui va en faire la mise en scène, mais aussi aux interprètes (puisque c'est là que se trouve leurs indications de jeu et leurs répliques), et également aux équipes techniques : le script mentionne à la fois les lieux de la narration (ici l'appartement du personnage de N'Jobu à Oakland en Californie) et les lieux où les scènes seront tournées (ici les appartements Merritt à Oakland en Californie) afin que le matériel soit apporté au bon endroit à disposition des équipes de tournages : caméras, micros, éclairages, costumes, accessoires...

Le script, concrètement, c'est LA BASE, pour la réalisation de n'importe quel film ou série, peu importe qu'il s'agisse d'une œuvre originale ou d'une adaptation. Le livre, la bande-dessinée, le jeu vidéo dont est tiré le livre ou la série est un guide général : les plus professionnel·le·s et les plus passionné·e·s parmi les interprètes et les réalisateurices prennent le temps de les découvrir (on a régulièrement le cas d'un·e acteurice qui a lu tous les livres ou les comics dont iel joue dans l'adaptation en série/film), mais ce n'est absolument pas une obligation.
Prenez le cas de la trilogie Wolverine (X Men Origins Wolverine, Le combat de l'immortel, Logan) : le personnage existe depuis les années 1960 et est apparu à la fois chez les X Men, chez les Vengeurs (dont il est un membre éminent) et dans ses sagas personnelles, y compris celle d'Old Logan. Vous croyez que les réalisateurs des films se sont tapés 50 ans de comics Wolverine pour trois films ?
Ça c'est le travail des scénaristes, et il demande d'être ciblé : le Batman incarné par Ben Affleck dans Batman v Superman et dans Justice League est inspiré du Batman vieilli, usé et brutal de Frank Miller dans les années 1980. Il n'était pas besoin pour cette version, ni pour Ben Affleck, ni pour les réalisateurs et scénaristes, de connaître le Batman classique des années 1940 (dont on retrouve certains côtés dans le Batman gothique de Tim Burton), pas plus qu'il n'est nécessaire d'avoir lu le Batman contemporain et politique des années 2000-2010 (que l'on retrouve en fait dans la trilogie de Christopher Nolan).

Dans les années 1980, l'auteur de comics Frank Miller, déjà connu pour des œuvres sombre et violentes comme Sin City et The Spirit, décide de lancer une série alternative de Batman intitulée The Dark Knight, dans laquelle le personnage est âgé de 55 ans et sort de sa retraite pour lutter contre le crime.
The Dark Knight n'a rien à voir avec l'âge d'or des comics (années 1960), mais on voit très facilement comment la série a influencé le nouveau Batman des films DC, qui est lui aussi très sombre dans sa brutalité, son côté vieilli et désabusé, mais aussi tout simplement dans le travail de Zack Snyder sur les lumières, la mise en scène et la photographie - là où la trilogie de Christopher Nolan était beaucoup plus lumineuse et aérée, loin des Batman nocturnes habituels.

Cette importance du script explique aussi assez clairement pourquoi les films Les animaux fantastiques, en particulier le second, sont à ce point à chier. Là où, sur les 4 derniers films Harry Potter, le réalisateur David Yates pouvait se reposer sur un véritable scénariste (Steven Kloves et, dans Harry Potter et l'Ordre du Phénix, Michael Goldenberg), c'est J.K. Rowling qui écrit elle-même les films "centrés" sur Newt Scamander.
Dans Les crimes de Grindelwald, il y a vers la fin une séquence se déroulant dans un caveau où fusent les révélations sur certains personnages et, non seulement ces révélations sont stupides et inutiles au récit, mais en plus la scène est incroyablement longue et faible. Déjà que dans un roman, les séquences de dialogue interminable doivent être savamment dosées et écrites, dans un film, en particulier dans un film visant à l'action et au dynamisme, c'est aussi intolérable que malvenu. Clairement, J.K. Rowling n'est pas une scénariste et l'écriture d'un script ne répond pas du tout aux mêmes dynamiques de personnages et de mise en scène qu'un roman.

Bref : pour réaliser un film ou une série, on s'appuie avant tout sur un script, qui est rédigé, réécrit, remanié et amélioré par des scénaristes, qui peuvent se succéder, être remplacés en nombre plus ou moins grand en fonction de la qualité des scripts qu'ils produisent. Le réalisateur ou la réalisatrice se repose principalement sur ce script, mais aussi sur des story-boards qui sont des sortes de "bandes-dessinées" représentant schématiquement les scènes à tourner avant leur réalisation.
Si vous pensez qu'une adaptation est nulle, vous ne critiquez pas seulement le travail de réalisation : vous chiez aussi sur celui des scénaristes et des story-boarders. Un film ou une série a pour objectif de raconter une histoire originale, pas de reproduire un récit qui existe déjà. Des modifications sont incontournables et souvent même NÉCESSAIRES pour que l'histoire en question soit ADAPTÉE à son nouveau format : on n'écrit pas un film comme on écrit un roman, un jeu vidéo ou une bande dessinée. Chaque support artistique possède ses techniques créatives et narratives, ses moyens de mise en œuvre, ses objectifs techniques et narratifs.


Bien évidemment, le script seul ne suffit pas à définir une adaptation et de manière plus générale un film ou une série, bien qu'il soit un incontournable de leur réalisation. Comme je l'ai dit, les scripts sont réécrits et modifiés plusieurs fois avant d'atteindre la forme finale qui sera mise en scène par les réals, et même un bon script peut donner une mauvaise réalisation.
Le risque est d'autant plus présent concernant les adaptations puisqu'elles supposent de connaître un minimum le matériau d'origine, et je l'ai dit, c'est le boulot des scénaristes qui écrivent le script... sauf que tout le monde n'a pas le curseur de professionnalisme au même niveau ni n'est prêt·e à se taper de longues heures dans un jeu vidéo ou devant des comics pour connaître suffisamment l'œuvre dont sera tirée l'adaptation.

Quoi qu'il en soit, un script, vous l'avez vu, c'est un guide général : tout ce qui sera à l'écran dans chaque scène de chaque film/série s'y trouve indiqué, mais cela laisse une marge de manœuvre sur le comment de la chose. Comment seront dirigé·e·s les interprètes, quelles sont les intentions de jeu, les attitudes adoptées pour les personnages, et de manière plus évidente tout ce qui est lié à la réalisation elle-même.
Comment seront placées les caméras, quels mouvements elles réaliseront, quels seront le cadrage et l'éclairage, quel genre de musique va accompagner l'action (notez que les moments d'absolu silence ou sans musique sont très rares dans une bande-son de film), tant d'éléments qui ne sont pas dans le script, qui dépendent de la réalisation, de la composition musicale et du département technique. Bref : tous ces éléments contribuent à personnaliser un projet de film ou de série en fonction de son équipe et peuvent à partir du personnel qui travaille sur ce projet donner des résultats aussi variés que le drame shakespearien pour le Thor de Kenneth Branagh (un réalisacteur britannique qui est déjà un spécialiste de Shakespeare), le space-opera coloré et vintage du Thor Ragnarok de Taika Waititi et, entre les deux, la grosse merde de Thor : le monde des ténèbres d'Alan Taylor.

Le choix de rendre ce film beaucoup plus bucolique que les deux précédents, celui d'une mise en scène plus contemplative, avec des transitions paysagères ou végétales, c'est déjà un choix de réalisation, une signature personnelle d'Alfonso Cuaron qui le détache des deux Harry Potter très académiques de Chris Colombus.

Dans un autre genre, on dit souvent qu'Harry Potter et le prisonnier d'Azkaban, film d'Alfonso Cuaron, est un des meilleurs volets de la saga Harry Potter. Et en effet, c'est un film magnifique dans lequel Cuaron a pu exprimer son style personnel. Juste : comparez ce film à tout le reste de la saga Harry Potter ; ça n'a absolument rien à voir.
Des tas d'exemples similaires existent mais certains sont extrêmement éloquents : le personnage d'Arthur Curry/Aquaman, dans les comics, est le roi d'Atlantis et le maître des océans mais, à quelques exceptions près (comme Blackest Night), il n'est pas spécialement sombre ou horrifique. Le réalisateur australo-malais James Wan, en revanche, a fait ses premières armes dans le cinéma d'horreur (Saw, Insidious, Conjuring), et a donc utilisé cette expérience dans son Aquaman, dont toute une partie (les séquences dans le royaume de la Fosse) entretient clairement une ambiance d'épouvante sombre et monstrueuse.

Comme ça au passage,
je peux dire que pour moi,
Drago Malefoy n'était pas
le premier rôle de Tom Felton.
Oui c'est lui le petit.
Évidemment, l'exemple le plus flagrant des variations de style, dans la réalisation et la mise en scène, selon le choix d'adaptation, c'est clairement celui d'une même œuvre originale adaptée plusieurs fois : la représentation la plus extrême (et la plus intéressante) à mon sens est constituée par le roman The borrowers (Mary Dent, Angleterre, 1952), adaptée dans la comédie très british Le petit monde des Borrowers en 1997 (avec Jim Broadbent, Tom Felton et Mark Williams qu'on retrouvera dans les Harry Potter, ainsi que Hugh Laurie (Dr House) et Flora Newbigin pour jouer Arrietty), et plus tard dans le film d'animation Arrietty : le petit monde des chapardeurs (2011), qui lui est totalement conforme au style japonais de Ghibli.

Je m'attendais à rien, et j'ai été
extrêmement surpris, parce que
ce film est à la fois
très drôle et bien écrit ^^
De manière plus personnelle, certaines adaptations éloquentes sont celle de Blanche-Neige par Tarsem Singh (2012) et celle du mythe arthurien par Alexandre Astier dans sa série Kaamelott. L'un comme l'autre se sont éloignés du style conte de fées/mythe médiéval que l'on trouvait dans les adaptations précédentes des récits - les plus emblématiques étant bien sûr le Blanche-Neige et les sept nains de Disney en 1937 et l'Excalibur de John Boorman en 1981 (que j'ai découvert très récemment et qui est magnifique au demeurant, regardez-le !) - pour adopter le style personnel du créateur.
Dans un cas, ça donne une comédie burlesque et très second degré qui, après son dénouement, se termine par une séquence musicale clairement typée Bollywood (Tarsem Singh est Indien), dans l'autre Alexandre Astier a longtemps (jusqu'à la saison 5) préservé un format court de série française classée humour absurde dans la lignée de Caméra Café et Un gars/Une fille.
 
Au passage, Excalibur de John Boorman (1981) est peut-être vieux, notamment dans sa mise en scène et ses effets spéciaux, mais il reste incroyablement juste et intéressant dans son écriture, son interprétation et son adaptation du mythe arthurien.

Bref : le travail d'adaptation consiste avant tout, pour un·e créateurice, à s'approprier une œuvre existante pour écrire un récit original, en fonction de ses préférences techniques, stylistiques et narratives, dans le cadre de ce qu'on appelle une démarche d'auteurice. Cette démarche constitue une signature, une patte unique que l'on reconnaît peu importe l'œuvre évoquée, et qui se conforme à l'œuvre adaptée.


C'était l'idée générale de mon article et ce à quoi je voulais arriver : un film ou une série dans le modèle économique commercial (donc hollywoodien et par extension occidental), c'est super compliqué à réaliser et à financer. Le personnel technique est énorme - et souvent anonyme - et il est guidé par quelques personnes qui ont le statut d'employés et doivent livrer un produit fini à la production.
Ces intermédiaires, doté·e·s d'un pouvoir de décision variable, ce sont les scénaristes, réalisateurs et réalisatrices, compositeurs et compositrices, directeurs et directrices de la photographie (également appelé·e·s chefs opérateurices, responsable de tout ce qui est filmé, donc du travail sur les lumières et les couleurs en collaboration avec les réals), et aussi showrunners sur les séries télé.

Et surtout ce sont les gens qui décident de l'orientation du projet : dans le cadre d'une adaptation, de quelle manière celle-ci est réalisée, dans quel style narratif et visuel, quel est le compromis choisi entre la proximité avec l'œuvre originale et la prise de distance au profit d'un récit neuf. Il est donc totalement aberrant de parler de bonne ou de mauvaise adaptation puisqu'il s'agit de la création d'une œuvre culturelle nouvelle, dans un format différent. L'adaptation suppose donc des changements techniques et narratifs, changements qu'il faut savoir reconnaître et accepter.
Une adaptation peut être plus ou moins réussie en fonction du format où il a été décidé qu'elle serait faite, mais dans tous les cas, c'est un film ou une série qu'on doit considérer, non son rapport avec une œuvre préexistante.

C'est, à mon avis, l'expression du sens critique le plus élémentaire que de considérer une création culturelle pour ce qu'elle est, en la replaçant dans son contexte, mais en ne cédant pas à la facilité de la comparaison entre films ou entre séries. Il n'y a PAS de mauvaise adaptation, pas plus qu'il n'existe de film meilleur qu'un autre ou de série qui surpasse toutes les autres. Il y a des œuvres qui ont fait l'objet de nombreux choix créatifs ou commerciaux, et il faut vivre avec cette idée, voire mieux : l'apprécier.
Bref : cultivez-vous et faites preuve de recul ^^ À la prochaine ! :)

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