Voyez donc l’article que vous allez lire et sa suite prochaine comme la préquelle de la vie de Jules César et de son fils adoptif ^^
J’ai assez longuement évoqué à propos de la dynastie julio-claudienne le fait que, parmi les nombreux ennemis de Rome qui ont jalonné l’histoire de la cité devenue empire, les Germains figuraient en bonne place (parce que c’est une question qui m’intéresse particulièrement, tmtc, j’ai même fait un article à propos de ma légitimité à vulgariser).
Mais il faut savoir que si l’Occident devenu romain (l’Espagne, la Gaule et plus tard la Bretagne) a présenté un défi pour la cité italienne – parce que les sociétés locales y étaient en moyenne moins urbanisées, moins élaborées et parce que le territoire était moins transformé qu’en Orient, dans cette dernière partie du monde antique, les adversaires de Rome étaient beaucoup plus vénères – et on pense bien sûr aux Parthes, héritiers politiques et territoriaux des Perses.
Aujourd’hui on va parler à la fois d’un fléau endémique de la Méditerranée orientale auquel s’est confrontée Rome, ainsi que d’un autre redoutable ennemi des Romains, moins durable dans le temps que les Germains ou les Parthes, mais tout aussi emblématique culturellement et politiquement qu’un Hannibal ou un Spartacus, au sein d’une période qui changera à jamais les rapports politiques et militaires entre Rome et le monde antique.
I. La structure sociale romaine à la fin du IIème siècle avant notre ère et la prise en main de l’Asie.
Tout commence en 133 avant Jésus-Christ (mais l’ensemble de notre sujet du jour sera avant l’ère présente de toute façon) dans un contexte très compliqué pour Rome, alors je vais m’efforcer de simplifier en y allant par étapes ^^
D’abord, comme beaucoup de cités antiques, y compris (et surtout) dans le monde grec, Rome est une oligarchie. Elle a été fondée comme une royauté mais est devenue une république, et à ce titre, elle a dans les premiers temps de son existence des ambitions relativement modestes (contrairement à la Macédoine de Philippe V et son fils Alexandre, ou à l’empire perse, qui sont des royautés et peuvent donc s’appuyer sur un territoire vaste pour renforcer leur puissance). En outre, comme les oligarchies – et notamment Athènes – Rome fait reposer sa « politique extérieure », disons, sur le commerce et les traités avec les voisins plus que sur la conquête (encore une fois, une cité n’a pas une population extensible à l’infini).
L'Italie romaine autour de 100 avant notre ère. En vert, Rome et ses colonies, en rouge et en rose, les cités de droit italien et les cités alliées, qui ne bénéficiaient pas des avantages fiscaux, juridiques et judiciaires du droit romain, constituaient les troupes auxiliaires des légions et recevaient un part amoindrie du butin de guerre.
Là où ça nous concerne c’est qu’en 133, Rome ne possède pas encore de colonies hors d’Italie, et même dans la péninsule, son pouvoir repose principalement sur le clientélisme à l’égard d’autres cités-états (notamment dans le sud de la Botte) qui doivent payer aux Romains des contingents militaires et un impôt en échange de sa protection et d’une partie du butin de guerre. Ce qui n’est pas sans créer des tensions, notamment concernant l’accès à l’ager publicus, les terres publiques sur lesquelles sont fondées les colonies (parce que bon, pendant la majeure partie de l’Histoire, la richesse a reposé sur le contrôle de la terre et sur l’agriculture, il a fallu attendre l’avènement du grand négoce et celui de l’industrialisation pour voir la puissance économique se polariser). Tensions sociales qui ont donné naissance à deux grands courants au sein de l’aristocratie et la classe sénatoriale romaine, celle des optimates – « les meilleurs » – et celle des populares – « les populistes ».
Comme on peut s’y attendre, ces deux courants ont donc leurs grandes figures, et se battent parfois férocement pour le pouvoir à Rome. Voilà, ça c’était pour le contexte – tensions politiques entre Rome et ses colonies d’une part, tensions sociales entre nobles romains conservateurs et nobles plus progressistes, favorables au peuple de Rome et à l’extension de la citoyenneté romaine aux cités fédérées d’autre part.
En 133, donc, arrive un événement qui va changer radicalement la position de Rome dans l’Orient (la division entre Occident et Orient se situe au niveau des Balkans, dont les côtes sont jalonnées de cités grecques), où jusque là Rome n’avait que des alliés et des partenaires commerciaux ou politiques.
Dans la ville de Rome même, le tribun de la plèbe Tiberius Gracchus, qui avait proposé au Sénat une loi limitant la superficie des terres possédées par les citoyens les plus riches pour redistribuer l’excédent aux plus pauvres, est assassiné et son corps est jeté dans le Tibre, le fleuve de Rome. Je rappelle, le Tribun de la plèbe est le seul magistrat qui représente le petit peuple, sa personne est sacrée. Je sais que le socialisme n’a pas bonne presse chez les Romains, mais quand même…
Carte de l’Anatolie autour de 133 avant notre ère : les royaumes issus de l’empire d’Alexandre le Grand sont bien identifiés, de même que les cités grecques indépendantes (en rouge).Dans la ville de Pergame, qui se situe en Asie (actuelle Anatolie, c’est la péninsule occupée par la Turquie), le roi Attale III, allié de Rome, meurt sans héritier et lègue par testament son pouvoir à Rome. En Italie, c’est le bordel : on adore le droit et la loi, mais on ignore si la Cité elle-même et son peuple peuvent être constitués en entités juridiques susceptibles de recevoir un héritage. Avant que la question puisse être tranchée, le frère bâtard d’Attale III, Aristonicos, décide de s’emparer du pouvoir alors même que, dans le royaume de Pergame, certaines cités étaient favorables à l’arrivée de Rome.
Pour les Romains, cette initiative met fin aux débats : la cité italienne n’est pas spécialement impérialiste, mais elle ne tolère pas qu’on s’en prenne à ses territoires, et envoie manu militari Scipion Nasica pour reprendre le territoire de Pergame, pour deux raisons. D’abord parce que la gens Cornelia, la famille des Scipions, est spécialiste dans l’art de poutrer les ennemis de Rome (Scipion l’Africain est le vainqueur d’Hannibal tandis que Scipion Emilien a participé à la conquête de la Grèce, a définitivement rasé Carthage et s’est emparé de la cité espagnole de Numance après avoir défait les Celtibères, également en Espagne). La seconde raison de l’envoi de Nasica en Orient, c’est de protéger son cul, salement mis en danger depuis qu’il s’est rendu responsable de l’assassinat d’un certain Tiberius Gracchus, tribun de la plèbe…
L’ennui c’est que Nasica n’a pas hérité le talent de ses aïeux pour la chose militaire et est tué dès son arrivée à Pergame. Qu’à cela ne tienne, Rome nomme un nouveau Grand Pontife (la fonction ne se transmet que par la mort de son détenteur) en 131 en la personne de Publius Licinius Crassus, qui va lui aussi à Pergame, et qui est lui aussi tué très rapidement. Histoire de resituer le personnage, il est l’arrière-grand-père de Marcus Licinius Crassus Dives (le Riche), membre du Triumvirat de Jules César et Pompée, qui pour obtenir la même gloire militaire que ceux-ci, va attaquer l’empire Parthe, être capturé et se faire verser de l’or fondu dans la bouche par dérision pour sa cupidité. Comme quoi, chez les Crassus, se faire botter le cul en Orient, c’est une tradition familiale.
Des alliés de Rome, seule la cité de Rhodes parvient avec sa flotte à tenir en échec celle de Pergame. Aristonicos, alors maître en ses terres, écrase les aristocrates de taxes pour se refaire – ils décident alors qu’en fait les Romains ne sont pas si mal. Rome envoie alors un nouveau consul en Orient – heureusement qu'il y en a deux par an – en la personne de Marcus Perperna, qui parvient, lui, à vaincre le bâtard – c'est pas insultant, Aristonicos était vraiment illégitime – et l'envoie prendre une retraite anticipée en Italie avec toute la fortune de son royaume. Nous sommes en 130 et Aristonicos sera exécuté l'année suivante sur ordre du Sénat (ouais, quand on est vaincu par Rome, la retraite italienne est violente, demandez à Vercingétorix). Perperna n'a cependant pas la chance d'aller recevoir un Triomphe, puisqu'il meurt à Pergame sur le voyage du retour. Décidément, y'a un truc dans l'air en Orient ou quoi ?
C'est donc à un certain Manius Aquilius que revient la tâche d'organiser la nouvelle province d'Asie, dont il démantèle une partie pour donner la Lycaonie à la Cappadoce, tandis que la Phrygie est abandonnée puis récupérée par le royaume du Pont.
Carte de l’Anatolie antique qui figure les grandes régions historiques (de culture gréco-orientale après la conquête d’Alexandre, oubliez la légende). La nouvelle province romaine d’Asie correspond à la Troade, la Mysie, la Lydie, la Carie et la côte occidentale. Le royaume du Pont s’étend en Phrygie, Galatie et Paphlagonie.II. Le problème de la Cilicie.
Pour bien comprendre les enjeux dont je vais parler maintenant, il faut savoir que Rome n'a jamais été une grande puissance navale, contrairement à ses nombreux ennemis : Carthage, la Macédoine, le royaume Séleucide et l’Égypte ont toujours été des puissances maritimes. La république africaine est issue de la colonisation phénicienne (et les Phéniciens ont toujours été de grands marins et commerçants navals) tandis que les autres royaumes appartiennent au monde grec (y compris l’Égypte depuis sa conversion à la culture grecque sous la dynastie ptolémaïque), dont la navigation est un élément central (à la fois sur la mer Égée et en Méditerranée orientale). C’est bien simple, étant donné que Sparte est une puissance terrestre (et isolationniste), sa victoire finale contre Athènes à la fin de la guerre du Péloponnèse n’a jamais abouti à sa domination de la Grèce et ce sont toutes les cités maritimes de l’ancienne Ligue de Délos (l’empire athénien) qui occupent les flots orientaux à la fin du IIème siècle.
La force de Rome, en revanche, repose sur une armée très bien structurée et équipée, des soldats très compétents (notamment la Légion, une infanterie lourde à épée plus maniable que les phalanges grecques) ainsi qu’une écrasante démographie. Pour le dire simplement, quand Rome est en guerre contre un ennemi, même si elle souffre de désavantages, elle finit par rouler dessus et par absorber ce qui la renforce : les cavaliers barbares, les archers orientaux et même les éléphants deviennent des auxiliaires de légion.
Concernant la guerre sur mer, Rome élimine la menace navale par la pression sur les vaincus, qui sont forcés de limiter leur flotte : Carthage est réduite à 10 navires en 202, la Macédoine à 6 en 197 et les Séleucides à 10 navires en 188. Cependant, ce vide omniprésent des flottes de guerre dans la Méditerranée laisse le champ libre aux pirates qui s'appuient sur les territoires qui la bordent. Or, la guerre contre Pergame a sérieusement affaibli la flotte de Rhodes, une des grandes puissances navales de Méditerranée orientale à l’époque, qui ne peut donc enrayer la piraterie.
Neptune et les pirates, mosaïque romaine, musée national du Bardo, Tunis.L'un des territoires riverains en particulier, la Cilicie, qui a par ailleurs souffert des appétits territoriaux de ses voisins, est juste devenu un refuge pour paysans ruinés coincé entre les montagnes et la côte. Et les paysans ruinés, quand la terre ne leur apporte plus rien, ils font quoi ? Bah ouais. Ils deviennent des pirates pour profiter du commerce d'esclaves dont tout le monde fait usage à l'époque.
Alors là, ça va très vite. Les pirates ciliciens, à bord de leurs petits navires, se dirigent vers l'ouest (la seule direction possible quand on quitte la Cilicie par la mer, si tu sais lire une carte), passent Rhodes qu'ils ne tiennent pas à attaquer, et s'installent en Crète.
De là, ils écument les côtes d'Anatolie et de Grèce, et poussent même jusqu'à l'Italie. Bref, la mer Égée, c'est un peu la maison. Pense donc, ils parviennent même à couper les routes commerciales entre Rome et l'Asie. La Méditerranée centrale, c'est carrément leur territoire. C'EST DU PIRATE DE HAUT NIVEAU LÀ.
Nous sommes donc en 102, et le Sénat désigne Marcus Antonius pour déloger et vaincre les pirates. Parallèlement, la Cilicie Pédicule (Κιλικία πεδιάς ou Kilikia Pedias, soit « Cilicie Plate ») c'est-à-dire la partie orientale de la région est réduite en province (il faut savoir que « province », provincia en latin, ça veut dire « territoire à vaincre », ça ne veut pas dire que Rome contrôle *déjà* le territoire en question) par les Romains, mais l'ouest, la Cilicie Trachée (Κιλικία Τραχεία en grec), soit les montagnes, sert toujours de refuge aux pirates.
Marcus Antonius parvient - provisoirement - à chasser les pirates de Crète, mais cela ne suffit pas à contrecarrer la menace qu'ils représentent.
Carte de la Cilicie antique : la limite entre la Cilicie Pédicule (plate et fertile) à l’est et la Cilicie Trachée (montagneuse et inaccessible) à l’ouest se situe plus ou moins au niveau de la ville de Tarsus.
Maintenant, ce qu'il faut savoir, c'est que cette lutte contre les pirates n'a pas pour objet le seul contrôle de la Cilicie (que Rome ne cherche même pas à conquérir à la base). L'enjeu est évidemment la libre-circulation des flottes, principalement romaine, en Méditerranée (parce que la république n'est pas la seule à envoyer des navires en mer, le quidam de base qui vit de la pêche ou du commerce le fait aussi et lui il a pas une marine de guerre pour le protéger), mais les Romains visent aussi, en Cilicie, à réduire une menace et à s'ouvrir un chemin vers le cœur de l'Anatolie et la Cappadoce pour attaquer sur ses flancs un autre ennemi de Rome en Anatolie, un certain Mithridate.
III. La montée en puissance de Mithridate.
Remontons en arrière de quelques années.
Il faut savoir qu’à la mort d’Alexandre le Grand (ou Alexandre de Macédoine) et sur les vestiges de l’empire immense qu’il a unifié ont été constitués de nombreux royaumes. Certains sont plutôt de culture grecque, comme le royaume séleucide (de Séleukos) ou celui de Pergame, mais la plupart sont, grâce à la conquête macédonienne, des métissages de culture grecque et orientale, comme les royaumes de Bactriane (un bordel montagneux et inaccessible qui a longtemps résisté à Alexandre, mais être impossible à contrôler c’est une tradition pour ce territoire qui se trouve en actuel Afghanistan…), d’Égypte ptolémaïque (de Ptolémée) ou… du Pont (qui borde le Pont-Euxin, c’est-à-dire la Mer Noire).
Or, en 120, le roi Mithridate V du Pont meurt et laisse derrière lui un fils aîné, Mithridate, ainsi qu’une veuve éplorée et un fils cadet. Notre antagoniste du jour décide alors de se retirer dans les montagnes (sûrement pour se radicaliser ou pour étudier des techniques de ninja avec la Ligue des Ombres comme le Batman de Christopher Nolan) et fait son retour en 112 où il décide de faire assassiner sa mère et son frère puis prend le surnom Mithridate VI Eupator, « de noble naissance ». On a le sens de la famille, dans le Pont.
Histoire de renforcer sa mainmise sur le Pont-Euxin et de prendre quelques levels en cas d’affrontement avec les Romains, Mithridate décide d’aller botter les fesses des Scythes qui, au nord, menacent les Grecs de Chersonèse (actuelle Crimée), s’étend vers la Colchide (Caucase), l’Arménie Mineure et une partie de la Paphlagonie qui est partagée avec le royaume voisin de Bythinie. Et au passage, puisque les Romains s'y intéressent pas, Mithridate décide de récupérer la Phrygie, parce que pourquoi pas.
Nous sommes actuellement en 107 et Rome ne peut évidemment pas intervenir contre cette politique expansionniste, puisqu’elle est très occupée à lutter contre le roi Jugurtha de Numidie, ancien allié de Carthage qui se dit qu’il peut devenir la nouvelle puissance africaine, au sein d'une guerre qui voit se renforcer les rivalités entre généraux optimates et populares.
Buste de Mithridate VI Eupator en Hercule (avec une peau de lion sur la tête) du Ier siècle avant notre ère, Musée du Louvre, Paris.
Parallèlement à ses conquêtes, Mithridate intervient plus « subtilement » dans la géopolitique régionale : sa demi-sœur Laodicée, mariée au roi Ariarathe VI de Cappadoce, a donné naissance à un garçon. Le père est assassiné (possiblement par son épouse, qui avait fait l’objet d’un mariage forcé organisé par son père, Mithridate V, en règlement d’un conflit avec la Cappadoce). Laodicée devient alors régente du jeune Ariarathe VII Philométor (« qui aime sa mère »).
Craignant la montée en puissance du Pont – tu m’étonnes – le roi Nicomède III de Bythinie envahit la Cappadoce et épouse Laodicée : Mithridate, pas super ravi de l’événement (ou alors vénère parce qu’il a pas été invité aux noces, on saura jamais), décide d’attaquer à son tour, chasse le couple, fait assassiner le petit Ariarathe VII et son jeune frère (temporairement devenu Ariarathe VIII) et installe à leur place sur le trône son propre fils Ariarathe IX Philopator (« qui aime son père », bah tiens). Cette succession d’événements se déroule entre 100 et 98.
Là tu comprends pourquoi les Romains ont envie d’entrer en Cappadoce, si possible par le sud, la route occidentale étant bien sûr fermée par le royaume du Pont : pour la mettre à l'envers à Mithridate.
En Bythinie, Nicomède IV succède à son père en 94 et Mithridate, grand seigneur, accepte cet avènement et établit rapidement des traités avec lui et le roi Tigrane II d’Arménie (son propre gendre, on reste en famille). Puisque Rome possède la province d’Asie, à l’ouest de l’Anatolie, la Cappadoce fait appel aux Italiens qui appuient un noble du nom d’Ariobarzane, lequel devient roi au détriment d’Ariarathe IX Philopator en 93 et avec le cognomen (surnom) Philoromaios, l’ami des Romains. Visiblement avec un nom pareil le type en a marre de la vie, et en effet Tigrane d’Arménie le chasse du pouvoir très rapidement.
Rome ne peut pas intervenir pour maintenir en place son pantin de Cappadoce : les tensions sociales entre la république italienne et les cités fédérées ont dégénéré : c'est la Guerre Sociale, qui oppose les Romains à la plupart des villes du sud de la péninsule. Lors de cette guerre courte et violente, les cités fédérés sont favorisées dans un premier temps, déjà parce qu’elles ont des alliés et ont pris Rome de court, ensuite parce que les chefs romains Marius et Sylla passent leur temps à rivaliser pour savoir lequel sera le plus glorieux. Il faut savoir que Marius, chef de file des populares (les populistes) est plutôt sur le déclin après d’importants triomphes face à la Numidie et à une invasion germanique (celle des Cimbres et des Teutons, en 120), tandis que Sylla, qui mène les optimates (les aristocrates) est l’étoile montante du moment, notamment après avoir capturé le roi Numide Jugurtha sous les ordres de Marius.
L'Anatolie entre la prise en main de l'Asie et les guerres mithridatiques : en rouge, la république romaine, en rose, ses protectorats, en vert bouteille le Pont et en vert pomme l'Arménie alliée au Pont. La Syrie séleucide et l'empire parthe sont aussi mentionnés.
Tu te souviens de Manius Aquilius, le type que Rome avait chargé d’organiser la nouvelle province d’Asie après l’avoir sécurisé face au prétendant Aristonicos ? Et ben son neveu, Manius Aquilius Nepos (« le neveu ») replace de force Ariobarzane Philoromaios sur le trône de Cappadoce, exige de Mithridate une compensation financière (lol, quel doux rêveur) et pousse Nicomède IV de Bithynie à affronter Mithridate, histoire d’appuyer les demandes. Ce dernier envoie plus ou moins ses adversaires se faire voir en attaquant la Cappadoce et la Bithynie en même temps entre 89 et 88, met en déroute les deux rois, capture le Romain et utilise lui aussi la compétence Humilier les gens qui exigent du fric (c’est une compétence courante quand ton personnage est d’ethnie Orientale) : il lui verse de l’or fondu dans la bouche.
Quitte à faire son boulot correctement, Mithridate pousse d’ailleurs jusqu’à l’extrémité occidentale de l’Anatolie, c’est-à-dire la province romaine d’Asie, dont il s’empare avant de massacrer environ 80 000 Romains et de supprimer les impôts pendant 5 ans. Charmant garçon hein ? Rhodes, la fameuse et grande cité-île du sud-ouest de la région est alors la seule à résister encore et toujours à l’envahisseur, mais elle est beaucoup trop occupée par les pirates de Cilicie pour pouvoir intervenir face à Mithridate (de toute façon, les cités grecques sont généralement de piètres puissances terrestres).
Celui-ci, pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? poursuit sa route jusqu’au grand sanctuaire grec de Délos, au milieu de la mer Égée, qui est ravagé par ses troupes, puis soulève les Grecs (récemment conquis par Rome) contre la république italienne. Des hommes de confiance sont alors placés partout : son fils Pharnace dans le Pont, son fils Ariarathe IX en Cappadoce et Galatie, son général Archélaos en Grèce.
Pseudo-Marius d'époque augustéenne (-31/14), Glyptothèque de Munich, vraisemblablement produit au sein d'une galerie de portraits de héros de la république, et donc d'une fiabilité douteuse. Grand général, réformateur de l'armée, consul puis dictateur, Marius (157-86) était le chef de file des populares et le modèle de Jules César, son héritier politique, dont il avait épousé la tante.
IV. La première guerre mithridatique.
Loin d’être inactifs, les Romains ont terminé la Guerre Sociale : ils ont vaincu les cités fédérées mais leur ont accordé la citoyenneté exigée ; en fait ils sont tellement ruinés qu’ils sont obligés de vendre des terres publiques à cet afflux de nouveaux plébéiens pour se refaire. Les deux principaux candidats à la guerre contre Mithridate sont alors Pompeius Strabo, cruel et avare vainqueur de la Guerre Sociale, et Marius, général déclinant mais toujours pas décidé à prendre sa retraite. Sylla, le rival de ce dernier, bénéficie du soutien des Cæcilii Metelli dont Marius est un client (la pratique du clientélisme est une relation de protection de la part des patrons et de service de la part des clients, c’est un lien social semblable à la féodalité et qui existe toujours aujourd’hui en politique), ainsi que de Pompeius Rufus, son co-consul pour l’année 88. À l’aide de ces deux importants appuis, il essaie d’empêcher Marius d’accéder à une plus grande gloire, ce à quoi celui-ci répond en allant trouver le tribun de la plèbe Sulpicius Rufus, qui fait voter au Sénat une loi conférant le commandement militaire à Marius et chassant de l’institution ses membres les plus endettés, y compris Sylla.
Pour se venger, le chef des optimates, qui avait préparé des légions en vue de « sa » guerre en Orient, mène celles qui sont encore en Italie dans le Pomerium, l’espace de la ville de Rome : il envahit littéralement la cité, chasse Marius en Afrique et fait massacrer Sulpicius Rufus. Aux élections qui suivent, en 87, est nommé Consul un partisan de Marius, Cinna, qui le fait revenir d’Afrique. Tous les deux sont à nouveau consuls en 86 mais pour Marius, c’est la septième (!!) et dernière fois, puisqu’il meurt dans l’année, laissant Sylla seul face à Mithridate.
Dans cette perspective, le général romain a donc commencé, dès 87, à contre-attaquer les Orientaux en meulant la face d’Archélaos à Chéronée, en Grèce : Athènes est pillée par les légions avant deux nouvelles arrivées en 86. L’une est celle de renforts pontiques venus par la Thrace et la Macédoine (donc par la terre, au nord-nord-est de la Grèce, comme Darius et Xerxès lors des guerres médiques), l’autre est celle du Romain Lucius Valerius Flaccus, venu relever Sylla de ses fonctions. Celui-ci envoie chier le nouveau venu en provoquant dans son armée une mutinerie qui lui fait gagner une partie des troupes romaines fraîches. Les Pontiques sont alors écrasés à 40 000 contre les 15 000 soldats de Sylla, puis s’efforcent de retourner en Asie devant l’armée fuyarde mais toujours menaçante de Flaccus. Ce dernier, vexé de ne pouvoir être le grand adversaire de Mithridate (j’ai envie de dire c’est pas dommage) se réfugie à Byzance où il est assassiné par son second, Fimbria (c’est ballot ça !). Celui-ci décide d’instaurer son commandement par le sac et l’incendie d’Illion, une cité grecque d’Asie qui, déjà, serait le site historique de Troie (Ilios), ensuite s’était placée sous la protection de Sylla (hum…).
Pseudo-Sylla d'époque augustéenne et de la même série que le pseudo-Marius, Glyptothèque de Munich. Opposant de Marius, Sylla (138-78) était le chef de file des optimates, les aristocrates conservateurs de Rome, favorables au privilège de classe et au Sénat. Comme son ennemi, il a lui-même été sénateur, consul et dictateur et a inspiré le général Pompée le Grand.
L’annonce de la victoire de celui-ci est un signal de révolte pour certaines cités grecques qui se révoltent contre Mithridate : le roi du Pont renonce à ses conquêtes, paie une rançon et livre des otages. Sylla, professionnel jusqu’au bout, poursuit sa route jusque Pergame (en Asie donc) et assiège la ville où Fimbria se suicide. Les cités grecques restées fidèles à Mithridate, des deux côtés de la Mer Égée, sont écrasées par un lourd impôt et la province d’Asie est divisée en 44 circonscriptions étroitement contrôlées.
En Italie, le retour triomphal de Sylla est une mauvaise nouvelle pour les populares : Cinna et les derniers partisans de Marius sont massacrés ou proscrits. Un petit nombre parvient à s’échapper, notamment un jeune noble qui fait ses débuts en politique et va endosser une magistrature militaire en Asie pour fuir les dangers. Son nom : Caius Julius Caesar, 4ème du nom. De son côté, un jeune avocat du nom de Cicéron fait lui aussi ses débuts dans la vie publique en dénonçant vertement les proscriptions et la violence.
Première conclusion.
On va s’arrêter là pour l’instant parce qu’on a déjà appris beaucoup avec cet article.
Je résume : entre la fin du IIème siècle et le début du Ier siècle avant Jésus-Christ, Rome est certes une puissance majeure de Méditerranée occidentale, mais elle n’a pas encore les moyens économiques, militaires et démographiques de contrôler directement tout le bassin méditerranéen. Elle s’appuie donc sur les traités et les alliances, notamment à l’intérieur même de l’Italie, bien que les cités fédérées considèrent (à juste titre) les traités en question injustes par rapport au coût en or et en hommes de la protection romaine.
Mais le jeu des alliances et des guerres en Grèce a donné à Rome le contrôle d’une partie du pays, ce qui pousse un roi oriental à faire de la république italienne son héritière politique. Les Romains font leur entrée en Orient et mettent les pieds dans le plat des royaumes gréco-orientaux issus de l’empire d’Alexandre le Grand, déjà bien occupés à batailler entre eux et pas ravis qu’un nouveau joueur rejoigne la partie. Ces guerres presque permanentes en Orient ont permis la montée en puissance de la piraterie cilicienne, qui devient vite un problème pour toute la Méditerranée.
Rome, de son côté, est affaiblie et minée par trois fléaux : la Guerre Sociale contre ses alliés italiens, la guerre civile entre les nobles romains divisés en deux factions férocement ennemies, et surtout le fait que les généraux vainqueurs utilisent leurs victoires pour asseoir une carrière et un contrôle politiques grandissants dans la République.
La république italienne ne peut donc pas lutter efficacement contre les pirates (à cause de Mithridate qui concentre les efforts romains), ni éliminer définitivement Mithridate (à cause des pirates qui déstabilisent dramatiquement l'économie et l'approvisionnement), et surtout elle est à la merci des imperatores et de leurs ambitions...
Carte de la Cilicie antique : la limite entre la Cilicie Pédicule (plate et fertile) à l’est et la Cilicie Trachée (montagneuse et inaccessible) à l’ouest se situe plus ou moins au niveau de la ville de Tarsus.Maintenant, ce qu'il faut savoir, c'est que cette lutte contre les pirates n'a pas pour objet le seul contrôle de la Cilicie (que Rome ne cherche même pas à conquérir à la base). L'enjeu est évidemment la libre-circulation des flottes, principalement romaine, en Méditerranée (parce que la république n'est pas la seule à envoyer des navires en mer, le quidam de base qui vit de la pêche ou du commerce le fait aussi et lui il a pas une marine de guerre pour le protéger), mais les Romains visent aussi, en Cilicie, à réduire une menace et à s'ouvrir un chemin vers le cœur de l'Anatolie et la Cappadoce pour attaquer sur ses flancs un autre ennemi de Rome en Anatolie, un certain Mithridate.
III. La montée en puissance de Mithridate.
Remontons en arrière de quelques années.
Il faut savoir qu’à la mort d’Alexandre le Grand (ou Alexandre de Macédoine) et sur les vestiges de l’empire immense qu’il a unifié ont été constitués de nombreux royaumes. Certains sont plutôt de culture grecque, comme le royaume séleucide (de Séleukos) ou celui de Pergame, mais la plupart sont, grâce à la conquête macédonienne, des métissages de culture grecque et orientale, comme les royaumes de Bactriane (un bordel montagneux et inaccessible qui a longtemps résisté à Alexandre, mais être impossible à contrôler c’est une tradition pour ce territoire qui se trouve en actuel Afghanistan…), d’Égypte ptolémaïque (de Ptolémée) ou… du Pont (qui borde le Pont-Euxin, c’est-à-dire la Mer Noire).
Or, en 120, le roi Mithridate V du Pont meurt et laisse derrière lui un fils aîné, Mithridate, ainsi qu’une veuve éplorée et un fils cadet. Notre antagoniste du jour décide alors de se retirer dans les montagnes (sûrement pour se radicaliser ou pour étudier des techniques de ninja avec la Ligue des Ombres comme le Batman de Christopher Nolan) et fait son retour en 112 où il décide de faire assassiner sa mère et son frère puis prend le surnom Mithridate VI Eupator, « de noble naissance ». On a le sens de la famille, dans le Pont.
Histoire de renforcer sa mainmise sur le Pont-Euxin et de prendre quelques levels en cas d’affrontement avec les Romains, Mithridate décide d’aller botter les fesses des Scythes qui, au nord, menacent les Grecs de Chersonèse (actuelle Crimée), s’étend vers la Colchide (Caucase), l’Arménie Mineure et une partie de la Paphlagonie qui est partagée avec le royaume voisin de Bythinie. Et au passage, puisque les Romains s'y intéressent pas, Mithridate décide de récupérer la Phrygie, parce que pourquoi pas.
Nous sommes actuellement en 107 et Rome ne peut évidemment pas intervenir contre cette politique expansionniste, puisqu’elle est très occupée à lutter contre le roi Jugurtha de Numidie, ancien allié de Carthage qui se dit qu’il peut devenir la nouvelle puissance africaine, au sein d'une guerre qui voit se renforcer les rivalités entre généraux optimates et populares.
Buste de Mithridate VI Eupator en Hercule (avec une peau de lion sur la tête) du Ier siècle avant notre ère, Musée du Louvre, Paris.
Parallèlement à ses conquêtes, Mithridate intervient plus « subtilement » dans la géopolitique régionale : sa demi-sœur Laodicée, mariée au roi Ariarathe VI de Cappadoce, a donné naissance à un garçon. Le père est assassiné (possiblement par son épouse, qui avait fait l’objet d’un mariage forcé organisé par son père, Mithridate V, en règlement d’un conflit avec la Cappadoce). Laodicée devient alors régente du jeune Ariarathe VII Philométor (« qui aime sa mère »).
Craignant la montée en puissance du Pont – tu m’étonnes – le roi Nicomède III de Bythinie envahit la Cappadoce et épouse Laodicée : Mithridate, pas super ravi de l’événement (ou alors vénère parce qu’il a pas été invité aux noces, on saura jamais), décide d’attaquer à son tour, chasse le couple, fait assassiner le petit Ariarathe VII et son jeune frère (temporairement devenu Ariarathe VIII) et installe à leur place sur le trône son propre fils Ariarathe IX Philopator (« qui aime son père », bah tiens). Cette succession d’événements se déroule entre 100 et 98.
Là tu comprends pourquoi les Romains ont envie d’entrer en Cappadoce, si possible par le sud, la route occidentale étant bien sûr fermée par le royaume du Pont : pour la mettre à l'envers à Mithridate.
En Bythinie, Nicomède IV succède à son père en 94 et Mithridate, grand seigneur, accepte cet avènement et établit rapidement des traités avec lui et le roi Tigrane II d’Arménie (son propre gendre, on reste en famille). Puisque Rome possède la province d’Asie, à l’ouest de l’Anatolie, la Cappadoce fait appel aux Italiens qui appuient un noble du nom d’Ariobarzane, lequel devient roi au détriment d’Ariarathe IX Philopator en 93 et avec le cognomen (surnom) Philoromaios, l’ami des Romains. Visiblement avec un nom pareil le type en a marre de la vie, et en effet Tigrane d’Arménie le chasse du pouvoir très rapidement.
Rome ne peut pas intervenir pour maintenir en place son pantin de Cappadoce : les tensions sociales entre la république italienne et les cités fédérées ont dégénéré : c'est la Guerre Sociale, qui oppose les Romains à la plupart des villes du sud de la péninsule. Lors de cette guerre courte et violente, les cités fédérés sont favorisées dans un premier temps, déjà parce qu’elles ont des alliés et ont pris Rome de court, ensuite parce que les chefs romains Marius et Sylla passent leur temps à rivaliser pour savoir lequel sera le plus glorieux. Il faut savoir que Marius, chef de file des populares (les populistes) est plutôt sur le déclin après d’importants triomphes face à la Numidie et à une invasion germanique (celle des Cimbres et des Teutons, en 120), tandis que Sylla, qui mène les optimates (les aristocrates) est l’étoile montante du moment, notamment après avoir capturé le roi Numide Jugurtha sous les ordres de Marius.
Tu te souviens de Manius Aquilius, le type que Rome avait chargé d’organiser la nouvelle province d’Asie après l’avoir sécurisé face au prétendant Aristonicos ? Et ben son neveu, Manius Aquilius Nepos (« le neveu ») replace de force Ariobarzane Philoromaios sur le trône de Cappadoce, exige de Mithridate une compensation financière (lol, quel doux rêveur) et pousse Nicomède IV de Bithynie à affronter Mithridate, histoire d’appuyer les demandes. Ce dernier envoie plus ou moins ses adversaires se faire voir en attaquant la Cappadoce et la Bithynie en même temps entre 89 et 88, met en déroute les deux rois, capture le Romain et utilise lui aussi la compétence Humilier les gens qui exigent du fric (c’est une compétence courante quand ton personnage est d’ethnie Orientale) : il lui verse de l’or fondu dans la bouche.
Quitte à faire son boulot correctement, Mithridate pousse d’ailleurs jusqu’à l’extrémité occidentale de l’Anatolie, c’est-à-dire la province romaine d’Asie, dont il s’empare avant de massacrer environ 80 000 Romains et de supprimer les impôts pendant 5 ans. Charmant garçon hein ? Rhodes, la fameuse et grande cité-île du sud-ouest de la région est alors la seule à résister encore et toujours à l’envahisseur, mais elle est beaucoup trop occupée par les pirates de Cilicie pour pouvoir intervenir face à Mithridate (de toute façon, les cités grecques sont généralement de piètres puissances terrestres).
Celui-ci, pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? poursuit sa route jusqu’au grand sanctuaire grec de Délos, au milieu de la mer Égée, qui est ravagé par ses troupes, puis soulève les Grecs (récemment conquis par Rome) contre la république italienne. Des hommes de confiance sont alors placés partout : son fils Pharnace dans le Pont, son fils Ariarathe IX en Cappadoce et Galatie, son général Archélaos en Grèce.
Pseudo-Marius d'époque augustéenne (-31/14), Glyptothèque de Munich, vraisemblablement produit au sein d'une galerie de portraits de héros de la république, et donc d'une fiabilité douteuse. Grand général, réformateur de l'armée, consul puis dictateur, Marius (157-86) était le chef de file des populares et le modèle de Jules César, son héritier politique, dont il avait épousé la tante.
IV. La première guerre mithridatique.
Loin d’être inactifs, les Romains ont terminé la Guerre Sociale : ils ont vaincu les cités fédérées mais leur ont accordé la citoyenneté exigée ; en fait ils sont tellement ruinés qu’ils sont obligés de vendre des terres publiques à cet afflux de nouveaux plébéiens pour se refaire. Les deux principaux candidats à la guerre contre Mithridate sont alors Pompeius Strabo, cruel et avare vainqueur de la Guerre Sociale, et Marius, général déclinant mais toujours pas décidé à prendre sa retraite. Sylla, le rival de ce dernier, bénéficie du soutien des Cæcilii Metelli dont Marius est un client (la pratique du clientélisme est une relation de protection de la part des patrons et de service de la part des clients, c’est un lien social semblable à la féodalité et qui existe toujours aujourd’hui en politique), ainsi que de Pompeius Rufus, son co-consul pour l’année 88. À l’aide de ces deux importants appuis, il essaie d’empêcher Marius d’accéder à une plus grande gloire, ce à quoi celui-ci répond en allant trouver le tribun de la plèbe Sulpicius Rufus, qui fait voter au Sénat une loi conférant le commandement militaire à Marius et chassant de l’institution ses membres les plus endettés, y compris Sylla.
Pour se venger, le chef des optimates, qui avait préparé des légions en vue de « sa » guerre en Orient, mène celles qui sont encore en Italie dans le Pomerium, l’espace de la ville de Rome : il envahit littéralement la cité, chasse Marius en Afrique et fait massacrer Sulpicius Rufus. Aux élections qui suivent, en 87, est nommé Consul un partisan de Marius, Cinna, qui le fait revenir d’Afrique. Tous les deux sont à nouveau consuls en 86 mais pour Marius, c’est la septième (!!) et dernière fois, puisqu’il meurt dans l’année, laissant Sylla seul face à Mithridate.
Dans cette perspective, le général romain a donc commencé, dès 87, à contre-attaquer les Orientaux en meulant la face d’Archélaos à Chéronée, en Grèce : Athènes est pillée par les légions avant deux nouvelles arrivées en 86. L’une est celle de renforts pontiques venus par la Thrace et la Macédoine (donc par la terre, au nord-nord-est de la Grèce, comme Darius et Xerxès lors des guerres médiques), l’autre est celle du Romain Lucius Valerius Flaccus, venu relever Sylla de ses fonctions. Celui-ci envoie chier le nouveau venu en provoquant dans son armée une mutinerie qui lui fait gagner une partie des troupes romaines fraîches. Les Pontiques sont alors écrasés à 40 000 contre les 15 000 soldats de Sylla, puis s’efforcent de retourner en Asie devant l’armée fuyarde mais toujours menaçante de Flaccus. Ce dernier, vexé de ne pouvoir être le grand adversaire de Mithridate (j’ai envie de dire c’est pas dommage) se réfugie à Byzance où il est assassiné par son second, Fimbria (c’est ballot ça !). Celui-ci décide d’instaurer son commandement par le sac et l’incendie d’Illion, une cité grecque d’Asie qui, déjà, serait le site historique de Troie (Ilios), ensuite s’était placée sous la protection de Sylla (hum…).
Pseudo-Sylla d'époque augustéenne et de la même série que le pseudo-Marius, Glyptothèque de Munich. Opposant de Marius, Sylla (138-78) était le chef de file des optimates, les aristocrates conservateurs de Rome, favorables au privilège de classe et au Sénat. Comme son ennemi, il a lui-même été sénateur, consul et dictateur et a inspiré le général Pompée le Grand.
L’annonce de la victoire de celui-ci est un signal de révolte pour certaines cités grecques qui se révoltent contre Mithridate : le roi du Pont renonce à ses conquêtes, paie une rançon et livre des otages. Sylla, professionnel jusqu’au bout, poursuit sa route jusque Pergame (en Asie donc) et assiège la ville où Fimbria se suicide. Les cités grecques restées fidèles à Mithridate, des deux côtés de la Mer Égée, sont écrasées par un lourd impôt et la province d’Asie est divisée en 44 circonscriptions étroitement contrôlées.
En Italie, le retour triomphal de Sylla est une mauvaise nouvelle pour les populares : Cinna et les derniers partisans de Marius sont massacrés ou proscrits. Un petit nombre parvient à s’échapper, notamment un jeune noble qui fait ses débuts en politique et va endosser une magistrature militaire en Asie pour fuir les dangers. Son nom : Caius Julius Caesar, 4ème du nom. De son côté, un jeune avocat du nom de Cicéron fait lui aussi ses débuts dans la vie publique en dénonçant vertement les proscriptions et la violence.
Première conclusion.
On va s’arrêter là pour l’instant parce qu’on a déjà appris beaucoup avec cet article.
Je résume : entre la fin du IIème siècle et le début du Ier siècle avant Jésus-Christ, Rome est certes une puissance majeure de Méditerranée occidentale, mais elle n’a pas encore les moyens économiques, militaires et démographiques de contrôler directement tout le bassin méditerranéen. Elle s’appuie donc sur les traités et les alliances, notamment à l’intérieur même de l’Italie, bien que les cités fédérées considèrent (à juste titre) les traités en question injustes par rapport au coût en or et en hommes de la protection romaine.
Mais le jeu des alliances et des guerres en Grèce a donné à Rome le contrôle d’une partie du pays, ce qui pousse un roi oriental à faire de la république italienne son héritière politique. Les Romains font leur entrée en Orient et mettent les pieds dans le plat des royaumes gréco-orientaux issus de l’empire d’Alexandre le Grand, déjà bien occupés à batailler entre eux et pas ravis qu’un nouveau joueur rejoigne la partie. Ces guerres presque permanentes en Orient ont permis la montée en puissance de la piraterie cilicienne, qui devient vite un problème pour toute la Méditerranée.
Rome, de son côté, est affaiblie et minée par trois fléaux : la Guerre Sociale contre ses alliés italiens, la guerre civile entre les nobles romains divisés en deux factions férocement ennemies, et surtout le fait que les généraux vainqueurs utilisent leurs victoires pour asseoir une carrière et un contrôle politiques grandissants dans la République.
La république italienne ne peut donc pas lutter efficacement contre les pirates (à cause de Mithridate qui concentre les efforts romains), ni éliminer définitivement Mithridate (à cause des pirates qui déstabilisent dramatiquement l'économie et l'approvisionnement), et surtout elle est à la merci des imperatores et de leurs ambitions...
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