(la phrase d'accroche dit "ce pays a besoin de patriotes") |
Gundala.
Film indonésien de Joko Anwar (2019) avec je vais les nommer mais franchement vous et moi on connaît aucun de ces noms, Abimana Aryasatya, Tara Basro, Bront Palarae, Lukman Sardi et Ario Bayu.
Genre : super-héros.
Vu en VF.
Jakarta, Indonésie, de nos jours. Sancaka est un modeste agent de sécurité dans l'imprimerie d'un grand journal. Comme beaucoup, il assiste presque quotidiennement aux violences sociales et physiques qui frappent la ville alors que le mystérieux Prêcheur contrôle la plupart des membres du Parlement et que même les enfants des rues forment des bandes errantes et agressives.
Lui-même orphelin et ancien sans-abri, Sancaka a survécu en se détournant des problèmes autour de lui, ne se battant que pour lui-même. Mais un jour, après avoir été passé à tabac par une bande de voyous et jeté depuis le toit de l'imprimerie, il est frappé par la foudre.
Et contre toute attente, il se relève indemne.
J'ai découvert la bande-annonce de "Red Storm" (dans sa version internationale, Gundala en indonésien) complètement par hasard, il y a quelques semaines, et j'aime autant vous dire qu'elle m'a vendu du rêve. De rapides recherches menées alors que je venais juste de lancer le film (j'ai fait pause hein) m'ont encore plus hypé, comme disent les jeunes. Imaginez donc : un film de super-héros indonésien.
Alors, j'ai demandé un peu autour de moi sur Twitter, j'ai eu quelques réponses et à l'évidence, personne ne soupçonne l'Indonésie d'avoir une industrie du cinéma, à fortiori une qui marche (alors que j'ai appris que le Guatemala était en plein boom cinéma et tu savais que LE NIGERIA était le 2ème film du monde en termes de nombre de films produits par an, derrière l'Inde et devant les USA ?!? Sans déconner il existe même le mot-valise Nollywood pour décrire leurs infrastructures !).
Alors qu'en fait, l'Indonésie a une industrie du cinéma depuis son indépendance en 1945 (il s'est développé dans les années 50-60 en fait), c'est l'industrie culturelle qui connaît la plus forte croissance, notamment grâce à un féroce protectionnisme (des taxes de dingue sur les films étrangers, si bien que les productions indonésiennes représentent un tiers des diffusions) au point d'avoir allègrement flirté avec les 42 millions d'entrées en 2017 (pour une population totale qui dépasse les 260 millions d'habitants, non parce que l'Indonésie est le 4ème pays le plus peuplé au monde).
En vrai les Indonésien·ne·s sont en feu, c'est trop galère de trouver autre chose que des images du film en cherchant "Gundala". Ouais c'est la version comics. |
La Warner, ce gros studio de cinéma américain, est surtout connue ces dernières années pour avoir royalement fait de la merde avec son DC Cinematic Universe en voulant imiter (très mal) Disney et son Marvel Cinematic Universe. Notamment sur la base de caméos aussi prometteurs que gratuits et mal intégrés dans Batman v Superman.
J'te le donne en mille, comme ça tu vas prendre toutes les révélations d'un coup : il existe aussi une industrie des comics en Indonésie, Gundala est le super-héros le plus populaire du pays, il est apparu en 1969 et pour la sortie du présent film a été préparée l'arrivée au cinéma (indonésien donc, en tout cas prioritairement) d'un univers partagé.
Ouais.
T'as bien lu.
Le BumiLangit Cinematic Universe, d'après le nom de la maison d'édition de comics. Ouais. Et Gundala, au sein de son récit, se fait aussi l'occasion de préparer l'arrivée des prochain·e·s super-héros et héroïnes indonésien·ne·s. ET JE TE JURE POUR AVOIR REGARDÉ LE SITE DE BUMI LANGIT BORDEL DE MERDE ÇA VEND DU RÊVE CES COMICS ONT L'AIR TROP COOL LES PERSONNAGES SONT STYLÉS JE VEUX LIRE ÇA PUTAING.
Ouais. Tu rêves pas. |
Leur Wonder Woman s'appelle Sri Asih, elle est incarnée par la comédienne Pevita Pearce (QUI EST TROP MAGNIFIQUE), elle apparaît déjà à la fin de Gundala et aura son propre film dès 2021.
Oh, et elle est VACHEMENT MOINS sexualisée que les super-héroïnes occidentales. Et quand je dis "vachement moins", je veux plutôt dire "pas du tout."
Pevita Pearce et son personnage, Sri Asih, dont le film est prévu pour 2021. J'veux pas vous entendre protester : elle est juste beaucoup trop belle ♥ |
Alors, tu l'as lu (normalement), ça parle d'un mec qui se fait frapper par la foudre. Ce qui est intéressant c'est que la culture indonésienne semble avoir su s'approprier et assimiler parfaitement cette création très américaine que sont les comics, pour l'adapter aux spécificités locales. Quand en Occident on se demande pourquoi tous les films de super-héros se ressemblent tous, on pense pas à regarder ce qui se fait ailleurs (depuis l'an dernier et dans la méconnaissance générale, j'admets).
C'est-à-dire que, depuis sa première minute, ce film ressemble à tout sauf à ce qu'il est. Si tu sais pas à quoi t'attendre (moi ça va, j'avais vu la bande-annonce), tu t'imagines assister à un film socio-politique sur la condition ouvrière et l'oligarchie patronale (je déconne pas). Dans le cas contraire (si tu sais de quel genre de film il s'agit), les ficelles scénaristiques sont un peu grosses, mais tu les acceptes avec bienveillance en te rappelant que le film n'est de toute façon pas censé avoir la portée d'un Iron Man ou la profondeur d'un Avengers Age of Ultron.
Bon j'vais pas vous mentir, à l'annonce des crédits y'a quand même un indice un peu subtil sur ce que tu t'apprêtes à voir. |
En fait, ce qui est intéressant c'est que, malgré ce début un peu prévisible pour qui a déjà vu plein de films de super-héros, cet aspect en particulier est traité avec beaucoup plus de sérieux et même de premier degré qu'en Occident. Pour le dire simplement, avoir des super-pouvoirs, ça n'a rien d'évident. Dans le MCU par exemple, si un personnage n'a rien de spécial à la base (mettons Wanda Maximoff) et qu'il développe ses pouvoirs à la suite d'un accident (ou des expériences d'Hydra), après avoir survécu au traumatisme initial, le personnage ne s'arrête pas pour "analyser" ses pouvoirs et essayer de découvrir tout ce qu'il peut faire avec. Il les utilise en cas de besoin et c'est tout.
Pour Sancaka au contraire (ça se prononce "sankara" d'ailleurs) ça n'a rien d'évident. Le mec, faut le rappeler, est un simple humain, c'est pas Thor, il peut agir sur ou par la foudre, mais elle fait pas partie de lui. Il doit donc régulièrement se recharger et ça donne lieu à des scènes très drôles, par exemple quand il explique à des gens qu'il vient de protéger qu'il maîtrise que dalle et qu'un homme, pour tester sa résistance, lui met un gros coup de matraque en pleine tête XD
En outre, comme le pauvre homme n'est qu'agent de sécurité, ben il a ni les moyens ni le temps de se fabriquer un super-costume. On nous montre dès le début de sa période adulte qu'il est très habile comme bricoleur, et on voit plus tard comment il fabrique sa tenue avec tout ce qu'il a sous la main, une veste et un sac à dos en cuir, des lunettes de soudeur, les plaques sur ses épaules et ses poignets on dirait des lamelles de métal, et du gros scotch noir pour l'isolation électrique.
D'ailleurs à ce sujet et toujours pour souligner la simplicité naturelle avec laquelle il aborde ses pouvoirs, la seule différence entre un homme normal et Sancaka, c'est que lui, quand la foudre le frappe, il finit pas en rôti, mais il douille tout autant. Je l'ai jamais vécu mais prendre un éclair dans la caboche ça doit faire un mal de chien. Notre héros découvre par hasard (parce qu'il est appuyé sur un mur, collé contre un tuyau) que s'il met un truc en métal sur ses oreilles pour faire genre paratonnerre, il ne sent plus la douleur du courant électrique dans son corps. Un peu "comme des antennes", lui dit son contremaître. Du coup ben, avant d'avoir ses ailettes emblématiques, il prend un bandeau et des antennes XD Et c'est ridicule ^^
Bref, c'est ça que j'ai adoré dans Gundala : c'est un film de super-héros ancré dans le réel. Le film m'a rappelé la série Daredevil de Marvel parce que le personnage principal est un prolo, plus ou moins un anonyme sans impact médiatique, il met les pieds sans le vouloir dans des histoires beaucoup plus grosses que lui - des histoires politiques qui plus est - et c'est seulement après qu'il décide d'y jouer un rôle.
Le reste du temps, outre Sancaka, son chef et sa voisine - qui travaille sur le marché, d'ailleurs c'est sympa parce que l'humour repose aussi sur les réparties de cette femme qui se laisse pas faire - on suit aussi le parcours d'un membre du Parlement de Jakarta face au Prêcheur, le grand méchant aux allures de parrain de la mafia, et si le plan de ce dernier est un peu cliché et repose sur une logique propre aux comics, les deux sont bien interprétés et leur écriture est crédible parce qu'ils sont traités comme des humains et pas comme des clichés.
Bon après, le film n'est pas exempt de défauts mais j'ai vraiment envie de lui pardonner parce que son budget total en roupies indonésiennes semble gros, mais rapporté au dollar ça fait DEUX MILLIONS. Sans déconner, avec ce fric en Occident on fait même pas la moitié d'un film de super-héros indépendant, alors imagine un Marvel !
Bref, histoire d'être direct : le doublage français semble nul au premier abord. La synchronisation labiale est aux fraises, mais c'est sûrement parce qu'on débute le film sur une manifestation ouvrière, du coup les gars gueulent et ça se voit. C'est beaucoup mieux maîtrisé par la suite, quand l'ambiance est plus posée. Y'a une erreur de vocabulaire, mais je sais pas si c'est la traduction ou l'original, entre "immoral" et "amoral" (ouais c'est le plan du méchant, créer toute une génération de gosses amoraux pour en faire des enfants-guerriers à ses ordres) et surtout, comme en Indonésie l'homosexualité est passible de prison, au détour d'un dialogue on te met sur le même plan l'immoralité, la pornographie et les LGBT.
Et enfin, à la fois pour des raisons budgétaires et narratives, vers la fin du film Gundala (qui n'est jamais appelé ainsi en fait) doit affronter plein de méchants avant d'arriver au boss final, et ces combats sont coupés par des ellipses, du coup tu te demandes où sont passés les sous-fifres et pourquoi ils viennent gentiment deux par deux alors que Sancaka est visiblement à bout de forces, jusqu'à ce que tu comprennes que ça faisait partie du plan. Mais au début t'as juste l'impression qu'ils ont coupé les bastons pour éviter que le héros se farcisse 50 méchants pendant trois heures.
L'environnement, le cadre, l'image et les lumières sont vraiment jolis et bien utilisés. En fait dans l'ambiance générale, dans les décors et dans l'histoire qui est racontée et vécue par les personnages, y'a clairement une saveur asiatique qu'on retrouve évidemment pas dans les films occidentaux, c'est un mélange de simplicité (voire de pauvreté) et de style, on sent qu'on est dans une autre culture, c'est très plaisant. Et en même temps, l'univers est très moderne puisque les annonces médiatiques sont effectuées tout au long du film à la fois à la télé et sur smartphone, technologie qui est parfaitement acquise dans la société.
J'en ai parlé vite fait jusqu'à maintenant, le casting aussi est impeccable. Je parle pas du choix des interprètes parce que je connais évidemment personne, mais à les voir agir, parler, on y croit, on sent qu'ils sont dans leur rôle.
Sancaka est pas moche à regarder en plus, Wulan, sa voisine, est très juste et assez marrante (bien qu'elle incarne l'archétype du personnage-support, au moins c'est pas un love-interest) et le Prêcheur est très bien aussi, malgré l'apparition à ses côtés, à la fin du film, d'une ribambelle de méchants comme on n'en voit que dans les comics (et qui à priori sont appelés à revenir dans les films suivants).
Tiens d'ailleurs, tu t'souviens que j'ai parlé d'un univers partagé au cinéma, entamé avec Gundala ? Sri Asih, la super-héroïne, apparaît dès ce premier film - et avec un vrai rôle hein, pas juste dans un caméo forcé - et y'a ce mec vachement creepy qu'on voit plusieurs fois dans le sillage du Prêcheur, au début on se dit que c'est juste le bras droit qui commande les légions de connards, et en fait pas du tout, il a son propre plan, lequel est mis en branle lui aussi dans Gundala.
Bref, le récit se tient en lui-même tout en étant capable d'ouvrir des possibilités pour la suite. Précisément ce qu'a fait Marvel avec Iron Man 1 et 2, précisément ce qu'a foiré la Warner avec Batman v Superman.
En bref : film assez improbable et totalement inattendu en ce qui me concerne, Gundala se révèle être une formidable découverte. Passée la surprise initiale d'être devant un film de super-héros indonésien, bordel, on profite d'un récit à la fois social, politique et humain, avec des personnages bien interprétés dans un univers intéressant, moderne et vivant. Malgré le budget dérisoire selon les standards occidentaux, c'est bien filmé, bien réalisé, la musique est assez souvent marquante bref, une vraie leçon de cinéma pour les abrutis qui ont merdé le DC Cinematic Universe. Zack Snyder, prends ça dans la gueule.
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