Genre : fantastique, horreur.
Les États-Unis, de nos jours. Mel et Charlie Jones, un couple d'éditeurs, quittent le Michigan pour un hameau isolé de l'Oregon, les appartements Pink Palace. Leur fille Coraline s'y trouve rapidement isolée, loin de ses amis et confrontée à des voisins excentriques, y compris Padbol "Padbie" Lovat, le seul garçon de son âge, petit-fils de la propriétaire des lieux.
Très vite, Coraline, en manque de distraction, trouve derrière une petite porte de la salle à manger une version alternative de la maison et de ses parents, où tout est merveilleux et enchanteur.
Les grands artistes sont très généralement, et c'est heureux, reconnus assez vite dans leur discipline. Une ou deux fois par génération, on va tomber sur quelqu'un qui parvient à exprimer une vision précise et pertinente de leur art, et indépendamment du genre, utiliser la technique pour laisser leur marque, transmettre une idée, un message, un univers. Souvent même, les grands artistes sont les artisans de leur milieu, créent des codes et un style qui font autorité.
Au cinéma, y'a 15-20 ans, on appelait ça Tim Burton ou Quentin Tarantino, maintenant on l'appelle plutôt Guillermo del Toro ou Christopher Nolan, et à la télé Joss Whedon pèse dans le game. Dans la littérature, il est impossible de ne pas penser à John Tolkien et George Martin qui sont devenus des modèles de la littérature de fantasy, ou évidemment Stephen King qui est plus ou moins unique dans le paysage fantastique américain.
Tout ça pour dire que Neil Gaiman est un de ces créateurs discrets et talentueux qui font mouche à chaque fois. Peu importe ce qu'il fait, il y met tellement de soin et de passion que ça réinvente quelque chose à tous les coups.
Histoire de finir l'introduction du sujet du jour, j'ai lu Stardust, le mystère de l'étoile, ainsi que Neverwhere, j'ai vu l'adaptation du premier par Matthew Vaughn, que j'adore (ce dernier étant un de mes réals préférés), et j'attends toujours une bonne adaptation du second (qui est en réalité une novélisation de la série télé du même nom écrite par Gaiman, c'est-à-dire qu'une adaptation en série télé serait l'adaptation d'une adaptation ainsi qu'un retour au format originel. Vous suivez ? Bon, y'a une version radio avec un casting dingue, genre Natalie Dormer, Benedict Cumberbatch, James McAvoy, David Schofield, Anthony Stewart Head, Christopher Lee ou Gaiman lui-même, mais une série moderne ce serait cool) - bref, je connais bien deux œuvres majeures de Neil Gaiman, trois avec Coraline, et cette dernière est de loin la moins sombre, triste et funeste, alors qu'on y voit des enfants morts.
Paie ton ambiance.
A sa sortie au ciné en France, Coraline a été interdit pour les moins de dix ans. Contrairement aux apparences, c'est pas pour les mômes.
L'intérêt de Coraline - parce qu'après tout c'est presque de la fantasy urbaine à la Neverwhere - repose évidemment sur la confrontation entre cette réalité, morne et triste, et sa version fantasmée et colorée.
Alors, je connais pas le style personnel d'Henry Selick, dont j'ai vu que deux films, mais l'autre proposait une vision festive et un peu joyeuse de la fête morbide et sinistre de Halloween tout en noircissant Noël, alors ça reste un peu dans le ton.
Et NON, une fois pour toutes NON, L'étrange Noël de Mr Jack n'est pas un Tim Burton, c'est un Henry Selick. Burton, dans l'idée de base, avait juste Jack, Zero et le Père Noël, tout le reste a été écrit pour le film de Selick pendant que Burton faisait du Batman pour la Warner. Le fait que ce soit cohérent avec l'univers de Tim Burton n'est révélateur que de son côté control-freak sur ses propres créations, un trait probablement né de son passage chez Disney qui fait pareil avec ses animateurs. Les tyrannies qui engendrent des tyrans, c'est pas spécialement surprenant.
Y'a deux trucs qui me sortent par les yeux dans l'animation : les gens qui disent qu'Anastasia est un Disney, ceux qui disent que L'étrange Noël est un Tim Burton.
Donc Coraline est un film au postulat de base apparemment simple, mais tout dans ce film repose sur la dualité, limite la dichotomie, et sur l'inattendu. J'me souviens mal du roman original de Neil Gaiman, que j'ai lu, mais je crois bien que, contrairement à Stardust, l'histoire n'a pas été édulcorée à son passage à l'écran. Non parce que dans le roman Stardust, Yvaine finit veuve et boiteuse à cause de sa jambe cassée lors de sa chute, et je parle même pas de Lamia la sorcière.
Dans la réalité, tout paraît triste et terne, mais les apparences sont trompeuses, tel est le message de Neil Gaiman et d'Henry Selick, qui exprimait déjà cette idée dans L'étrange Noël - à savoir qu'organiser annuellement Halloween, c'est pas si mal, malgré la lassitude et la perte d'inspiration. Alors que les rêves et les fantasmes qui paraissent séduisants au premier abord peuvent en fait se révéler assez dangereux pour ceux qui les font - et là ça rejoint Neverwhere.
Bon, je vais pas spoiler davantage l'histoire parce qu'elle mérite d'être vue, mais il faut savoir que le personnage de Padbol (Wybourne en anglais, qui se prononce "why born", sous-entendu pourquoi t'es né, sympa pour lui) a été créé pour l'adaptation, ce que je trouve très juste - Coraline manquait, pas vraiment d'un side-kick ou d'un comic-relief, mais d'un personnage qui nourrirait à la fois le background et l'héroïne éponyme. Le chat est aussi manifestement plus important dans l'adaptation, dans mon souvenir, et son écriture joue beaucoup dans l'appréciation : froidement sarcastique et détaché, il est proche de l'humour pince-sans-rire cher aux Britanniques.
En outre, il est doublé par Keith David, un stakhanoviste de la télé et du ciné qui a notamment doublé Goliath dans les deux séries Gargoyles et le docteur Facilier dans La princesse et la grenouille. Apparemment c'est pas un amateur dans le doublage.
Coraline est beaucoup trop mignonne, j'adore ce personnage ♥
D'ailleurs en parlant de doublage, j'ai jamais vu ce film en VOST parce que je l'ai découvert en VF et que j'ai tendance à m'attacher à la première version des films que je vois, je sais pas pourquoi. Sauf pour Star Trek, j'ai vu le reboot de 2009 pour la première fois en VOST en le regardant avec Wolves, et depuis la trilogie entière se conçoit en VO pour moi.
Bref, concernant Coraline, vous aurez remarqué la présence de Teri Hatcher - connue comme Loïs Lane dans la série Superman des années 90 et comme la maman seule et sexy dans Desperate Housewives - au casting, pour doubler Mel Jones et L'Autre Mère. En français c'est donc Guyot, VF officielle de Teri Hatcher (et Sarah Michelle Gellar), qui interprète parfaitement les nuances et ambiguïtés du personnage - y compris la Vraie Mère, qui doit avoir l'air douce et aimante tout en étant froide, détachée et toujours occupée à autre chose pendant qu'elle parle.
Nan mais en vrai elle est super gentille ♥
Pour Coraline c'est pareil, la comédienne de doublage semble pas très connue (vu qu'elle a pas de page wiki), sûrement débutante, mais elle a pas du tout une voix d'enfant, plutôt un timbre grave et sérieux qui colle bien au personnage et lui donne parfois des accès de sévérité très appréciables. Pareil pour les quelques chansons, les personnages secondaires - Jennifer Saunders, chanteuse et doubleuse de Marraine la bonne fée de Shrek, également au casting - comme Padbie ou Monsieur Bobinsky.
Bien sûr, je recommanderai toujours la VOST pour le respect des interprétations vocales, des dialogues, mais ça fait plaisir de voir une bonne VF traitée avec respect.
A la musique, un Français, Bruno Coulais, dont je ne sais rien, sinon qu'il travaille énormément et que certaines de ses compositions vendent du rêve - Brendan et le secret de Kells, Le chant de la mer, Mune le gardien de la lune, Océans ou Les Saisons. Ça sent l'éclectisme et l'animation ♥
Dans Coraline, quelques thèmes marquants - Exploration est mon préféré mais Dreaming et les End Credits sont top aussi - côtoient des mélodies sombres et tourmentées, on n'est, à nouveau, pas très loin d'un Danny Elfman au sommet de son art pour Tim Burton. Ce qui est sympa c'est que même les musiques apparemment légères recèlent leur part d'inquiétant et de mystérieux.
Ces décors et cette animation ptain, du travail d'orfèvre O_O
Les décors, logique, ont donc été créés en vrai, et franchement, c'est beau, coloré et vif, on peut pas s'empêcher quand on sait ça d'admirer les animateurs en voyant certaines parties comme le jardin ou l'escalier extérieur se déliter avec fluidité.
En bref : un film d'animation surprenant si on ne connaît pas le réalisateur et l'auteur, mais qui vaut sacrément le détour. La version écrite est presque dispensable après cette adaptation : c'est beau, bien animé, très joli à entendre, mais ça reste une histoire sombre et tourmentée qui détonne avec le reste du genre. Coraline est plus qu'un divertissement, une œuvre majeure qui fait évoluer, à sa manière modeste, la littérature fantastique urbaine et l'animation en relief, autant en technique qu'en narration.
Cet article tombe sacrément à pic vu que je me tâtais cette semaine à le regarder!
RépondreSupprimerDu coups, ça me donne encore plus envie là! Tu l'as bien vendu, autant le film que son équipe, donc là, j'ai hâte.
J'étais tombée il y a peu sur tweeter sur un message ou Neil Gaiman donnait un peu de sa vision de la raison d'être de Coraline... Je te retweet ça direct après ce commentaire, ça pourra t'intéresser!
Beaucoup sont fébriles avec American Gods dont le 1er épisode vient de sortir... Si ça te tente!
Pour ma part je me suis mise -enfin- à Sandman, et pour l'heure, je ne suis pas déçue, c'est tout ce que j'aime de Gaiman!