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17.10.19

[Écriture] : tout un peuple de méchants ?

Bonjour les gens !

Ça faisait longtemps que j'avais pas partagé mes connaissances en termes de construction d'univers, mais j'en ai trouvé l'occasion assez récemment via une œuvre que j'adore et qui en plus est à la fois inspirante et bien écrite.

De fait, on est probablement beaucoup à avoir déjà vu dans les nombreux genres de la fantasy, dans des récits plus ou moins manichéens, des oppositions entre peuples ou entre cultures. Dès qu'on écrit de la fantasy, en particulier lorsqu'on imagine un monde secondaire aussi complet que possible, on arrive souvent à opposer des nations et des États (je rappelle, une nation = un peuple au sens culturel et sociétal, un État = une structure politique comprenant entre autres une ou plusieurs nations).
L'un des écueils à éviter pour écrire un peuple antagoniste est d'ériger celui-ci comme ennemi "pur et dur", et donc de considérer qu'il existe dans le récit une nation d'irrécupérables connards qui seront toujours méchants, maléfiques, corrompus, corrupteurs et autres qualificatifs de la même veine.
Bien sûr, il y en a d'autres, mais l'exemple que j'ai choisi pour illustrer mon propos a évité celui-ci en particulier avec beaucoup d'habileté à mon sens, raison pour laquelle je vais m'appesantir dessus.

Du coup, dans cet article et sur la base d'une de mes découvertes récentes (entre le milieu de l'année dernière et le début de celle-ci), je vais partager mes réflexions sur la manière de bien écrire un peuple antagoniste dans un récit de fiction (en l'occurrence, de fantasy).
Je vous le donne en mille, une nouvelle fois pour bien écrire une société ou un peuple, il faut faire comme d'habitude et s'intéresser à l'Histoire.

Image promotionnelle pour The Elder Scrolls Online : Elsweyr, qui voit le retour des dragons dans la province aride et désertique des hommes-chats.

J'en avais déjà parlé lors du Geek Contest sur le Moyen-Âge, mais la série The Elder Scrolls bénéficie d'une grande recherche historique sur les cultures qui ont servi de modèles pour l'univers des jeux (Bordeciel étant inspiré de la Scandinavie, Hauteroche de l'Europe occidentale médiévale, Lenclume de l'Arabie ou la Perse, ou encore le Marais Noir des jungles des empires méso-américains). Pour compléter ce paysage culturel et visuel, il fallait forcément des races jouables (les Elder Scrolls sont des jeux de rôles dans un univers médiéval-fantastique) qui aient une histoire et des traits spécifiques. C'est donc dans ce cadre que les Altmer (toutes les lettres se prononcent) ont été écrits avec beaucoup de maîtrise comme un peuple antagoniste.
Afin d'expliquer mon propos, je vais devoir détailler plein d'informations disponibles dans les jeux Elder Scrolls et autour, et je m'efforcerai d'être aussi clair que possible.

On entend assez peu parler des Altmer durant les jeux les plus récents de la série The Elder Scrolls (TES3 Morrowind sorti en 2002, TES4 Oblivion sorti en 2006 et TES5 Skyrim sorti en 2011), pour la simple et bonne raison que ces jeux ne se déroulent absolument pas sur le territoire des Altmer ou même à proximité. Ce que l'on sait de ce peuple n'est découvert que par la présence minoritaire de quelques individus et par les rumeurs qui courent.
Le fait est que la série The Elder Scrolls se déroule sur une planète nommée Nirn, et particulièrement sur un continent appelé Tamriel, divisé en 9 provinces et dominé par dix races majeures - quatre humaines, quatre elfiques et deux bestiales, les Argoniens (ou Hommes-lézards) et les Khajiits (ou Hommes-chats), et que pour l'instant dans les jeux "principaux" de la série, seules trois provinces ont été explorées (en réalité, dans le dernier titre, The Elder Scrolls Online, les deux-tiers du continent sont accessibles).

Carte de Tamriel à l'époque des événements d'Oblivion, c'est-à-dire à la fin de l'Ère Troisième.
On y voit les neufs provinces du continent : le cœur impérial de Cyrodiil, flanqué des trois royaumes humains de Bordeciel (Skyrim), Hauteroche (High Rock) et Lenclume (Hammerfell). Au sud, l'Archipel de l'Automne, le Val-Boisé (Valenwood), Elsweyr et le Marais Noir, et isolé au nord-est, le territoire elfe-noir de Morrowind.
J'ajoute également qu'un dixième royaume existe mais n'est pas présent sur la carte parce que régulièrement rasé par ses voisins (Hauteroche et Lenclume) et déplacé par ses survivants : Orsinium, royaume des Orsimers, ou Orques.

Tout ce que l'on sait des Altmer durant ces trois jeux qui se déroulent respectivement en Morrowind, en Cyrodiil (les lettres doubles sont prononcées comme des simples) puis en Bordeciel, on ne l'apprend donc que dans la création de personnage au début du jeu, lors des écrans de chargement, et dans le jeu lui-même.
Les Altmer ou Hauts-Elfes sont, parmi les Mer ou Elfes, les plus puissants pratiquants de la magie, principalement parce que, comme tous les Elfes, ils ont une grande longévité (les Mer atteignent facilement deux cents ans avant d'être considérés comme vieux), mais aussi parce qu'ils sont naturellement plus doués pour la magie, qu'ils pratiquent durant toute leur existence.
Les Altmer sont minces et très grands par la taille (davantage que toute autre race humanoïde de Tamriel à l'exception de certains Orques), ont un teint de peau proche du doré et des yeux dorés, ambres ou verts. Leur culture, bien que très méconnue, est dépeinte comme pleine de raffinement, centrée autour des arts et de la magie. De fait, le légendaire Ordre Psijique, un cercle de mages extrêmement mystérieux qui fait parfois irruption dans l'Histoire de Tamriel, est généralement composé ou dominé par des Altmer. En outre, ce peuple est dépeint comme fier et condescendant à l'égard des "races inférieures", même si des différences de caractère existent évidemment entre individus altmer.

La première grande apparition narrative des Altmer a lieu dans The Elder Scrolls V : Skyrim, dont le succès populaire repose sur les Nordiques de Bordeciel, l'authenticité de leur société mi-brave mi-bourrine et l'excellente réutilisation de la culture nordique du Moyen Âge précoce comme inspiration historique. Mais c'est oublier l'écriture de son scénario.
Parce que si Skyrim a pour intrigue principale une lutte contre les dragons (très mal mise en scène au demeurant), l'accent a surtout été mis sur son intrigue secondaire. Là, il est question de guerre civile entre les indépendantistes et les loyalistes face à l'Empire. Mais pourquoi ?

Comme son nom ne l'indique pas, Oblivion se déroule principalement en Cyrodiil, la province Impériale au cœur de Tamriel, et voit ses habitants éponymes endosser un rôle central, bien qu'ils aient perdu tout le caractère impérial romain qui faisait leur design visuel (ils le récupèrent dans Skyrim et TESO).

Il faut remonter dans le temps et étudier l'Histoire.
The Elder Scrolls IV : Oblivion se déroule à la toute fin de l'Ère Troisième (une Ère en Tamriel est une division temporelle de plusieurs siècles recouvrant généralement une dynastie impériale) et voit la disparition à la fois du Troisième Empire de Tamriel, dirigé par des Impériaux en Cyrodiil, et celle de ses dirigeants, les Enfants-de-Dragon de la dynastie Septim. Lors de cette Crise d'Oblivion, l'assassinat de l'empereur a ouvert une brèche dans le pacte passé entre les empereurs et Akatosh, le Dieu Dragon du Temps, chef du panthéon des Neuf Divins et protecteur du monde mortel, brèche qui a permis aux Daedras (prononcé "dédra"), des seigneurs maléfiques issus de plans d'existence parallèles, d'envahir Tamriel.

Là où ça concerne les Elfes, et tout particulièrement les Altmer, c'est qu'ils ont vu dans cette Crise d'Oblivion la faillite des Humains qui a presque causé la ruine de tout le continent. De fait, l'Empire de Tamriel, face à l'invasion daedrique, a rappelé ses armées pour défendre Cyrodiil, laissant les autres provinces vulnérables (ce qui aura des conséquences notables en Morrowind, dans l'Archipel de l'Automne, au Val-Boisé, en Elsweyr et dans le Marais Noir).
Qui plus est, il existe un très long contentieux entre les Elfes et les Humains sur la nature des dieux : les Divins constituent un panthéon elfique (Akatosh, son chef, est appelé Auriel par les Mer) assimilé par les différents empires humains, certes, mais elfique tout de même, jusqu'à ce que Tiber Septim, premier empereur de sa lignée, réalise au moment de mourir une apothéose qui a fait de lui Talos, le neuvième Divin.
Il faut savoir également que durant les Ères Méréthique et Première, les Mers (ou Elfes) se sont imposés par la force et ont gouverné l'ensemble de Tamriel presque dès leur arrivée sur le continent (presque toutes les races principales de Tamriel sont issues d'émigrations depuis d'autres continents), avant que ne survienne une révolte menée par Sainte Alessia, la première impératrice, donnant naissance à "l'âge des Humains".

Bref : les Altmer en ont assez de voir les Humains parader en Tamriel comme des vainqueurs (ils n'ont d'ailleurs jamais vraiment défait militairement l'Archipel de l'Automne) au point de s'inviter chez les dieux. Cette rancœur s'exprime durant les deux siècles qui séparent Oblivion de Skyrim : on apprend dans celui-ci que le Domaine Aldmeri, une alliance centrée sur les Altmer, s'est attaqué à l'Empire déclinant après la disparition des Septim, a triomphé lors de la Grande Guerre et a imposé par le Concordat de l'Or-Blanc (du nom de la cité impériale en Cyrodiil) l'éviction de Talos parmi les Divins et l'interdiction de son culte sous peine de mort.
Or, Talos, ou Tiber Septim de son vivant, était un empereur et un héros nordique. On comprend donc aisément qu'une partie du peuple de Bordeciel soit énervée par ces envahisseurs arrogants qui arrêtent et emprisonnent certains habitants, répètent à qui veut l'entendre que l'Empire est tributaire du Domaine et que les humains ont trop longtemps usurpé leur place. Qui plus est, le chef des indépendantistes de Bordeciel, Ulfric Sombrage, est un vétéran de la Grande Guerre pour qui l'Empire a trahi les Nordiques et ne mérite plus qu'on en fasse partie (empire qui, au moment de Skyrim, est dirigé par une dynastie Impériale et pas Nordique).

D'ailleurs le Thalmor, la force armée Altmer, possède carrément une ambassade en Bordeciel, toute proche de la capitale locale de Solitude, et d'où l'ambassadrice Elenwen maintient la pression culturelle et diplomatique du Domaine Aldmeri sur l'Empire.


Alors, on va faire une pause Elder Scrolls pour revenir sur le sujet de l'article : un peuple antagoniste.
Pour bien écrire un peuple antagoniste, il faut commencer par donner du relief à celui-ci. Il faut qu'il ait une raison de se poser en antagoniste - une raison rationnelle ou au moins compréhensible, s'entend - mais aussi qu'il ait un minimum de diversité (dans "peuple antagoniste", le premier mot est aussi important que le second). Et évidemment, il faut que la focalisation du récit place ce peuple en opposition - si le point de vue est, même partiellement, interne à ce peuple, ça en fait moins un antagoniste qu'un protagoniste (raison pour laquelle il n'y a pas d'antagoniste dans une structure narrative comme celle de Game of Thrones : on adopte le point de vue de tout le monde à un moment ou un autre).

À mon sens, si on manque l'un de ces deux critères, on fonce vers l'un des deux écueils qui font les mauvais antagonistes : si les adversaires des personnages principaux n'ont pas de raison valable d'être, justement, des ennemis, ce sont des clichés sans profondeur ou des personnages stupides, et il est difficile de prendre au sérieux un Méchant qui n'a aucune raison de l'être (ou des mauvaises raisons). Les exemples sont légion mais dans le Marvel Cinematic Universe, et plus particulièrement dans Ant-Man et la Guêpe, l'adversaire secondaire est un trafiquant qui s'attaque aux personnages principaux parce que, d'après lui "la technologie quantique sera la nouvelle ruée vers l'or et je veux en faire partie" - or, de l'argent, il peut en gagner par n'importe quel trafic (d'autant que s'attaquer aux personnages principaux dotés de cette technologie est plus dangereux que profitable), du coup son acharnement à persécuter Ant-Man, la Guêpe et le docteur Pym apparaît comme aussi grotesque qu'absurde.

L'une des raisons pour lesquelles les zombies sont souvent utilisés pour questionner notre identité ou notre rapport à l'humanité (en tant qu'état de conscience et sentiment), c'est parce que les zombies ne sont pas des personnages, ils sont un outil narratif.

Mais d'un autre côté, un peuple antagoniste dont tous les membres sont identiques, ce n'est pas un peuple, c'est une horde de robots ou de zombies, il n'y a pas d'individualité, de personnalité, et donc aucune raison de s'identifier ou même de s'attacher à un de ses membres.
Un peuple entier, ce n'est pas un individu unique. Chacune de ses composantes - les membres de ce peuple - peut être différente en fonction de ses convictions, de son expérience et de ses aspirations. Certains membres de ce peuple peuvent même ne pas être des antagonistes, et au contraire se révéler des alliés potentiels pour les personnages principaux - il y a par exemple la figure bien connue (et qu'on retrouve à travers Finn dans Star Wars 7 et 8) du soldat qui ne se reconnaît pas dans les tyrans qu'il sert ou dans la société dont il est issu, et qui décide de passer à l'ennemi.

Une bonne représentation d'un peuple antagoniste, par exemple, est faite dans le MCU, que je vais citer à nouveau. Dans Les Gardiens de la Galaxie, on découvre brièvement les Kree, dont on apprend qu'ils sont un peuple de guerriers avec lesquels le traité de paix de l'Empire Nova (plus ou moins les Gentils) est un fait plutôt récent. L'adversaire des héros éponymes, Ronan l'Accusateur, présente des raisons rationnelles pour justifier son combat - ses ancêtres ont subi la guerre et en sont morts, il cherche vengeance. Mais malgré cette explication, Ronan est décrit comme un homme violent et radicalisé qui aspire à la destruction de la culture de Nova (dixit le Courtier), tandis que l'autre Kree représenté (le chef de cette nation) semble plus pacifique avec l'administratrice Nova Prime (même si le terrorisme de Ronan ne semble pas le déranger puisqu'il ne touche que l'Empire Nova).
Du coup, en tant que spectateurice, on est mentalement préparé à voir une culture fondée sur la guerre malgré des diversités au sein de la population - ce qu'on découvre en effet dans Captain Marvel, où la société Kree est certes martiale et limite impérialiste, mais aussi densément urbanisée et plutôt pacifiée en son sein.

Avec en prime une certaine diversité ethnique, des habitants avec la peau bleue, noire, ou semblable à celle des Terriens...

De fait, si on n'y regarde pas de trop près, dans Skyrim, les critères sont remplis pour faire des Altmer un peuple entier de "bons" antagonistes :

  • Le jeu prend place dans la province de Bordeciel, majoritairement peuplée de Nordiques ou au moins d'Humains (les seuls et uniques Khajiits du jeu, par exemple, constituent une petite compagnie de marchands itinérants et ne sont pas plus d'une dizaine), et adopte d'emblée le point de vue du peuple nordique (et par extension celui de l'Empire "agressé" par le Domaine Aldmeri). Les races elfiques sont rares, en particulier les Altmer, et ceux-ci sont presque tous membres du Thalmor (la force armée du Domaine), à l'exception de ceux qui vivaient déjà en Bordeciel avant la Grande Guerre entre le Domaine Aldmeri et l'Empire et donc ne se reconnaissent pas dans le groupe formé par le Domaine Aldmeri (et ils sont moins d'une dizaine).
  • La totalité de l'intrigue secondaire - la guerre civile entre loyalistes et indépendantistes - laisse entendre que, peu importe le vainqueur, les Altmer pourront finir leur Grande Guerre en écrasant les humains affaiblis par ce conflit interne. Pire, le choix de la faction indépendantiste annonce clairement que la libération de Bordeciel face à un empire défunt n'est que la première étape avant d'aller écraser les Elfes qui ont interdit le culte de Talos.
  • Cependant, la Crise d'Oblivion et surtout les luttes incessantes entre Humains, qui pour certaines se déroulent dans le jeu même, sous les yeux du personnage principal, contribuent à renforcer la thèse elfique d'un déclin humain et d'une illégitimité humaine à gouverner Tamriel. Le fait même que Talos ait été un humain présent dans les récits de Bordeciel le met en décalage par rapport aux autres Divins clairement présentés comme des divinités créatrices du monde.
  • Parmi les Altmer présents dans Skyrim, outre les Thalmors envahisseurs et hostiles, on trouve quelques personnages typiques de leur peuple (Taarie et Endarie, deux sœurs propriétaires d'une boutique de vêtements et incroyablement snobs, ou Aicantar, un mage de cour), mais aussi d'autres beaucoup plus sympathiques (comme Calcelmo, mage de cour et oncle d'Aicantar, ou Niranye, receleuse attachante et sarcastique qui aime titiller les marins Nordiques sur le vol et la piraterie parce que "une fille a bien le droit de s'amuser").
Bref : la représentation des Altmer comme peuple antagoniste dans The Elder Scrolls V : Skyrim est très intéressante parce qu'elle est réaliste. Il s'agit clairement d'une nation considérée comme ennemie par les personnages principaux (les Humains en général et les Nordiques en particulier) dont même les autres Elfes se méfient (dans le jeu littéralement tout le monde déteste et redoute les Thalmors) et qui a des raisons aussi culturelles et religieuses que politiques justifiant ses choix et ses actes, mais elle propose quand même une diversité de profils et d'individus qui rendent l'ensemble humain, voire attachant.

Mais évidemment, l'écriture et la mise en scène des Altmer comme peuple antagoniste dans les Elder Scrolls ne pouvait pas juste être aussi intéressante... tu vois probablement où je veux en venir : c'est humain et très ancien dans la culture, on ADORE s'intéresser aux Méchants, savoir ce qui les fait tourner, comment ils fonctionnent. Et souvent, on aime énormément se pencher sur le passé et l'histoire des antagonistes. 
Justement, en parlant d'Histoire, The Elder Scrolls Online est un MMORPG - un jeu multijoueur en ligne qui suppose des factions opposées - qui se place chronologiquement non pas juste après Skyrim (ce qui aurait pu être intéressant pour plein de raisons narratives) mais 700 ans plus tôt (soit 500 ans avant Morrowind et Oblivion).
On se trouve alors à la fin de l'Ère Seconde - donc à la fin d'une dynastie précédente, celle des Reman - et plus particulièrement dans un interrègne : l'Empire s'est effondré (déjà à l'époque) et une invasion daedrique a lieu (encore, mais techniquement c'était avant l'autre et par un autre Prince Daedra). Face aux multiples dangers, les nations de Tamriel s'unissent en trois grandes factions rivales pour se protéger, reconquérir la Cité Impériale en Cyrodiil et rétablir l'ordre sur le continent. Et parmi ces factions - jouables, donc - se trouve le Domaine Aldmeri.

Cette carte de Tamriel à la fin de l'Ère Seconde n'a pas grand-chose à voir avec la carte interne de TESO, puisque de vastes portions du continent sont inaccessibles dans le jeu et qu'elle ne montre tout simplement pas Orsinium, mais elle figure très clairement les grands ensembles politiques de la Guerre des Trois-Bannières : le Domaine Aldmeri au sud, l'Alliance de Daguefilante au nord-ouest, le Pacte de Cœurébène à l'est, et les ruines de l'empire en Cyrodiil.

Or, TESO met un soin particulier à ne pas prendre parti dans la Guerre des Trois Bannières, au point même - c'est dommage parce que c'est incohérent - qu'en choisissant une faction pour le personnage que l'on joue, on peut se déplacer librement en "territoire ennemi" voire même travailler à consolider les alliances ennemies et la place de leurs dirigeants (à travers les suites de quêtes locales).
Cette volonté de neutralité, dans une logique éditoriale qui suit Skyrim où un peuple en particulier - les Altmer - était clairement présenté comme un antagoniste tyrannique, arrogant, raciste et envahisseur, permet justement de rectifier le tir et de montrer d'autres aspects de ce peuple.
Au passage, si un peuple est présenté comme ennemi dans TESO, ce sont les Impériaux : alors que leur empire s'écroule de toutes parts et est envahi par des armées entières de daedra, ils parviennent encore à envoyer des expéditions militaires de reconquête vers les trois factions, avec des méthodes qui vont du rapt à la torture en passant par le meurtre et le pillage institutionnalisé.

De fait, l'exploration du Domaine Aldmeri durant les événements de TESO montre qu'il s'agit non seulement d'une alliance beaucoup plus égalitaire que le tyrannie Altmer décrite par les Nordiques de Skyrim (on peut arguer qu'il s'agit d'un autre Domaine, 700 ans avant le précédent, mais de fait, le troisième Domaine Aldmeri a été constitué dans des circonstances similaires au premier et avec les mêmes intentions solidaires entre les trois mêmes peuples - Altmer, Bosmer et Khajiit), mais également d'une alliance qui ne fait pas l'unanimité parmi ses membres.
Les Bosmer et les Khajiits sont sceptiques face à un peuple qui a toujours été perçu comme arrogant et, à l'inverse, certains Altmer ne veulent pas s'associer à des "races inférieures", quand bien même ce serait nécessaire à leur survie. Dans le DLC (contenu téléchargeable payant) Summerset, qui se déroule au cœur du territoire Altmer, les Hauts-Elfes refusent même les réfugiés de Tamriel (ou les exploitent avec cynisme).
En fait, tous les efforts de la reine Ayrenn, du roi Aeradan de Valenwood et d'Akkhuz-Ri, chef spirituel des Khajiits, consistent justement à faire accepter l'union et l'entente entre leurs peuples. En outre, de nombreuses quêtes annexes ou locales consistent à réparer les injustices et rétablir l'égalité entre les membres des trois peuples (généralement en faveur des Bosmer et des Khajiits) en punissant parfois l'arrogance de certains Altmer à l'égard de leurs nouveaux alliés (du genre l'académie Altmer dans laquelle les étudiants Bosmer et Khajiit sont invités à renier leur culture et à la considérer comme merdique, avant qu'on vienne y mettre bon ordre et que la nouvelle ligne politique soit "trois cultures variées pour un Domaine plus fort").

Image conceptuelle de The Elder Scrolls Online figurant le Domaine Aldmeri incarné par un Altmer au centre, un Khajiit à gauche et une Bosmer à droite, avec en arrière-plan un paysage inspiré de l'Archipel de l'Automne.

La reine Altmer Ayrenn du Domaine Aldmeri,
telle que représentée dans The Elder Scrolls Legends.
Au passage, le Domaine Aldmeri est donc mené par une femme, Ayrenn, particulièrement jeune de surcroît puisqu'elle a 27 ans (je rappelle, les Altmer peuvent allègrement atteindre les 200 ou 300 ans). Face à elle, à peu près tous les dirigeants de Tamriel, y compris le Haut-Roi (bréton) de l'Alliance de Daguefilante et le Roi-Skalde (nordique) du Pacte de Cœurébène sont des hommes éprouvés (le premier est même doublé par ♥ Bill ♥ Nighy ♥). Le fait d'avoir choisi pour les Altmer une dirigeante jeune, belle et cool ne fait que contribuer à l'aura de sympathie de ce peuple.
Le DLC (extension téléchargeable) Summerset est centré sur l'île du même nom et dévoile le cœur du territoire altmer, qui est à la fois très prospère et raffiné, mais également magnifique, enchanteur et rayonnant de lumière et de magie. L'architecture locale dépasse en élégance tout ce qui existe ailleurs en Tamriel - le territoire altmer correspond donc EXACTEMENT à toutes les idées préconçues propagées jusque là et il est souvent aussi paisible que beau (l'île volante d'Artaeum par exemple, le refuge du légendaire Ordre Psijique, est une zone sans aucun ennemi ni combat, où les joueurs vont récolter des matériaux dans la plus totale quiétude).
    Carte des deux îles principales de l'Archipel de l'Automne, royaume des Altmer (Hauts-Elfes), avec notamment Summerset où se trouve la capitale, Alinor. Dans The Elder Scrolls Online, la petite île, Auridia, est accessible dans le jeu de base, mais pas Summerset qui fait l'objet d'un DLC.

    Façade du bâtiment de la banque d'Alinor, dans The Elder Scrolls Online. 

    Vue de l'entrée (face ouest) de la cité de Shimmerene, à l'est de Summerset, île principale de l'Archipel de l'Automne, dans The Elder Scrolls Online. 

    (ci-dessus et ci-dessous) Diverses vues de Summerset, île principale de l'Archipel, dans The Elder Scrolls Online. 



    Voilà, à mon sens, c'est comme ça qu'on dépeint un peuple entier traité comme un antagoniste : on s'inspire des sciences que sont l'Histoire (l'étude des sociétés) et la sociologie (l'étude de l'humain en société) et on s'efforce de raisonner. Un peuple, c'est avant tout un ensemble d'individus. Les individus ne sont pas tous identiques, chaque personne (ou ici personnage) possède des convictions, une personnalité, un vécu et de l'expérience.
    Vous voulez dépeindre un peuple ou une race antagoniste ? Demandez-vous ce qui fait que ce peuple ou cette race est un adversaire. Quelles sont ses raisons, ses objectifs, son Histoire ? Les peuples ou les races protagonistes, les personnages principaux mêmes, leur ont-ils donné à certains moments des raisons de s'ériger en opposition culturelle, sociétale ou armée ? Bref : pensez votre univers comme s'il était réel et vivant.

    Et en bonus, vous voulez rendre votre peuple antagoniste vraiment complexe et attirant ? Ne vous privez pas, offrez à votre public une extension ou une histoire supplémentaire afin de plonger au cœur de la société ennemie. Qu'elle soit incomprise et mésestimée ou tout simplement cruelle et hautement malveillante, une telle société aura forcément des choses à dire et des enjeux narratifs ou sociétaux à déployer ^^

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