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28.12.19

Des clichés d'Histoire et de culture.

Je pense que tout le monde est au courant, les gens connaissent de moins en moins l'Histoire et les rapports culturels dans le monde (en particulier comparativement au niveau d'éducation), ce qui occasionne des conneries aussi diverses que le roman national, le révisionnisme et le néo-fascisme.
C'est le moment de se rappeler quelques vérités en démontant des clichés !
(eh, en plus ils sont presque dans l'ordre chronologique !)

Sommaire. (ouais, je teste un nouveau truc, c'est pas trop tôt ^^)
L'empire gréco-romain.
Nos ancêtres les Gaulois.
Europe, empire romain et culture.
La France, pays de racines judéo-chrétiennes.
Les musulmans en Musulmanie.
Chevaliers et samouraïs.
La Révolution, point zéro du nouveau monde.
Les nazis, tous pourris ?


L'empire gréco-romain.

Contrairement à ce qu'on pourrait croire, l'empire romain n'a jamais été un projet conscient (la plupart des conquêtes sont des occupations destinées à créer un glacis défensif autour du cœur impérial et qui ne sont romanisées que pour simplifier leur gestion après coup) et n'a jamais eu pour ambition d'uniformiser la culture au sein de son territoire (sauf juridiquement, et seulement auprès des populations romanisées, aptes à vivre pacifiquement dans l'Empire).
Quand la république italienne a commencé à fréquenter l'Orient, qu'a-t-elle trouvé ? Les vestiges de l'empire macédonien d'Alexandre le Grand : les cités grecques, bien sûr, mais aussi des royaumes hellénistiques (comme la Macédoine et le royaume Séleucide) et des mélanges de culture grecque et orientale (le Pont-Bithynie) ou même égyptienne dans l'Égypte ptolémaïque (ou lagide).

Y'a aussi des historiens majeurs
qui ont étudié sérieusement la question.
Bref : tout un monde gréco-asiatique (l'Asie antique correspond à l'actuelle Anatolie, en Turquie) où l'on parle grec, si bien qu'en conquérant et en intégrant ces nouveaux territoires, l'Empire Romain s'est adapté à cette culture préexistante. À la fin de la période républicaine, à l'aube des guerres civiles opposant César et Pompée puis Octave et Marc-Antoine, la classe sénatoriale dominante à Rome est clairement érudite et bilingue.
Durant toute la période romaine, en particulier à partir du moment où Rome a conquis des territoires de culture grecque (en Italie, en Sicile, dans l'Adriatique et sur le pourtour occidental de la Méditerranée), la culture romaine est en réalité gréco-romaine. Les sciences naturelles, la philosophie et la rhétorique (l'art du discours et de l'argumentation) sont clairement d'origine grecque, tandis que l'agronomie (la science des soins apportés à la terre dans le cadre de l'agriculture), l'ingénierie civile et militaire (ponts, routes, égouts, aqueducs), la science politique (l'art de gouverner la cité et de vivre en société) et surtout la science militaire sont romaines.
Durant la période du Principat (ou impériale), les hauts magistrats pouvaient avoir à voyager assez loin dans l'empire, notamment lorsqu'ils étaient déplacés par le Prince pour certaines missions : maîtriser le grec autant que le latin était une évidence naturelle. Toute la partie orientale de l'empire avait pour langue commune le grec, et la dualité culturelle de l'Empire Romain a perduré jusqu'à la disparition de la moitié occidentale.


Nos ancêtres les Gaulois.

Ça va rappeler à certain-e-s un article précédemment publié sur ce blog (mais que j'ai supprimé depuis au profit de celui-ci, plus simple), mais l'un des plus gros écueils en termes d'Histoire en France est de considérer que nos ancêtres sont les Gaulois.
Déjà, Gaulois ça n'existe pas, il n'y avait pas d'unité politique entre les tribus Celtes, le pays n'existait pas, et il a été "créé" de toutes pièces par les Romains lorsque Jules César en a fait la conquête.

En plus, contrairement à l'Orient (on en parlera dans un autre article) qui était, via la civilisation grecque, beaucoup plus urbanisé et développé, dans l'Occident romain le développement été beaucoup plus spectaculaire, constituant ce qu'on appelle les Gallo-Romains. Par la suite (au Vème siècle de notre ère), les migrations germaniques ont apporté de nouvelles cultures et traditions qui se sont mêlées au modèle romain, ont supprimé certains éléments, en ont conservé d'autres.
Nos ancêtres sont les Germains, et nous n'avons hérité de Rome que ce qu'ils ont préservé.


Europe, empire romain et cultures.

Dans le même ordre d'idées, on entend dire depuis vingt ans avec la montée en puissance du néo-fascisme que la France est un pays de tradition judéo-chrétienne formé essentiellement au Moyen Âge et qu'il partage bien plus, culturellement, avec les autres pays d'Europe qu'avec les pays les plus proches d'Afrique du nord et du Proche et Moyen-Orient.

L'empire romain à son apogée, en 116, sous le règne de Trajan. 
Alors je sais que c'est possiblement un rappel, voire une évidence, mais les frontières romaines n'ont jamais dépassé le Rhin et le Danube, ce qui explique en bonne part les différences culturelles et linguistiques entre l'Europe de l'ouest dont fait partie la France et les pays germaniques, nordiques et slaves (Europe centrale et orientale, Pologne, États baltes, Russie).

C'est oublier, d'une part, le fait que l'Empire Romain s'étendait sans discontinuer des deux côtés de la Méditerranée, de Gibraltar au Moyen-Orient, et a initié sur ces territoires un mouvement d'uniformisation sociétale et politique - le modèle romain était très envié par les provinciaux. Mais également et surtout, d'autre part, que toute une partie de l'Europe - les territoires au-delà du Rhin et du Danube - n'ont jamais été Romains. Or, l'essence de notre culture, de notre langue, de notre urbanisme, c'est la culture latine.
Ajoutez à cela la préservation de la culture antique par le monde musulman médiéval, les divisions linguistiques, culturelles et politiques en Europe au Moyen Âge et à l'époque moderne, ainsi que les nationalismes férocement ennemis à l'époque contemporaine, et en réalité, la culture française partage beaucoup plus avec le Maghreb qu'avec la Pologne, l'Europe centrale et orientale, et même sur certains points avec l'Allemagne. Faut pas oublier qu'une bonne partie de notre vocabulaire est d'origine étrangère et notamment arabe, ce qui beaucoup moins vrai dans les langues anglaise et allemande !


La France, pays aux racines judéo-chrétiennes.

Et histoire d'en finir avec France - The Origins, je l'ai dit, les racines de notre culture, de notre urbanisme, de notre langue, de notre philosophie et de nos structures politiques viennent notamment (mais pas que) de l'Empire Romain. La France n'est pas un pays aux racines chrétiennes, la chrétienté en France, déjà c'est beaucoup plus tardif, plus que les racines, ce serait plutôt le tronc (quitte à conserver la métaphore arboricole), et en plus c'est loin d'être une évidence.
Je veux dire, au Moyen Âge, la société était divisée entre clercs ("religieux professionnels") et laïcs, et le Pape lui-même a dû légiférer pour interdire les conflits entre seigneurs laïcs (c'est la Paix de Dieu), alors qu'ils partageaient la même religion ! On se mettait aussi sur la tronche avec les puissances voisines (Saint-Empire Germanique, Angleterre, royaumes italiens) jusqu'à la Révolution et même après, et au XVIème siècle, l'un des plus grands alliés militaires et politiques de François Ier... c'est l'empire ottoman ! La chrétienté n'a jamais été synonyme d'unité religieuse, politique et sociétale, ni à l'intérieur des frontières, ni à l'extérieur.

En outre, la chrétienté n'a jamais cessé de pourchasser les hérésies - les vaudois, les cathares - d'ostraciser les juifs et les musulmans (la Reconquista espagnole s'est accompagnée de conversions forcées et de déportations) jusqu'au grand schisme qui a donné naissance au protestantisme. Donc le côté "judéo" vous pouvez l'oublier aussi, les Juifs ont toujours été une minorité vulnérable en France !


Les musulmans en Musulmanie ?

Ça aussi c'est un moyen politique et culturel très courant pour ostraciser ceux qui sont différents : considérer qu'ils appartiennent tous à une même masse informe et impossible à identifier. Pour le néo-fascisme en France, les musulmans sont tous les mêmes, se ressemblent tous, et sont tous une menace pour les sociétés occidentales.
Alors, outre que le principal artisan de la haine contre l'Occident entre le XXème et le XXIème siècle, ce sont les États-Unis, notamment durant la Guerre Froide et face au terrorisme international, cette réflexion est complètement fausse.

La société musulmane médiévale n'est pas très différente de la société chrétienne - il y a des clercs et des laïcs, des gens versés dans la religion coranique et les connaissances religieuses, et ils y a des gens qui observent le culte et les usages religieux tout en menant une vie qui n'a rien à voir avec l'Islam, et ce y compris au sommet des États.
Je vous le donne en mille, des dirigeants musulmans laïcs, ça existe. Des dirigeants musulmans qui se font la guerre entre eux, c'est très fréquent - c'est même pour ça que les croisades ont été des succès chrétiens pendant deux ou trois siècles avant de se heurter à des puissances musulmanes finalement unies et solides. Je rappelle, les Turcs et les Arabes n'ont pas la même langue, la même culture, et sont à peu près aussi différents que les Francs et les Germains.

Cette vidéo très intéressante vous expliquera tout à fait clairement que, bon, c'est globalement la merde politico-militaro-religieuse au Moyen-Orient au milieu du Moyen Âge. Des fois que vous souhaitiez encore penser que les musulmans constituent un ensemble unifié ^^

Qui plus est, les divergences théologiques au sein de l'Islam sont bien plus variées et bien plus violentes qu'au sein du christianisme, pour une raison simple : elles mêlent également les dissensions politiques. Durant les premiers siècles de l'Islam, un nouveau courant religieux naissait surtout à cause d'une division sur la succession de Mahomet (de là naissent les sunnites et les chiites), sur la légitimité de tel ou tel dynastie de califes, et dans un monde - le Moyen-Orient - où il est plus facile de couvrir de grandes distances, s'installer ailleurs est souvent plus sûr pour fuir les persécutions que de contre-attaquer.
Et là on en arrive à un des exemples les plus marquants de la diversité islamique : la Perse. Bien qu'étant le passage incontournable entre le Moyen-Orient et l'Asie, et donc ayant été conquise par les Arabes, les Turcs, les Mongols et les Timourides entre le VIIème et le XIIIème siècle, la Perse a fini par recouvrer son indépendance, se doter d'un nouveau courant de l'Islam, le chiisme, et devenir une puissance unique à l'échelle du continent. Et encore maintenant, les deux grands pôles de division islamique au Moyen-Orient, ce sont l'Arabie Saoudite et l'Iran.
Donc non, clairement, il n'existe pas un ensemble uni, unique et centralisateur de l'Islam. D'ailleurs, à cause de ces traditions de divisions et de divergences, les musulmans n'ont pas de chef religieux unique. Il n'existe pas d'équivalent au Pape dans l'Islam !

Alors, cet énorme machin par lequel tout le monde est obligé de passer depuis l'Antiquité pour rejoindre l'Europe depuis l'Asie et vice-versa, c'est l'un des éléments les plus flagrants du fait que non, on ne peut pas parler d'un monde musulman unifié, quoi qu'en disent les préjugés.

Chevaliers et samouraïs.

Je sais pas pourquoi mais mentalement, on aime bien faire des rapprochements pour pouvoir comprendre certains concepts. Alors que la culture populaire a établi d'autres rapprochements (Le Dernier Samouraï établissant un parallèle infondé entre les samouraïs et les Natifs-Américains), on a souvent tendance à considérer que les samouraïs et les chevaliers ont joué le même rôle dans deux mondes différents, l'Orient et l'Occident.
Rien n'est moins faux mais pour ça il faut d'abord définir les deux.

Les chevaliers sont, comme les samouraïs, une classe sociale - très ancienne, puisqu'ils apparaissent dans l'empire romain et sont nommés equites, en français chevaliers et membres de l'ordre équestre. Ils constituent la classe moyenne de l'empire : riches marchands, grands artisans, militaires de carrière (et vont même fournir un certain nombre d'empereurs et d'officiers impériaux). Ceux qui ne sont ni la plèbe, ni les politiciens gouvernants (au début du Principat du moins). Par la suite, ils sont devenus une classe militaire - à la faveur des migrations germaniques. Au Moyen Âge c'est simple de définir un chevalier, c'est un guerrier à cheval dont le titre lui a été conféré par un roi ou, sous la féodalité, par un seigneur (tous les guerriers à cheval ne sont pas chevaliers mais tous les chevaliers ont un cheval). Par la suite, la dimension équestre disparaît (les régiments à cheval apparaissent et les chevaliers peuvent combattre à pied, notamment avec des armes à feu) mais le chevalier reste un combattant de petite noblesse.
Mais un point commun demeure : le chevalier est un homme et un combattant.


Samouraï, c'est une classe sociale - guerrière certes, mais avant tout sociale. Ils ont un rôle social beaucoup plus fort que les chevaliers : ils sont intégrés dans la pyramide féodale japonaise, là où les Occidentaux vont utiliser des non-combattants religieux ou laïcs dans l'administration du territoire. Pour le dire clairement, alors qu'en Europe on utilise des chevaliers pour la guerre, au Japon les samouraïs sont les représentants du seigneur, le daimyo (ça se prononce "daï-mi-o"), y compris en tant de paix. Or, sous le régime militaire du shogunat (où le Shogun est le seigneur de guerre, le dirigeant du pays, et l'empereur une simple figure religieuse), la paix dure très longtemps.
Et comme c'est un ordre social, on y trouve aussi des femmes et des enfants. On est samouraï par mariage et par naissance, pas uniquement parce que le seigneur l'a décidé.

Donc d'un côté on a un rang social qui a acquis une valeur militaire, mais réservée aux hommes, de l'autre on a un rang militaire qui a reçu des privilèges permanents au point de devenir une classe sociale et familiale - comme nos barons et nos comtes. Non, les chevaliers et les samouraïs ne sont pas comparables.


La Révolution Française, point zéro d'un nouveau monde.

Alors que, dans le grand public, on a tendance à considérer la Révolution Française (1789-1799), et notamment la Terreur (jusqu'en juillet 1794), comme un "nettoyage par le vide" en France, où on a éliminé rageusement toutes les institutions d'Ancien Régime, la réalité est toute autre. En effet, dans la division historique en 4 grandes périodes et son enseignement en fac d'histoire, l'époque moderne se termine en 1789 et la période contemporaine commence en 1815 avec le Congrès de Vienne.
Entre les deux, la période Révolution et Empire constitue une parenthèse un peu bâtarde, une transition très progressive pour un État, la France, qui a longtemps gardé les structures d'Ancien Régime pour ne prendre sa forme actuelle qu'autour de 1875 (là où les modernisations politiques de l'Allemagne et de l'Italie ont accompagné leur unification, donc beaucoup plus vite, et où l'Angleterre avait déjà la structure d'une monarchie parlementaire depuis le XVIIIème siècle).

Illustration pour le mois d'octobre des Très Riches Heures du Duc de Berry, qui est un livre d'heures (de prières) muni d'un calendrier liturgique (des célébrations religieuses), daté du XVème siècle. On y voit le Palais du Louvre en arrière-plan. T'es choqué-e hein ? Avant d'être un palais, le Louvre était un château, et quand le roi a abandonné sa cour itinérante pour la fixer de manière permanente dans ce château puis à Versailles, le Louvre et les palais de la Loire ont été délaissés avant d'être récupérés pour devenir des musées.

Loin de supprimer tout ce qui faisait l'Ancien Régime, la Révolution conserve et confirme un certain nombre d'éléments qui contribuaient à son image sociétale et culturelle : le palais du Louvre devient officiellement - et légalement - un musée, dans la continuité des projets initiés depuis Louis XIV et Louis XV (où il était un musée personnel du roi).
Après plusieurs séries de pillages et de destructions, le palais de Versailles devient formellement un musée (bien que le changement sera surtout effectif à partir des années 1830 sous Louis-Philippe), celui des Tuileries demeurera la résidence royale et impériale jusqu'à l'avènement de la IIIème république, et celui du Luxembourg est même carrément le siège du Sénat actuel tandis que le Panthéon a été achevé par les Révolutionnaires juste pour être récupéré au profit de la république, jusqu'à nos jours !

Et puis surtout, au-delà du paysage monumental parisien et provincial (parce que la cathédrale de Reims, lieu de sacre des rois, ou la basilique Saint-Denis, lieu de sépulture royal, malgré d'importants pillages, elles sont encore debout), de nombreuses persistances ont émaillés la Révolution : une partie des nobles (de petite noblesse essentiellement) ont joué un rôle important avant, pendant et après la période (comme le marquis de La Fayette), la noblesse n'est pas réellement écartée du pouvoir (pas durablement du moins) ni même éliminée physiquement, ce qui permettra le rétablissement d'une société semblable à celle d'Ancien Régime de 1799 à 1848, adaptée en fonction des dirigeants du moment.
En fait on a tendance à penser que la Révolution est une rupture parce qu'elle a permis l'irruption d'un "homme nouveau" comme Napoléon Bonaparte, mais son action politique a été en grande partie une préservation de l'Ancien Régime, mêlée à quelques apports neufs. En termes de classes sociales, la Révolution n'a tout simplement rien changé, puisque la bourgeoisie a endossé durant tout le XIXème siècle le rôle de classe économique et politique dominante jusque là dévolu à la noblesse, et que les privilégiés les plus riches de la France moderne sont souvent descendants de familles devenues puissantes à cette époque et nostalgique des fastes d'Ancien Régime.


Les nazis, tous pourris ?

OK, là clairement je vais pas me faire que des ami-e-s mais merci de me lire jusqu'au bout avant de m'envoyer des antifa. La question se pose réellement quand tu étudies ou connais un minimum la sociologie du nazisme en Allemagne entre le début des années 1930 (voire la décennie précédente) et 1945. Est-ce que les nazis étaient tous de méchants fascistes adeptes du racisme, de la xénophobie et de l'extermination de masse ?
Clairement, la réponse est non.

Il faut replacer les choses dans leur contexte, ce qui suppose différents éléments indépendants mais en corrélation les uns avec les autres.

  • D'abord, le nazisme c'est un courant de pensée large, qui traite à la fois d'économie, de structures politiques, de mécanismes sociétaux, de culture et de géopolitique internationale (la fameuse question de "l'espace vital allemand"). On peut très bien tolérer voire même adhérer à une partie de ce programme, mais ne pas accepter le reste.
  • Ensuite, à partir du moment où il a eu la haute main sur la société allemande, donc 1933, accession d'Hitler à la chancellerie, le nazisme allemand s'est efforcé de marginaliser voire d'éliminer toute opposition politique, si bien qu'à l'aube de la Seconde Guerre Mondiale, les nazis représentent à peu près le seul parti qui ait les moyens d'avoir une vie politique. Du coup, si vous avez une conscience politique et une vie publique, ce qui est le cas d'un paquet de monde à l'époque, soit vous êtes nazi, soit vous êtes invisible (et être invisible, socialement, ça n'est absolument pas intéressant, notamment pour la vie professionnelle et collective). Et encore une fois, "être nazi", c'est absolument pas un concept unique et unifié, les foules nazies sont hétérogènes.
  • Enfin, et c'est un fait à rappeler aussi souvent que possible parce qu'apparemment c'est pas évident, c'est pourtant attesté à la fois par les rapports officiels et par le témoignage de l'entourage des hauts-dignitaires nazis comme Rochus Misch, garde du corps d'Hitler, la Solution Finale, le plan d'extermination mis en place à partir de 1942 pour éliminer les Juifs, les handicapé-e-s, les homosexuel-le-es et les Tziganes, n'a jamais été rendue publique jusqu'à la chute de l'Allemagne Nazie. C'était un secret dissimulé par du vocabulaire neutre et des conversations privées, à aucun moment l'État nazi n'a fait publiquement état de ses efforts industriels pour exterminer 6 millions de personnes dans des camps. Du coup encore une fois, on pouvait adhérer ou avoir adhéré au parti nazi sans avoir la moindre connaissance de la monstruosité de ses dirigeants.
En réalité, le parti nazi en Allemagne se place dans un contexte beaucoup plus large et né à la fin du XIXème siècle, contexte dans lequel il ne fait absolument pas tache : le nationalisme. J'en ai parlé lors de ma série d'articles sur le XIXème siècle de 1815 à 1914 (notamment dans la seconde partie sur l'unité italienne, dans la troisième sur l'unification allemande et dans la quatrième sur la marche à la guerre entre les années 1870 et 1914), mais le nationalisme à cette époque, c'est le sentiment d'unité nationale qui nourrit une ambition pour le pays, il n'est pas forcément associé à la xénophobie.

Dans cet état d'esprit en Allemagne entre la fin du XIXème et le début du XXème siècle, l'un groupes sociaux les plus visiblement nationalistes, c'est l'aristocratie militaire. Tous ces gens sur qui reposaient l'Empire d'Allemagne et avant lui les États allemands (royaumes, duchés, comtés...), et qui sont plus ou moins ouvertement et consciemment nostalgiques d'une époque où l'Allemagne était une puissance militaire dominante et incontestée. Aux yeux de ces gens-là, parmi lesquels on retrouve un certain nombre de cadres de la Wehrmacht (l'armée allemande), de la Luftwaffe (l'armée de l'Air) et du parti nazi - y compris plus tard parmi les opposants déclarés à Hitler - rejeter les faiblesses de l'Allemagne sur les infiltrations étrangères et sur les Juifs, qui ont toujours plus ou moins été la cible d'antisémitisme au cours de leur histoire, ça n'est absolument pas choquant.
Et pour ces gens-là, ces militaires nationalistes qui veulent restaurer la grandeur de l'Allemagne, la guerre est le meilleur moyen d'imposer son programme politique, qui consiste entre autres à l'extension du territoire allemand sur "des peuples inférieurs."

Les conjurés du Complet du 20 juillet 1944 contre Hitler : la grande majorité sont des militaires actifs ou retraités et la plupart sont issus de la petite aristocratie allemande. Henning von Tresckow, Albrecht von Quirnheim, Erwin von Witzleben, Claus von Stauffenberg... normalement y'a un genre de point commun qui devrait te sauter aux oreilles...

Au sein du parti nazi, on trouve à la fois les partisans de la première heure qui ont souvent été rejetés des institutions traditionnelles comme l'armée, la Marine et l'armée de l'Air ou qui ne peuvent plus y connaître l'ascension sociale (c'est le cas de Reinhard Heydrich, renvoyé avec indignité et d'Heinrich Himmler, qui n'a servi que très brièvement à la fin de la Grande Guerre). Mais on trouve aussi à partir des années 1930 des militaires, des aristocrates et des gens de la droite conservatrice qui ont rejoint le parti par intérêt pour les thèses nationalistes de la doctrine nazie, sans forcément être des racistes et des antisémites convaincus, et ce sont ces gens-là qu'on trouvera, avec la droite libérale modérée (celle d'Oskar Schindler), dans l'opposition militaire à Hitler dans la débâcle de 1943 à 1945.
Donc non, tous les nazis n'étaient pas des gros pourris. Bien sûr, ils avaient en commun d'être politiquement à droite, au mieux traditionalistes, au pire nationalistes, racistes et antisémites, mais la diversité sociale et sociologique était forcément grande pour un parti qui voulait brasser large et rallier tout le peuple allemand !


Voilà, ça fait déjà quelques clichés sur l'Histoire démontés en bonne et due forme ^^
C'était un peu long mais j'espère que ça vous a plu et intéressé, je vais écrire un autre article du même type, mais la prochaine fois on parlera de Moyen Âge... et de Moyen Âge !
Cultivez-vous et gardez l'esprit critique !

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